Rien ne serait plus ingrat que de traiter Joseph Jarman de « jazzman ». Non seulement parce que le terme n’existe pas en américain ; mais surtout parce que Joseph Jarman, mort le 9 janvier, à Englewood (New Jersey), est un acteur considérable d’un mouvement afro-américain sans indulgence pour le mot de « jazz ». Mouvement social, politique, poétique, pédagogique, philosophique, musical, théâtral, fomenté à Chicago (Illinois) par le pianiste Muhal Richard Abrams (1930-2017) : l’AACM (Association for Advancement of Creative Musicians). Vingt-cinq musiciens signent la charte en 1965.
Joseph Jarman, né le 14 septembre 1937à Pine Bluff (Arkansas), est élevé à Chicago dès 1938. Battant, guerrier, oui ; docteur ès arts martiaux, c’est certain ; formidable acteur de l’Art Ensemble of Chicago, le bras armé de l’AACM ; jouant très collectif et très solo aussi… Mais « jazzman » ne saurait convenir. Autant le traiter de « négro ». Ce serait plus direct.
Brillant iconoclaste
Jarman est un pur produit de la rue, de l’école, de l’embrouille et d’un des moments psycho-actifs les plus vifs de la conscience afro-américaine. De la conscience tout court. A la DuSable High School, Jarman étudie toutes sortes de matières, dont la batterie. Professeur ? L’illustre Captain Walter Henri Dyett (1901-1969).
Voudrait-on se faire une idée de la méthode du Captain ? Très simple : primo, s’infliger l’infâme navet de Damien Chazelle, Whiplash ; deuzio, en inverser tous les clichés, tous les fantasmes, toutes les âneries ; tertio, se renseigner sur la grande dignité du Captain Dyett. C’est à l’armée (1955-1958) que Jarman développera la pratique des anches – le hautbois, mais aussi la clarinette et les saxophones, tous instruments de défilé. De 1955 à 1958, il a été l’un des rares Afro-Américains à faire partie des Pathfinders (éclaireurs) de la 11e Division aéroportée de l’armée américaine.
Au retour, il étudie la composition, le contrepoint, la philosophie et l’histoire de l’art. Il joue dans des groupes de rythm’n blues et de blues. Il est déjà très proche de Roscoe Mitchell. Mitchell, brillant iconoclaste, avait fait son service à Heidelberg (Allemagne), défilant en cadence avec Albert Ayler et Rubin Cooper. Ça devait swinguer sévère, les jours de parade, dans la capitale du romantisme.
Mitchell incite Jarman à rejoindre l’Experimental Band de Muhal Richard Abrams. De son côté, Jarman joue sa composition Imperfection in a Given Space avec John Cage (1965). Et commence à se produire « en solo absolu ». Antony Braxton, un des 27 signataires de la charte fondatrice de l’AACM, fait de même. Ensemble, ils gravent Together Alone (1974).
Il vous reste 43.97% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.