Toute sa vie, elle a cru aux trois « L » : Love, Laughter, Light. C’est à eux qu’elle attribuait son impressionnante longévité. Olivia de Havilland s’est éteinte à 104 ans et même si, avec l’actrice, oscarisée deux fois, c’est la dernière légende de l’âge d’or d’Hollywood qui s’en va, soyons sûrs qu’elle aura eu son comptant d’amour, de rire et de lumière. Celle qui disait « Les gens célèbres ressentent le besoin d’être perpétuellement au sommet de la vague, sans se rendre compte que cela va à l’encontre de toutes les règles de la vie » a connu la notoriété très tôt, à dix-neuf ans. Elle a eu aussi la sagesse de s’en détourner ensuite en choisissant de vivre à Paris, la ville que cette anglaise d’origine, naturalisée américaine puis française, habitait depuis soixante-cinq ans. C’est le « big love » qui l’a menée là, et son second mariage avec le journaliste Pierre Galante, père de sa fille Gisèle. Et aussi un peu le champagne Veuve Clicquot, dont elle aimait à partager une coupe avec ses visiteurs jusqu’à quatre-vingt-dix ans passés. British jusqu’au bout des ongles, d’une élégance hors d’âge, elle trottinait en talons hauts en les rassasiant de macarons Ladurée. À son sourire si doux, ses hôtes reconnaissaient alors Melanie Hamilton, l’inoubliable rivale sacrificielle de Scarlett dans « Autant en emporte le vent », le film le plus célèbre de toute l’histoire du cinéma qui lui a valu la gloire à perpétuité.

C’est dans le décor d’un Japon alors encore très traditionnel que naît Olivia de Havilland, le 1er juillet 1916, à Tokyo. Olivia a une sœur, de quinze mois sa cadette, Joan. La famille, aux lointaines origines normandes, appartient à la lignée d’un compagnon de Guillaume le Conquérant. Son cousin, Geoffrey de Havilland, est un pionnier fameux de l’aviation. Son père, Walter, dirige un cabinet cossu d’une vingtaine d’avocats. Sa mère, Lillian, est professeur de chorale et actrice à ses heures perdues. C’est d’ailleurs en dénichant une boîte secrète contenant le maquillage de scène maternel et en se barbouillant le visage de blush et de rouge à lèvres que la petite fille se découvrira une appétence innée pour le métier de comédienne. Malgré la fessée mémorable qui découle de ce geste interdit…

« Je ne souhaite un succès du jour au lendemain à personne »

Chez les Havilland, tout irait dans le meilleur des mondes si le couple ne se mettait à battre de l’aile. Walter s’est pris de passion pour le jeu de go, alors très en vogue, il y consacre de longues heures loin du foyer. Il a aussi débuté une liaison avec la gardienne japonaise de leur immeuble, qu’il épousera en secondes noces. Le divorce est inévitable. En 1918, Lillian prend ses deux filles sous le bras et les emmène à Saratoga, en Californie, où elle se remarie avec George Fontaine, propriétaire d’une chaîne de magasins. Est-ce parce que ce dernier est un homme violent, qui les punit à l’aide de cuillerées d’huile de foie de morue avalées de force et de coups de cintres dans les tibias ? Entre les fillettes, naît une sourde rivalité qui ne fera que croître en grandissant. Lorsqu’elles ont cinq et six ans, racontera Olivia de Havilland à Vanity Fair en 2016, elles prennent des cours d’art chez un professeur qui possède une maison avec piscine. Joan joue dans l’eau lorsqu’elle tente d’entraîner sa sœur aînée en lui attrapant la cheville. Olivia se débat, à tel point que Joan se casse la clavicule contre le rebord et doit être plâtrée. Olivia est punie pour avoir blessé sa sœur, mais celle-ci ne lui pardonnera jamais l’accident et multipliera les gestes brusques envers sa sœur aînée. « Le problème est que nous devions partager une chambre » expliquera l’actrice, qui avoue qu’elle lui lisait, en retour, des passages de la crucifixion de Jésus pour lui faire peur.

À dix-huit ans, Olivia songe à devenir professeur d’anglais pour échapper enfin à l’atmosphère irrespirable du foyer, mais une rencontre avec l’assistant d’un metteur en scène autrichien, Max Reinhardt, qui cherche l’héroïne de son film, « Le songe d’une nuit d’été » va changer son destin. Elle est ravie de jouer dans une œuvre shakespearienne, elle qui fait du théâtre en amateur et lit Stanislavski. Le réalisateur est séduit par la fraîcheur de cette jeune fille aux yeux noirs et au teint de porcelaine. Mais elle déchante rapidement. Le long-métrage est produit par la Warner Bros, qui voit en miss de Havilland le faire-valoir respectable et bon chic bon genre parfait pour une série de films d’aventure et d’action populaires mettant en scène leur acteur fétiche : Errol Flynn. À dix-neuf ans, la jeune actrice devient une star grâce à « Capitaine Blood » sorti en 1935. Et déclarera : « Je ne souhaite un succès du jour au lendemain à personne. » Bien que séduite par son partenaire à l’humour… viril (il lui aurait glissé un serpent mort dans la culotte sur un tournage) avec qui elle tournera pas moins de huit films dont «  Les aventures de Robin des bois », elle repousse ses avances. Pas bégueule pour autant, elle se rattrapera avec James Stewart, John Huston et le milliardaire Howard Hugues…

La guerre entre les deux sœurs vedettes

Pendant ce temps, sa sœur Joan, qui avait rallié Tokyo pour vivre quelque temps avec son père et sa nouvelle femme, est revenue à Saratoga. Elle tombe juste au moment de l’accession d’Olivia à la gloire et ouvre des yeux ronds. A sa sœur qui lui conseille de poursuivre ses études, elle répond et n’en démord pas : « Non, je veux faire ce que tu fais. » Impossible de lui faire changer d’avis. Elle prend alors le pseudonyme de Joan Fontaine, tourne quelques films et ce sera le début d’une haine farouche et d’une rivalité féroce entre les deux sœurs, complaisamment attisée par les médias. En 1939, Olivia décroche le rôle convoité de Melanie dans « Autant en emporte le vent » mais rate l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle qui revient à Hattie McDaniel, première actrice africaine-américaine à obtenir cette prestigieuse récompense (récemment mise à l'honneur par une mini-série Netflix).

En 1941, Olivia de Havilland est à nouveau nommée pour « Par la porte d’or » mais échoue encore. Sa sœur, en revanche, est nommée pour « Soupçons », d’Hitchcock après avoir été l’héroïne de « Rebecca », du même réalisateur. Elles sont assises à la même table pour la cérémonie et Joan remporte la précieuse statuette. La presse titre « La guerre entre les deux sœurs vedettes ». Plus tard, Joan Fontaine, qui mourra en 2013 à l’âge de quatre-vingt-seize ans, aura auprès des médias ce mot d’esprit impitoyable : « Je me suis mariée avant elle. J’ai obtenu l’Oscar avant elle et si je meurs avant elle, elle en deviendra blême. Même là, je l’aurais devancée ».

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Olivia de Havilland et sa sœur Joan Fontaine

Doublés en français par Renée Simonot, la mère de Catherine Deneuve

Si Olivia de Havilland doit attendre les films « A chacun son destin » (1946) et « L’Héritière » (1950) pour décrocher, à son tour, l’Oscar de la meilleure actrice, une autre victoire, tout aussi éclatante, l’attend. En 1939, elle a dû batailler ferme pour obtenir de Jack Warner, le moguls de la Warner Bros, qu’il accepte de « l’échanger » contre James Stewart pour qu’elle puisse tourner « Autant en emporte le vent » chez un concurrent, la MGM. À l’époque, les acteurs sont pieds et poings liés aux studios et triment six jours sur sept, prenant des somnifères la nuit et des amphétamines le jour pour tenir le coup. Alors, bien que son amie l’actrice Bette Davis ait déjà tenté, sans succès, dix ans auparavant, de s’affranchir judiciairement d’un contrat qui l’empêche de choisir ses films, Olivia de Havilland, bien qu’âgée de 26 ans, part au combat. Elle en a assez d’être cantonnée à des rôles insipides et désire casser son contrat. Soutenue par un avocat particulièrement habile, et malgré les campagnes de boycott envers elle lancées par la Warner, elle gagne son procès en 1945. L’amendement Havilland fera date et lui vaudra le respect et l’admiration de ses pairs. Il aide encore aujourd’hui les acteurs hollywoodiens…

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Un coup de foudre à Cannes où elle est descendue pour le Festival la fait changer de trajectoire. Mariée au romancier Marcus Goodrich (avec qui elle aura un fils, Benjamin, décédé en 1991 à l’âge de quarante et un ans), puis divorcée, elle tombe amoureuse de Pierre Galante, alors secrétaire général de Paris Match, l’épouse et s’exile à Paris. Avec lui, elle aura une fille, Gisèle, journaliste. Elle mettra progressivement fin à sa carrière, devenant encore en 1965 la première femme présidente du jury du Festival de Cannes et jouant dans quelques films et téléfilms, régulièrement doublés en français par Renée Simonot, la mère de Catherine Deneuve, aujourd’hui âgée de 108 ans. Engagée, positive, sincère, lumineuse, bonne actrice, elle restera dans les mémoires comme celle qui n’a pas plié devant les studios. Autant en emporte le vent, soit, mais pas ses convictions.