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Hommage à Gilbert Rist, universitaire genevois à la pensée prémonitoire

Jean-Luc Maurer, professeur honoraire à l’IHEID et directeur de l’IUED de 1992 à 2004, évoque la mémoire du professeur d’anthropologie récemment disparu

. — © Capture YouTube
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Le professeur Gilbert Rist s’est éteint paisiblement dans la nuit du 14 au 15 février au terme d’une cruelle maladie dont il avait décidé, avec une grande lucidité et un courage admirable, d’interrompre le traitement. C’est une très grande perte pour sa famille, mais aussi pour le large cercle de ses ami·es. C’était un homme d’une droiture irréprochable, doublé d’un remarquable intellectuel à la rigueur intransigeante et à l’humour redoutable.

Sa trajectoire de vie est exemplaire, de son engagement précoce pour la paix et la justice dans le monde jusqu’à sa brillante carrière universitaire, entièrement consacrée à la défense de la diversité culturelle et à la critique du concept de développement. Il a beaucoup marqué l’histoire de l’Institut universitaire d’études du développement (IUED), auquel il était profondément attaché, et sa disparition afflige toutes celles et ceux qui ont eu la chance d’y travailler avec lui ou d’y bénéficier de ses enseignements.

Lire aussi ce texte d’opinion de Gilbert Rist: Les Objectifs du développement durable, un catalogue de vœux pieux («Le Temps», 15.12.2014)

Né en juillet 1938 à Genève, Gilbert Rist a fait sa maturité fédérale classique en 1957 au Collège Calvin, avant d’entreprendre simultanément deux licences à l’Université de Genève, l’une en sciences politiques et l’autre en théologie, obtenues respectivement en 1963 et en 1964. De 1966 à 1971, il assure la direction du Foyer John Knox et fonde le Centre Europe-Tiers-monde (Cetim) dont il sera le directeur de 1971 à 1975. En parallèle, il entreprend, à l’IUHEI, une thèse de doctorat qu’il défend en 1977.

Lire également: Le Développement bien tempéré («Journal de Genève» et «Gazette de Lausanne», par Pascal Garcin, 02.03,1987)

Pendant les années 1970, il s’engage résolument dans la société civile, jouant notamment un rôle clé comme membre du comité du Mouvement anti-apartheid de Suisse de 1966 à 1977 ainsi que de la Déclaration de Berne (Association suisse pour un développement solidaire) de 1971 à 1978. En 1978, il devient chargé de cours à l’IUED et rejoint l’équipe rédactionnelle des Cahiers de l’IUED, publiés aux PUF, qui vont fortement influencer la pensée critique sur le développement. En 1985, il est nommé professeur dans le domaine des relations interculturelles, poste qu’il occupe jusqu’à la fin de sa carrière académique en 2003.

Lire encore: La civilisation bourgeoise, un immense intestin, par Gilbert Rist («Journal de Genève», 01.11.1969)

Au niveau de son enseignement, en plus d’avoir été longtemps responsable du cours de base en anthropologie, Gilbert Rist a animé, au fil des ans, de nombreux séminaires sur les problèmes d’identité culturelle et de relations interculturelles. Il a laissé à ses étudiant·es le souvenir de sa riche culture classique, de ses vastes connaissances en sciences sociales, de sa rigueur d’analyse, de son élocution claire et de son humour permanent. En matière de recherche, il a aussi été très actif et laisse une œuvre majeure qui continuera pour longtemps à inspirer les gens travaillant sur ou dans le développement.

Un rôle majeur à l’IUED

Elle est couronnée par son influent ouvrage Le Développement. Histoire d’une croyance occidentale (Presses de Sciences Po, Paris, 1996), qui a été traduit notamment en anglais, en espagnol, en italien et en chinois, et dont la quatrième édition est parue en 2022. Sur le plan institutionnel, Gilbert Rist a aussi joué un rôle majeur à l’IUED et assuré de lourdes responsabilités administratives en acceptant en 1990 de prendre pour quatre ans le poste de directeur adjoint chargé du programme d’enseignement. C’est pendant son dicastère que fut lancé le doctorat en études de développement de l’IUED, dont il est le père, et qui n’existe hélas plus aujourd’hui à l’IHEID.

Lire enfin: «Le développement est une croyance dont il s’agit de se défaire», propos recueillis auprès de Gilbert Rist par Joëlle Kuntz («Le Nouveau Quotidien», 18.12.1996)

C’est un homme d’exception qui vient de nous quitter. Il laisse derrière lui un grand vide aux siens et dans la communauté intellectuelle des hommes et femmes de bonne volonté qui luttent pour un monde meilleur et pour la survie de l’humanité sur la planète Terre.