Démocratie 2.0 : pour ou contre l'anonymat ?

En février, l'ancien secrétaire d’Etat chargé du numérique, Mounir Mahjoubi, a annoncé vouloir imposer le "zéro anonymat" sur les plateformes de démocratie en ligne...

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Démocratie 2.0 : pour ou contre l'anonymat ?

POUR : Cyril Lage, cofondateur et directeur général de la start-up de civic tech Cap collectif

A mon sens, c’est une erreur. Forcer l’identification réelle du public serait le meilleur moyen de tuer le débat public. Les pseudos garantissent l’anonymat et le respect de la vie privée, deux composantes essentielles pour limiter l’autocensure. Grâce à eux, les citoyens expriment librement leurs opinions sans risquer de révéler leurs orientations politiques publiquement. Et l’utilisation de pseudos n’empêche pas de garantir l’unicité des participants ainsi que leur appartenance à tel groupe, entreprise ou territoire. Pour cela, on peut implémenter des services tiers appelés SSO ["single sign-on" : authentification unique], comme France Connect pour authentifier sans identifier.

 

En France, même le vote se fait à bulletin secret. Or, dans notre métier, il n’y a pas de transfert de décision. Nous créons des logiciels servant à consulter les citoyens. Il y a donc une forme d’illogisme à penser qu’un acte électif doit être anonyme et la consultation requérir de s’exprimer en son nom propre, un mode de communication qui n’est même pas synonyme d’une baisse des propos haineux. Chez Cap collectif, malgré l’utilisation de pseudos, notre taux de modération est de 0,06 % en moyenne, contre 40 à 60 % sur les sites de presse. L’explication tient dans le fait qu’avec nos outils, les citoyens sont invités à débattre sur un projet. Ils ne réagissent pas face à une décision déjà actée.

 

C’est d’ailleurs pour cela que nous avons lancé "Parlement et citoyens", en 2013. Ce site de rédaction collaborative des lois vise à appliquer l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui n’est pas conditionné par l’obligation de révéler son identité, son lieu de résidence, sa catégorie socioprofessionnelle ou ses orientations religieuses. D’autant que plus les exigences d’entrée sur une plateforme sont élevées, moins le nombre de contributions y est important. 

 

Contre : Clément Mabi, maître de conférences en science de l’information et de la communication à l’UTC de Compiègne et spécialiste de la participation politique en ligne 

Pour toute concertation numérique, il faut se demander quelles données personnelles sont nécessaires, afin de produire des résultats pertinents. En 2018, les ministères de la Transition écologique et solidaire et de la Cohésion des territoires ont lancé un débat en ligne sur les "villes et territoires de demain". Il s’agissait alors de récolter des idées. Dans ce cadre, l’anonymat ne gêne pas l’analyse des résultats car le contenu des messages est plus important que l’identité de leurs auteurs.

 

Ce n’est plus le cas lors de concertations plus techniques ou inscrites dans un territoire particulier. La Commission nationale du débat public demande ainsi aux utilisateurs de renseigner leur identité réelle pour que leur parole ait de la valeur dans les verbatims. La participation d’un riverain directement concerné par un projet d’aménagement dans sa ville n’a pas le même sens que celle d’une personne habitant dans une commune éloignée. Cela semble logique. Pourtant, de nombreux sites hébergeant des budgets participatifs ne vérifient ni l’identité ni même la localisation des votants.

 

La plateforme du grand débat national est un exemple d’échec lié à un manque de collecte de données. Le code postal était la seule information à renseigner pour pouvoir participer. A la fin du processus, organisateurs et chercheurs ont été sommés d’analyser les 2 millions de contributions. En l’absence de détails sur l’origine, l’âge ou le profil socioprofessionnel des participants, on a seulement pu faire du quantitatif en calculant le nombre d’occurrences de certains termes. Cela ne permet pas de tirer des conclusions sociales ou politiques. Au début, les chercheurs ont pensé que les sciences sociales n’avaient pas les outils pour étudier ces objets numériques. Mais la réalité, c’est que ce n’est pas possible dans ces conditions.

 

Ce constat devrait inviter les acteurs de la démocratie participative à la modestie. Il faut se rendre à l’évidence : il y a des cas où les consultations en ligne ne fonctionnent pas. Si, faute de participants ou de données fiables, il n’est pas possible de donner du sens aux résultats issus d’une concertation numérique, elle ne sert à rien.

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