Quand la joaillerie prend la nature pour motif

Les maisons de la place Vendôme ont présenté en janvier, à Paris, leurs dernières créations aux inspirations végétales pimentées de faune poétique.

Par Hervé Dewintre et

Claire Choisne a imaginé pour Boucheron des bijoux au réalisme botanique jouant de l’héritage stylisé de la maison.
Claire Choisne a imaginé pour Boucheron des bijoux au réalisme botanique jouant de l’héritage stylisé de la maison.
© Boucheron/SP

Temps de lecture : 7 min

La célébration du centenaire de l'Art déco n'aura pas lieu. L'apologie de l'avant-garde, le culte de la vitesse et la célébration du modernisme, qui avaient engendré tant de bijoux géométriques et abstraits, présentés au Grand Palais durant l'exposition des arts décoratifs en 1925, ne se sont pas réverbérés dans les collections de haute joaillerie présentées à Paris. Les maisons de la place Vendôme ont puisé leur inspiration dans une autre exposition, un peu oubliée : celle des arts et techniques appliqués à la vie moderne.

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Rappelons que cette manifestation, qui s'était dressée sur le quai d'Orsay en 1937, avait marqué le retour à l'opulence joaillière grâce à l'union entre stylisation florale et innovation dans l'art de monter les pierres.

La profusion de bijoux transformables, la présence de traînes de corsage tout comme le traitement naturaliste des gouachés (caractéristiques des arts décoratifs du règne de Louis XV) s'inscrivaient clairement dans l'héritage de la joaillerie des XVIIIe et XIXe siècles. « Les plumes, les fleurs, les oiseaux sont partout », constatait la critique.

En 2025, cet attrait renouvelé pour les courbes organiques a une particularité : il met en lumière une aptitude à l'indocilité, à l'inventivité et à la prodigalité. Aux bouquets apprivoisés, aux roses épanouies, aux branches des arbres sacrés – laurier, olivier, chêne – devenus synonymes de victoire et de gloire d'un empire à l'autre, les joailliers ont préféré les herbes folles, les plantes modestes, les panoramas fantasques, les paysages sauvages ; une « nature qui reprend ses droits », résume Hélène Poulit-Duquesne, présidente de Boucheron.

Tout en revivifiant une tradition plusieurs fois séculaire, grâce à des gemmes calibrées et à des sertissages virtuoses, ces créations précieuses encensent la végétation, la transmission de l'héritage et le temps long de la mémoire.

Boucheron, les herbes folles

Claire Choisne, directrice des créations Boucheron, rend hommage aux mauvaises herbes qui ont jalonné la vénérable histoire de la maison. « Frédéric Boucheron s'inspirait volontiers du lierre grimpant le long des arcades du Palais-Royal. Ses créations mettaient en lumière une flore modeste : des trèfles, des églantines, des marguerites. Il aimait visiblement la nature, dont il scrutait les plus infimes détails avec une grande attention, jusque dans ses imperfections : dans les archives, nous avons retrouvé des plantes courbées par le vent, des feuilles tordues, des fleurs fanées. » Vingt-huit créations monochromes offrent des réinterprétations innovantes de cette encyclopédie botanique. Un collier figurant des feuilles d'airelle (révélant un travail de mise à jour exceptionnel) se métamorphose en traîne de corsage ou en broches, grâce à un système qui assure maintien et confort. Des tiges d'avoine ou des fleurs de carotte sauvage donnent naissance à des broches qui peuvent également se porter en bijou de tête.

Dior, la forêt magique

<FIGCAPTION>Chez Dior, la flore enchantée de Victoire de Castellane.</FIGCAPTION> ©  Anna Leroy
Chez Dior, la flore enchantée de Victoire de Castellane.
© Anna Leroy

Victoire de Castellane, chez Dior, imagine une forêt magique propice à l'éclosion de panoramas multicolores, où les arbres ressemblent à des nuages, tandis que les arches mystérieuses et les feuilles géantes – toujours soutenues par des guipures d'or qui composent un treillage précieux – sont rehaussées de saphirs veloutés, d'émeraudes soyeuses, de spinelles incandescents figurant tour à tour le pistil ou la corolle d'une fleur enchantée.

Sur les 76 pièces de la collection – un nombre important pour un opus de janvier –, le dessin concilie la spontanéité du geste enfantin et l'épure de l'estampe japonaise. Si le choix de la perspective inversée rappelle les peintures médiévales ou byzantines, la palette de couleurs (toujours traitées en aplats) paraît, quant à elle, avoir été empruntée à une toile d'un primitif italien ou d'un représentant de l'art naïf. L'espièglerie, semble nous dire la directrice artistique, est l'amie dévouée de l'excellence. De l'exceptionnel également : remarquable par sa teinte et son intensité, un diamant jaune orangé propage ses reflets crépusculaires sur une bague Toi et Moi.

Chaumet, la plante tenace

<FIGCAPTION>Une belle association de tsavorite, opale et diamant pour les broches Bambou de Chaumet.</FIGCAPTION>
Une belle association de tsavorite, opale et diamant pour les broches Bambou de Chaumet.

Chez Chaumet, Olga Corsini consacre au bambou une collection capsule composée de dix pièces uniques. Un motif plutôt inattendu (à l'exception de deux esquisses datant de l'époque Nitot, il n'a jamais été représenté dans le répertoire de cette institution parisienne), mais non dénué de significations puisqu'il symbolise l'intégrité, la ténacité et la modestie en Chine, tout en évoquant la prospérité au Japon.

Les représentations réalistes de la nature – une spécificité de la maison – font place, cette saison, à des figurations stylisées qui n'en capturent pas moins le substrat de cette plante, réputée pour sa capacité à plier sans se briser. Une association originale de couleurs, fournie par des opales et des grenats tsavorites, illumine un plastron endiamanté (d'une grande souplesse), un duo de broches et un trio de bagues. Les réseaux de lignes semblent figurer une portée végétale sur laquelle se joue la partition du vivant. Un diadème, enfin, conjugue, dans la grande tradition Chaumet, les notions de puissance et d'élévation.

Bulgari, les paysages transalpins

<FIGCAPTION>Des nuances de pierres délicates pour ce collier serpent de la maison Bulgari.</FIGCAPTION> ©  Antonio Barrella, studio orizzonte gallery
Des nuances de pierres délicates pour ce collier serpent de la maison Bulgari.
© Antonio Barrella, studio orizzonte gallery

« Bulgari, c'est l'art de la couleur », indique Corinne Le Foll, directrice de la division joaillerie Bulgari, qui présentait fin janvier, place Vendôme, une master class consacrée aux nouveautés haute joaillerie de la maison italienne. « Cet art s'épanouit tout d'abord dans des associations souvent uniques. Le collier Infinite Blossom, par exemple, concilie le rouge profond de la rubellite et le vert vif, presque printanier, du péridot, que rehaussent des petites touches d'éclat apportées par l'améthyste, le spinelle, le diamant mais aussi par la nacre, qui donne à l'ensemble un liant, une harmonie. »

Cet art s'ordonne également autour d'une science de la taille. « De nombreux paysages romains se sont forgés sur la juxtaposition de cultures, de mouvements artistiques ; ce syncrétisme rejaillit sur nos productions. Une forme cabochon ou pain de sucre évoquera un dôme, une taille marquise rappellera le demi-cercle formé par une rotonde, une marqueterie de pierres dures convoquera le souvenir d'une mosaïque. »

Cartier, la nature sauvage

<FIGCAPTION>Echina, de Cartier, allie géométrie fractale et figuration ornementale.</FIGCAPTION>
Echina, de Cartier, allie géométrie fractale et figuration ornementale.

À la coupure radicale entre le passé et le présent les collections de haute joaillerie Cartier privilégient un système de représentations qui permet le développement simultané de plusieurs thèmes superposés sur une même pièce, à la manière d'une portée musicale. Cette polyphonie s'exprime par la coexistence de motifs, de couleurs, de rythmes qui entrelacent les principes à l'œuvre dans le style guirlande, dans la joaillerie indienne, dans l'iconographie florale ou figurative.

Cette oscillation entre la permanence et le changement se manifeste notamment sur le collier Echina, qui conjugue la figuration et la géométrie. Sur un lacis orné de diamants, qui évoque tout à la fois l'abstraction graphique d'une figure fractale et l'épure ornementale d'une fresque ottomane, jaillissent des boules coutelées d'émeraudes piquées de corail et des billes de saphirs agrémentés de diamants : cette union de teintes et de formes ressuscite la palette chromatique des Ballets russes et le goût de l'Orient pour les gemmes gravées.

Chanel, le truc en plume

<FIGCAPTION>L’évanescente bague Plume, de Chanel.</FIGCAPTION>
L’évanescente bague Plume, de Chanel.

Gabrielle Chanel prônait une mode qui n'engonce pas, au service d'une femme libre de ses mouvements. Cette ode à la liberté est transposée dans les dentelles étincelantes de la collection de haute joaillerie Plume de Chanel. Six parures, imaginées par le regretté Patrice Leguéreau, cristallisent dans un florilège de diamants et de pierres roses le souvenir des longues aigrettes blanches qui couronnaient les chapeaux de la modiste dans les années 1910. Ces plumes précieuses – tout en s'inspirant de motifs présents dans l'unique collection de joaillerie présentée par la couturière en 1932 – répandent la légèreté de leurs entrelacs grâce à des articulations virtuoses et à des emmaillements sphériques réalisés cil à cil.

Graff, le tendre envol

<FIGCAPTION>Pièce unique de chez Graff, cette scène d’une grande douceur reprend la tradition du bijou de sentiment.</FIGCAPTION>
Pièce unique de chez Graff, cette scène d’une grande douceur reprend la tradition du bijou de sentiment.

Un vif engouement pour les oiseaux atteste à partir des années 1940, et pour les trois décennies suivantes, le renouveau des thèmes de la faune et de la flore dans les arts joailliers. Le collier dévoilé à Paris, fin janvier, par la maison londonienne Graff remet à l'honneur cette recherche du mouvement organique, du volume et du dynamisme qui suggère l'idée d'envol. Fruit de trois années de travail, la pièce unique met en scène deux oiseaux qui évoquent des moineaux, motif privilégié du répertoire animalier.

Ils évoluent aux extrémités d'une cascade faisant briller 125 carats de diamants minutieusement taillés et polis sur mesure. Leur attitude, tout en douceur, symbolise l'attachement conjugal ou filial, dans la tradition du bijou de sentiment. Suspendu à un bec d'onyx, un diamant jaune Fancy Intense en forme de poire de 13,51 carats rappelle la capacité du joaillier à fournir aux privilégiés de la fortune des pierres au pedigree exceptionnel.

Louis Vuitton, les fleurs célestes

À Découvrir Le Kangourou du jour Répondre La France du XIXe siècle est à l'honneur dans les 50 pièces exclusives imaginées par Francesca Amfitheatrof pour Louis Vuitton (ci-contre). Rien de passéiste cependant dans cette haute joaillerie qui célèbre l'effervescence des Expositions universelles, l'avènement de la mobilité et les avancées technologiques. Des diamants, taillés dans une forme exclusive, évoquent une fleur ou un astre. Ils étoilent de leurs reflets des treillages de métal noble qui adressent un clin d'œil à l'armature de la tour Eiffel.

À noter : la présence de nombreuses pierres exceptionnelles et rarissimes – notamment des saphirs du Cachemire et du Sri Lanka – témoigne de l'importance accordée par l'expert gemmologue de Louis Vuitton aux notions de vivacité. Deux diamants Fancy Vivid Orangy Yellow répandent leur couleur extraordinaire sur une paire de boucles d'oreilles, certainement la plus précieuse de la maison.

Orfèvrerie domestique

Inspirées de pièces emblématiques du catalogue Repossi, trois créations décoratives ont été imaginées par Charles Zana, le duo britannique Campbell-Rey et Louise Liljencrantz, grande ébéniste suédoise, pour la maison Invisible Collection. Ces œuvres traduisent l'essence du luxe du joaillier dans l'espace intime. Plus qu'un dialogue entre design et joaillerie, cette collaboration réinvente la notion d'ornementation. Ci-contre, un miroir inspiré de la collection de haute joaillerie Blast, récemment enrichie d'une bague spectaculaire.

Les forces de la matière

L'appel de la nature s'exprime également cette saison par l'emploi de gemmes d'anthologie – en particulier les diamants de couleur –, mais aussi par des associations originales de matières. De Beers poétisait la longévité des arbres en bordant de jais noir et luisant plusieurs pierres remarquables (ci-dessus). Stéphanie Sivrière, directrice artistique de la haute joaillerie Piaget, traduit la sérénité des canopées luxuriantes et l'allégresse des seventies en couronnant de tourmalines au vert intense ou de turquoises à l'azur tendre la chaleur du bois naturel cerclant des armatures d'or rose. Pomellato, par la virtuosité d'un sertissage expert, transmute une myriade de diamants blancs en parcelles de sable illuminé (ci-dessous).

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