Femme de lettres, dont chaque livre peut se lire comme une profession de foi à la littérature et à la puissance « chamanique » des mots. Femme d’images aussi, passionnée par le cinéma, qu’elle a enseigné, et par la photographie, qu’elle pratiquait en amatrice éclairée. Femme d’engagement et de combat pour promouvoir la lecture, convaincue que l’imaginaire est « un bien sans pareil » et « la transmission, une question politique ». Anne-Marie Garat était tout cela. Et plus encore. Une merveilleuse conteuse, hantée par les fantômes de son histoire et de celle de son siècle, pour qui le roman était une « machine à histoires » inépuisable, ouverte à tous les possibles. Les membres du jury Femina, dont elle faisait partie depuis 2014, ont annoncé son décès, à Paris, le 26 juillet. Agée de 75 ans, elle était atteinte d’un cancer du pancréas.
Née à Bordeaux, le 6 octobre 1946, dans une impasse du quartier populaire des Chartrons, la fillette est élevée au sein d’une famille – son père était ouvrier dans une chocolaterie, sa mère, couturière – où les seuls livres sont des manuels scolaires, faute d’argent. C’est à la bibliothèque de prêt que cette « liseuse gloutonne » va assouvir sa boulimie, ainsi qu’elle le relate avec saveur dans Humeur noire (Actes Sud, 2021). Contes de Perrault – bien plus tard, elle proposera une passionnante relecture du Petit Chaperon rouge dans Une faim de loup (Actes Sud, 2004) –, romans de la « Bibliothèque rose », de la « Bibliothèque verte », journaux illustrés, BD, feuilletons à la radio… rien ne semble contenter sa fringale d’histoires. Aussi la fillette commence-t-elle à écrire, sans autre ambition que de se bricoler un petit monde à elle, pour elle seulement. « Chez nous, écrivains ça n’existe pas. A l’école, ce sont des gens prestigieux mais défunts : rien d’enviable. Ecrire, rien n’y autorise, n’y invite », écrit-elle encore dans Humeur noire.
A cette dévorante passion vient s’ajouter celle pour le cinéma, notamment grâce à son père. Elle devient une abonnée du ciné-club de son quartier où, avec la même avidité que pour la littérature, elle voit tout à trac westerns, films de guerre, de gangsters, comédies, mélodrames, autant de films qui peupleront son imaginaire et ses livres. Bac en poche, dans l’effervescence de Mai 68, l’étudiante éblouie autant par le Nouveau Roman que la Nouvelle Vague s’oriente naturellement vers ce qui « électrise » son existence : les lettres et le cinéma, qu’elle enseigne d’abord à Périgueux puis, à partir des années 1980, au lycée expérimental de Montgeron (Essonne) où, dans un bouillonnement intellectuel et artistique, elle connaîtra ses plus belles années.
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