Pourquoi la régulation des PFAS, ces molécules toxiques et très persistantes, reste balbutiante
Les PFAS, des molécules massivement utilisées dans l'industrie pour leurs propriétés antiadhésives, s'avèrent toxiques et très persistants dans l'environnement. Cancers, hypertension de grossesse, cholestérol... Malgré leurs impacts négatifs sur la santé, largement étayés par des études ces dernières années, leur régulation n'en est qu'à ses balbutiements.
Le 18 octobre, l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) annonçait sa feuille de route pour lutter contre les PFAS, ou substances per- et poly-fluoroalkylées. Ces molécules, toxiques et presque indestructibles, commencent enfin à faire l’objet d’une réglementation outre-Atlantique, où ils ont été développés, mais aussi dans l’Union européenne. Malgré une succession de rapports et études alarmants, le chemin reste long avant une éradication de l'usage de cette molécule prisée des industriels depuis plus de 80 ans.
Des substances omniprésentes dans le quotidien
Mis au point par l’entreprise chimique américaine DuPont en 1938, les PFAS ont envahi les objets du quotidien, pour leurs propriétés antiadhésives. Les poêles au Téflon sont l’exemple le plus connu de leur utilisation, mais ils entrent aussi dans la composition de certains emballages alimentaires (notamment dans les fastfoods), d'imperméabilisants anti-tâches, d'enduits et jusqu’à récemment de mousses anti-incendie.
Constitués d’une structure en carbone extrêmement solide, les PFAS se décomposent très lentement dans l’environnement, ce qui leur a valu le surnom de "produits chimiques éternels". Les résidus ont pollué les eaux, les terres, les végétaux... Ils s'accumulent dans l'organisme des êtres vivants, animaux comme humains. Des études passées et encore en cours aux Etats-Unis (entre autres dans le New Jersey) estiment qu'on en retrouve des traces chez plus de 99% des Américains.
En 2019, un rapport de Santé publique France faisait état d’un grand nombre de risques associés pour l’homme, notamment sur la reproduction : « altération de la fertilité et de la morphologie spermatique, effets hépatiques par une augmentation du taux de cholestérol et des enzymes sériques, effets cardiovasculaires par un risque d’hypertension artérielle et de pré-éclampsie, effets endocriniens par une augmentation du risque de maladies thyroïdiennes. »
Une prise de conscience récente
Le film Dark Waters (2019) de Todd Haynes dénonçait les nombreux problèmes de fertilité et de maladies résultant des rejets chimiques de l’entreprise DuPont, ainsi que le combat judiciaire qui s’est ensuivi pour indemniser les milliers de familles touchées. Depuis, la pollution aux PFAS a été davantage relayée par la presse mais en dépit d’une littérature aujourd’hui abondante, le sujet reste méconnu des Français, voire des régulateurs eux-mêmes. En France deux rapports ont vu le jour, le premier (55 pages) de l’Anses en 2017 et le deuxième (177 pages), en 2020, du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), réalisant un état des lieux poussé de la présence des PFAS en France. Malgré ces éléments, la réglementation des PFAS est réduite à quelques restrictions au niveau européen et à une proposition de loi en France.
Réguler plus de 4500 PFAS, un casse-tête?
Avec plus de 4500 déclinaisons de cette famille d'alkyls perfluorés et polyfluorés, les PFAS sont un casse-tête à réguler si l’on s’attaque à chacun d‘eux indépendamment. En 2009, deux familles - les PFOS et PFOA - très largement utilisées dans l’industrie ont été inscrites sur la liste des substances couvertes par la Convention de Stockholm, le moyen le plus efficace d'interdire une molécule à l’échelle mondiale. Cependant, d’autres PFAS continuent d'être mis au point pour contourner ces interdictions. Un « cycle infernal », pour reprendre les termes de Julie Lions, chercheuse au BRGM. Un moyen de réguler cette molécule toxique serait de bannir le groupe entier des PFAS, en commençant par des finalités spécifiques. C’est ce qu’a fait le Danemark, en interdisant en 2020 les PFAS dans les emballages alimentaires. Cinq pays européens (les Pays-Bas, l’Allemagne, la Norvège, le Danemark et la Suède) ont proposé des restrictions de l’ensemble des PFAS.
Et en France ?
En France, la publication en mai 2021 d’un rapport par neuf ONG, dont Générations Futures, a attiré l’attention des sénateurs. La sénatrice Angèle Préville a déposé deux amendements pour encadrer les PFAS. Le premier, qui réclamait l’interdiction de toute substance per- et polyfluoroalkylée, a été rejeté car il n’entrait pas dans le cadre du projet de loi « Lutte contre le dérèglement climatique ». Considéré comme un cavalier, donc. Le deuxième a quant à lui été adopté et demande un rapport sur l’utilisation des PFAS. Même si l’Anses et le BRGM ont déjà publié deux études, celles-ci doivent être intégrées dans le rapport demandé par la sénatrice pour être examinées par le gouvernement. « Les rapports obligent le gouvernement à se prononcer à ce sujet », indique la sénatrice à l’Usine Nouvelle.
A cette lourdeur administrative s’ajoute la méconnaissance du sujet au sein de l’hémicycle : « Très clairement, nous avons noté une méconnaissance des PFAS chez les sénateurs, qui découvraient le sujet, ajoute la sénatrice. Ils ont écouté, ne se sont pas immédiatement prononcés pour l’interdiction des PFAS, mais ont souhaité le rapport, ce qui n’est pas rien. En général, les sénateurs ne veulent pas des rapports qui sont trop lourds administrativement, mais dans le cas contraire, cela montre un réel intérêt de leur part. » Il faut cependant compter au moins six mois pour la publication dudit rapport.
Il est urgent d'avancer sur la substitution des PFAS
Certains industriels anticipent l’évolution de la réglementation, en retirant ou réduisant les PFAS de leurs produits. McDonald's a ainsi annoncé en janvier 2021 les supprimer totalement de ses emballages à l’horizon 2025. L’Usine Nouvelle a contacté le chimiste français Arkema pour savoir comment évoluait l’utilisation du PFAS dans ses recettes. L’entreprise est notamment poursuivie par l’Etat du Michigan pour «avoir connaissance depuis des décennies du fait que les PFAS sont toxiques et qu'ils posent un risque substantiel pour la santé et l'environnement », précise la plainte. Arkema a indiqué à l’Usine Nouvelle utiliser uniquement des perfluorés à chaîne courte et « en très faibles quantités », avec comme objectif d’éliminer « toute utilisation de perfluorés dans leurs procédés industriels d’ici à 2024. »
L’éradication des PFAS dans l’industrie soulève la question de leur substituabilité: dans quelle mesure pouvons-nous nous passer de cette molécule antiadhésive, et dans quels cas s’avère-t-elle indispensable ? « Dans certains usages, les PFAS ne trouvent pas leur équivalent, indique Fleur Gorre, de l’association Générations Futures. C’est le cas par exemple pour certains matériels ou vêtements dans le médical. » Trouver des alternatives aux PFAS présentant les mêmes propriétés représente un défi majeur pour pouvoir éradiquer complètement cette molécule dans nos industries.
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