Il est de fait que l’agriculture est génératrice de pollution via des émissions de gaz à effet de serre [1] et plus particulièrement de méthane. Même si sa durée de vie dans l’atmosphère ne dépasse pas 12 ans contre 100 ans pour le CO2, le méthane (CH4) a un pouvoir de réchauffement 21 à 31 fois plus élevé que celui du gaz carbonique, d’où sa dangerosité (2ème gaz le plus nocif pour l’effet de serre ; il y en a aujourd’hui a priori 2 fois plus qu’à l’ère préindustrielle).
Les flatulences et les rots, et encore plus précisément la fermentation entérique des ruminants (bovins, ovins, caprins, équins liée à l’alimentation) est notamment à l’origine de ces émissions. Les urines produisent parallèlement du protoxyde d’azote (N2O).
Mais il faut rappeler également le rôle de captation du CO2 des prairies et des haies générées par l’élevage et l’impact des pratiques d’élevage (caractère intensif, nature et qualité de l’alimentation…). Eliminer les prairies et les labourer pour implanter d’autres cultures ou défricher pour augmenter le nombre de prairies pour l’élevage induirait la libération du carbone stocké. Par ailleurs, l’agriculture contribue à préserver les sols en favorisant la biodiversité, et permet une valorisation de produits locaux, de saison et responsables.
Il s’agit donc moins de réduire l’élevage (projet néanmoins de l’Ethiopie) que de le réguler et/ou d’en rendre les pratiques plus vertueuses. Les méthodes d’élevage traditionnelles sont souvent relativement efficaces pour transformer l’herbe et certains déchets en aliments utiles pour le bétail. Le modèle d’élevage intensif « croissance rapide, rendement élevé » est lui beaucoup moins efficace, car il utilise des quantités considérables de céréales et de soja riche en protéines (haute demande en énergies fossiles et en pesticides) pour répondre aux besoins en aliments des animaux.
Du fait de sa contribution aux émissions de GES, il est néanmoins sans doute essentiel que le secteur agricole participe à l’effort d’atténuation global et valorise la valeur sociale des dommages attendus du changement climatique.
Deux mécanismes - directement liés aux exploitations - peuvent être envisagés à cet égard : taxation ou marché de droits (quotas). Les difficultés et coûts du contrôle (collecte des informations nécessaires au calcul de l’assiette ou position par rapport aux quotas alloués) sont dans les deux cas une donnée importante.
Les questions redistributives soulevées par ces instruments se posent différemment dans le cas d’une taxe et d’un marché de droits :
dans le premier cas, la question essentielle porte sur l’utilisation du produit de la taxe (inclusion au budget général, redistribution sous forme d’aide à l’adoption de pratiques moins polluantes, favorisation de la méthanisation ?) ;
dans le second cas, elle se déplace sur l’allocation initiale des droits (sur une base historique, ou individualisée, non individualisée, ou encore aux enchères ?).
Juxtaposer un marché de droits et un instrument en prix sur les émissions agricoles serait potentiellement source de distorsions, non évaluées à ce jour.
Le cas de la Nouvelle Zélande a fait la une de la radio néo-zélandaise, mardi 11 octobre 2022. Un projet de loi - à vigueur envisagée en 2025 - a été annoncé, permettant de faire payer un impôt aux agriculteurs qui possèdent des animaux d’élevage… Première mondiale ! [2].
Il est vrai que le pays compterait 6 à 7 millions de vaches, contre 5 millions d’humains, sans compter les 26 millions de moutons ! et l’agriculture y représenterait a priori 50% des émissions de gaz à effet de serre (contre 19% en France [3]).
Ce projet de loi s’inscrit dans le cadre des engagements de la Nouvelle-Zélande à réduire significativement ses émissions de GES d’ici à 2030, mais la facture s’élèverait à 3 milliards de dollars pour les agriculteurs, ce qui a évidemment provoqué une très forte réaction au sein du métier (au surplus fort poste d’exportation notamment à destination de la Chine).
Le Gouvernement répond que les agriculteurs, en compensation du paiement de cette taxe, pourront augmenter leurs tarifs s’ils basculent leurs activités vers des pratiques moins polluantes (par exemple remplacer les céréales et le soja par des légumineuses qui ne créent pas de ballonnements telles que l’astragale pois chiche, le sainfoin, varier les types de plantes fourragères dans les pâturages ou encore inclure du lin ou des algues dans l’alimentation).
La première ministre Jacinda Ardern a déclaré que cette « proposition réaliste » réduirait les émissions agricoles tout en rendant les produits plus respectueux de l’environnement, renforçant ainsi la « marque d’exportation » de la Nouvelle-Zélande. Les agriculteurs contribueraient ainsi à un fonds destiné à être réinvesti pour favoriser l’innovation dans la filière en vue de la réduction de la production de ces gaz.
Sous-jacente à cette actualité, est la question de l’internalisation des coûts environnementaux à long terme dit autrement à l’internalisation des coûts sociaux des activités économiques par rapport à une logique de rentabilité à court terme, non ou insuffisamment vertueuse.
La fiscalité écologique est un outil essentiel pour atteindre les objectifs environnementaux ; ainsi pour ceux que la France s’est fixée, notamment dans le cadre de son Plan climat et de plusieurs feuilles de route (Plan biodiversité, feuille de route économie circulaire…). Les bases juridiques d’une telle fiscalité sont jetées par la Charte de l’environnement, partie intégrante de la Constitution depuis 2005 [4].
Dans la pratique et dans le contexte global de réduction des GES, les pays ayant mis en place une taxe carbone [5] (assise sur le principe pollueur-payeur) n’ont pour l’instant taxé que le CO2, et même que le CO2 des énergies fossiles. Les émissions de CO2 liées à l’utilisation des terres ou à leur transformation n’ont pas été prises en compte [6]. Leur non inclusion peut sans doute s’expliquer, outre le poids des lobbies, par la complexité et l’incertitude des calculs d’émissions.
La fiscalité environnementale formalise directement le principe que chacun doit prévenir les atteintes qu’il porte à l’environnement et assumer ses responsabilités.
C’est donc un instrument-clef d’un pacte social écologique : l’acceptabilité de la fiscalité environnementale ne peut être réussie que si elle est lisible et si elle se conclut entre tous les acteurs concernés, emportant un véritable contrat fiscal écologique.
Si on tire les conséquences de ce principe dans le domaine de l’élevage, il faut donc que chaque bénéficiaire participe à l’effort (l’Etat et les collectivités via peut être des subventions fléchées sur fonds publics, les consommateurs par l’effet quasi certain d’une répercussion sur les prix éventuellement compensées par des mesures d’accompagnement, le monde agricole mais aussi le reste de la chaîne de production alimentaire : producteurs d’engrais et de pesticides en particulier) avec une atténuation/dégressivité liée à l’intégration de pratiques meilleures.
En ce sens ne faudrait-il, d’ailleurs, pas plutôt parler de redevance que de taxe ?
L’objectif d’une redevance étant de compenser le juste coût d’un service, son acceptation peut en être facilitée.
De multiples pistes de réflexion et solutions existent, on le voit [7].
Reste là, comme ailleurs ; à créer de nouveaux réflexes via des mécanismes juridiques appropriés, emportant l’acceptation de tous.