Dans le désert du Neguev, les arbres de la colère

Forces de sécurité israéliennes arrêtant un jeune manifestant bédouin à Sa’we al-Atrash le 13 janv. ©AFP - Menahem Kahana
Forces de sécurité israéliennes arrêtant un jeune manifestant bédouin à Sa’we al-Atrash le 13 janv. ©AFP - Menahem Kahana
Forces de sécurité israéliennes arrêtant un jeune manifestant bédouin à Sa’we al-Atrash le 13 janv. ©AFP - Menahem Kahana
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Le désert du Neguev, en Israël, est secoué par des affrontements entre la police israélienne et les Bédouins qui dénoncent un projet de plantation d'arbres. Ils accusent l’État de vouloir confisquer leurs terres pour les expulser.

Aimables mais fermes, les policiers israéliens postés en permanence sur le site à proximité de la localité bédouine d'Al Atrash viennent contrôler les journalistes. La consigne est sans appel : la future zone de plantation des eucalyptus, où ils ont garé leurs véhicules 4x4 blancs est interdite d'accès. Sur l'immense étendue jaune et ocre, de sable et de cailloux, on voit encore les marques des pneus des bulldozers et des camions venus niveler le terrain, à une heure trente de route au sud de la Jérusalem, en direction de la frontière égyptienne.

Près de localité d'Al Atrash, les bulldozers ont préparé le terrain pour la plantation des arbres
Près de localité d'Al Atrash, les bulldozers ont préparé le terrain pour la plantation des arbres
© Radio France - Frédéric Métézeau

Dhiyaa, employé de restauration dans une colonie israélienne de Cisjordanie, contemple les lieux le visage serré : "Les Juifs ne veulent pas planter des arbres ici pour l’écologie, mais pour prendre possession de la terre. Ils délimitent des parcelles, et l’État les soutient contre les Bédouins. Et pourtant, notre présence ici date de bien avant la création d’Israël".

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Pas question d'aller vivre dans une ville nouvelle

Les Bédouins sont des Arabes du désert, nomades à l'origine, des éleveurs vivant un peu partout au Proche et Moyen-Orient. Aujourd'hui, ils sont environ 250 000 à Israël, citoyens de l’État fondé en 1948 sur des terres qu'ils habitaient depuis des siècles. Ils se sont sédentarisés mais à partir des années soixante-dix, l’État a voulu les installer dans des villes dortoirs aux portes du Neguev.

Les Bédouins, restés des éleveurs, refusent d'aller vivre dans ces lotissements.
Les Bédouins, restés des éleveurs, refusent d'aller vivre dans ces lotissements.
© Radio France - Frédéric Métézeau

Aouda Al Atrash, frère de Dhiyaa et maçon qui parle un très bon hébreu, en est persuadé : les projets de plantation du Fonds National Juif (qui gère une grande partie des forêts en Israël) dissimulent de futures expulsions :

Ils veulent nous enfermer dans des boîtes de sardines.

Nous sommes des Bédouins, notre mode de vie est différent. Nous sommes proches de la nature, nous sommes des éleveurs, nous avons des troupeaux. Nous ne pouvons pas vivre en ville. Nous avons toujours vécu comme ça". Les villages bédouins, que l’État ne reconnaît pas officiellement, sont situés plusieurs kilomètres à l'écart des routes nationales goudronnées, desservis par des pistes caillouteuses. Les familles vivent dans des maisons en dur mais au confort très sommaire,  raconte Saja, 18 ans, la fille d'Aouda, qui veut devenir journaliste : "Nous avons la nationalité israélienne, mais aux yeux de cet État nous sommes des sous-citoyens. Nous vivons dans un dénuement total. La vie ici est extrêmement difficile. Je viens de finir le lycée et je rêverais de pouvoir poursuivre mes études, mais comment sortir d’ici ? Nous n’avons même pas de route. On n’a ni eau ni électricité.

Nous ne disposons même pas des commodités de base.

Et nous ne sommes pas les seuls à vivre dans cette situation. Dans le Néguev, il y a 34 ou 35 villages où des Bédouins vivent dans des conditions aussi précaires que nous. Et pourquoi ? Parce que l’État souhaiterait confisquer nos terres, et nous enfermer dans des lotissements."

Loin des transports en commun, les Bédouins bénéficient de l'instruction et du système de santé publics. Ils peuvent faire leur service militaire s'ils le souhaitent et beaucoup travaillent au contact de la population israélienne juive, par exemple dans le bâtiment. Mais sur son smartphone, Saja montre des vidéos où l'on voit des policiers charger la foule, blessant parfois de jeunes adolescents. Du côté des Bédouins, certains jeunes s'en sont pris à des journalistes et ont essayé de bloquer un train. Plusieurs dizaines d'entre eux ont été arrêtés.

Avec sa fille Saja, Aouda Al Atrash montre un morceau d'une grenade de désencerclement de la police
Avec sa fille Saja, Aouda Al Atrash montre un morceau d'une grenade de désencerclement de la police
© Radio France - Frédéric Métézeau

Crise politique au sein de la coalition

Ces émeutes des derniers jours ont résonné jusqu'au Parlement israélien à Jérusalem. Au sein de la fragile majorité - associant la droite nationaliste, le centre, la gauche et un parti islamiste - crise politique n'est jamais bien loin. L'ancien responsable des plantations au Fonds National Juif, devenu député de centre-droit, affirme qu'il n'y a pas d'expulsion en préparation mais juste une préservation de la terre. Mais lundi dernier, pour dénoncer ce qui se passe dans le Neguev, l'une de ses collègues issue de la gauche pacifiste a voté contre une réforme du service militaire proposée par le Premier ministre. Le projet de loi a donc été rejeté et la presse israélienne spécule sur l'écroulement de la coalition.

Les regards sont notamment braqués vers Mansour Abbas, leader du parti islamiste Raam, qui soutient ses électeurs bédouins mais sans aller jusqu'à la rupture. Aouda tient à rappeler que "Tous les Bédouins ont voté pour lui . C’est grâce à nous qu’il a été élu et qu’il siège aujourd’hui au parlement. Si Dieu le veut il doit tout faire pour mettre un terme à la confiscation de nos terres. Nous voulons des solutions". Le ministre des Affaires sociales Meir Cohen a annoncé un "compromis" et "des négociations en vue d'un règlement". En attendant, les Bédouins vaquent à leurs occupations sous un froid soleil d'hiver, seulement dérangés par les avions de la base aérienne toute proche, qui déchirent régulièrement le silence du désert.

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