« Instituteur de chinois », comme il aimait se définir, Jacques Pimpaneau était d’une profonde humilité. Ce grand spécialiste de la civilisation chinoise, jamais fasciné par le régime maoïste, ami de Simon Leys et de René Viénet, collectionneur d’art, fier marionnettiste, conteur amoureux de la Chine traditionnelle et passeur exceptionnel, est mort le 2 novembre à Paris.
Né le 12 septembre 1934 à Paris, il a toute sa vie gardé des liens étroits avec ses élèves. Les étudiants (dont l’auteur de ces lignes) qui l’ont eu comme professeur à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) se souviennent d’un homme généreux, bienveillant, disponible à toute heure pour transmettre son savoir et son érudition.
Admirateur d’Apollinaire dès son adolescence, amoureux des chats, de Lewis Carroll et des artistes, il rêve dans les années 1950 d’exposer de jeunes artistes français à Pékin et chinois en France. Il commence ses études aux Langues O’et gagne l’affection de Georges Bataille. De cette amitié avec l’auteur de L’Erotisme, il garde une forte influence intellectuelle qui transparaît dans ses travaux : « Je dois beaucoup au concept de “part maudite” de Bataille, cette idée que chaque civilisation produit plus qu’elle ne consomme pour survivre et se caractérise par ce qu’elle fait de ce surplus d’énergie. »
Dénonciation de la stratégie de pouvoir maoïste
En Chine, Jacques Pimpaneau est boursier à l’université de Pékin de 1958 à 1960. C’est l’époque du Grand Bond en avant, tragédie responsable d’une famine d’au moins 40 millions de morts. « J’ai eu une chance inouïe d’aller si tôt en Chine, dans ce régime communiste pur et dur. Si je ne l’avais pas déjà été, ça m’aurait de toute façon rendu anarchiste », résume-t-il.
Rentré en Occident, il étudie auprès de David Hawkes, traducteur du Rêve dans le pavillon rouge (Gallimard, 1981), le grand roman classique de la littérature chinoise. En Angleterre, Jacques Pimpaneau épouse Angharad, jeune neurophysiologiste galloise, la mère de ses deux enfants, Sara et Tristan. Puis, l’apprenti sinologue de 26 ans revient à Paris armé d’une certitude : « Les différences culturelles sont beaucoup moins importantes que les différences de classes sociales. »
Il découvre un chef-d’œuvre érotique de l’époque des Qing, La Chair comme tapis de prière, qu’il traduit anonymement avec son ami Pierre Klossowski (Pauvert, 1962). En 1963, il obtient à l’Inalco la chaire de langue et littérature chinoises qu’il occupera jusqu’en 1999. Ses élèves ne sont pas dupes et font circuler activement sa traduction ; c’est ainsi que la littérature érotique chinoise fera davantage pour inciter les jeunes Français à apprendre le mandarin que la reconnaissance du régime maoïste par le général de Gaulle en 1964.
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