Le grand cœur d’Aïcha Chenna, «la Mère Teresa du Maroc», a cessé de battre

Aïcha Chenna, icône de la lutte pour les droits des femmes au Maroc, est décédée ce dimanche 25 septembre à l’âge de 81 ans. Nous l’avions rencontrée en 2006 dans sa structure à Casablanca accueillant des mères célibataires répudiées par leurs familles et la société.

Aïcha Chenna (ici en 2006) a fondé l'association Solidarité féminine en 1985. Dans la structure de l'ONG à Casablanca, elle accueillait des mères célibataires et leur proposait des formations, des cours d’alphabétisation, un travail... LP/Gaël Cornier
Aïcha Chenna (ici en 2006) a fondé l'association Solidarité féminine en 1985. Dans la structure de l'ONG à Casablanca, elle accueillait des mères célibataires et leur proposait des formations, des cours d’alphabétisation, un travail... LP/Gaël Cornier

    Aïcha Chenna maniait parfaitement l’autodérision quand elle devait se résumer. « Je ne suis ni Sophia Loren, ni Brigitte Bardot, juste une grosse dame qui porte secours aux mères célibataires », nous confiait-elle lors d’une rencontre, chez elle à Casablanca, en juillet 2006. Le rire et l’humour de celle qui, de l’autre côté de la Méditerranée, était baptisée « la Mère Teresa du Maroc », appartiennent désormais aux (bons) souvenirs. L’icône féministe marocaine, qui avait été adoubée par le roi Mohammed VI, est décédée dimanche 25 septembre des suites d’une longue maladie à l’âge de 81 ans.

    Fondatrice, en 1985, de l’association Solidarité féminine, elle tentait de redonner de l’espoir à ces jeunes mamans ayant mis au monde un bébé hors mariage. Des femmes à la rue, répudiées par leur famille, battues par leurs frères. L’ONG leur propose des formations, des cours d’alphabétisation, un travail dans une structure unique en son genre abritant un restaurant solidaire, une pâtisserie, un salon de coiffure, une salle de sport, un hammam… Parmi ces « parias » sur la voie de la reconstruction, des mères abusées par un homme qui leur a fait croire aux épousailles ou des « petites bonnes » maltraitées, ces gamines tombées enceintes après avoir été violées par leur employeur.

    Aïcha Chenna à Casablanca en 2006, avec une des protégées de son association.
    Aïcha Chenna à Casablanca en 2006, avec une des protégées de son association. LP/Gaël Cornier

    Leurs enfants y sont accueillis à bras ouverts. Ses engagements lui valaient de recevoir régulièrement des lettres d’insultes et des « condamnations morales », comme elle le disait elle-même, émanant, entre autres, d’imams radicaux. Ils l’accusaient de « vouloir occidentaliser la société marocaine » et de « contribuer à l’existence de bâtards ».

    Une action reconnue au niveau international

    Née en 1941, Aïcha, orpheline de père très tôt, avait entrepris des études d’infirmière avant de travailler comme animatrice d’éducation sanitaire et sociale. Son envie de briser des tabous, notamment celui de l’inceste, a vu le jour en 1981. Cette année-là, elle a eu un « électrochoc » quand elle a entendu les cris d’un bébé enlevé du sein de sa mère célibataire à qui l’assistante sociale présentait un acte d’abandon à signer. « Ils résonnent encore dans ma tête. Depuis ce jour-là, je me suis juré de faire quelque chose », nous décrivait cette mère de quatre enfants il y a seize ans. En 2017, l’inépuisable militante appelait encore le ministère de l’Éducation nationale marocain à initier des cours d’éducation sexuelle dans les écoles du royaume.

    Son combat a été récompensé de nombreux prix internationaux, aux États-Unis mais aussi en France. En 1995, elle recevait le prix des Droits de l’homme de la République française et avait été décorée, en 2013, de l’insigne de Chevalier de la Légion d’honneur. Même si elle dérangeait une partie de la population marocaine, le roi Mohammed VI lui avait attribué en 2000 une médaille d’honneur. Il avait à l’époque fait un don, sur ses propres deniers, d’un million de dirhams (95 000 euros) en faveur de son association.

    La « mère courage » – son autre surnom – avait été conviée à plusieurs reprises au palais royal. « C’est vrai, on peut dire que j’ai une histoire d’amour avec lui », nous racontait-elle, hilare, en 2006. Son franc-parler détonnait. « Je suis trop directe pour faire de la politique… »