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1000 viesBernard Crettaz

C’est peut-être cela que vous transmet celui qui croit: il donne le sentiment, même à l’annonce de sa mort à 84 ans, de n’être pas parti, mais vivant absolument, tournoyant toujours autour de vous, cœur et âme, souriant et espiègle presque, un angelot bienveillant et chaleureux.

Je ressens cela concrètement avec Bernard Crettaz. Je suis un parmi les 100’000, amis ou connaissances, comme on dit, qui l’ont croisé dans cette vie, ont pu lui parler quelques instants. Je l’écris souvent: c’est la vraie chance du métier que je fais d’avoir une raison d’aller vers des gens, célèbres ou pas, fameux ou non, à peine «dans l’actualité». Et parfois seulement, ça devient une courte rencontre, pas une interview ou toutes ces histoires vulgaires. Il s’est passé ça avec Crettaz. Il doit rire de savoir que je l’imagine aujourd’hui avec des ailes blanches dans le dos, en train de voleter alentour, encourageant et gai. Il a fait trace en moi, c’est la seule façon de dire, et cette trace est à la fois griffure et marque de la plus sincère reconnaissance.

Parce qu’il parlait si joyeusement des choses tristes, Crettaz, la mort en premier, qu’il les rendait soudain tangibles, moins dangereuses, presque familières. Je ne crois pas que cela aide à être «prêt» pour autant – il disait se méfier de ceux qui se prétendent prêts – mais mourir devenait au fond simplement existentiel, c’est le mot juste, vertigineux mais tout de même dans un bel ordre des choses. Il faisait comprendre que savoir la mort, c’était juste vivre mieux et plus intensément, moins à côté de soi.

Alors qu’il parle en joie ou en colère de la Suisse, d’Anniviers, de désir et des sens, d’amour, de chalets ou vaches, de pinard, des pénitenciers ou de la camarde, il avait sa façon d’enlever les filtres, de dévoiler, d’aller à l’os: Crettaz était un intellectuel qui n’aspirait qu’au spirituel et à la sensation. C’est-à-dire à une vérité à l’os, celle qui ne se paye pas de mots. Il ne vous faisait pas de théorie socioethnologique, il essayait seulement de vous aider à regarder les choses en face.

Je voudrais penser qu’il va nous manquer, me manquer, mais non: il est là, véritablement, j’ai l’impression en écrivant ces lignes qu’il me dit dans l’oreille de ne pas en rajouter trop non plus, que c’est gentil, mais n’oublions pas de prendre la vie à pleine bouche. Je sais pour toujours ce regard émouvant et ému à la fois, là, juste en dedans. Il ne sera jamais un fantôme, Crettaz, mais une main chaude et une force pour se laisser guider par la tendresse. On n’a pas souvent affaire à des types éblouissants comme ça, qui font voir la cruelle beauté du chemin. Merci, Crettaz, pour ces cafés immortels.