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Un paradoxe peut être défini comme une dynamique d’interdépendances entre plusieurs éléments contradictoires. Autrement dit, il s’agit d’incohérences, plus ou moins latentes, susceptibles de s’exprimer à différents niveaux de l’organisation. Les périodes de rupture, de transition, d’innovation ou autres tendent à exacerber de tels phénomènes. Le passage d’un business model à un autre, avec tout ce que cela implique de cohabitation ambiguë entre présent et futur, stabilité et changement, en est une parfaite illustration. Le fait, par ailleurs, de devoir gérer simultanément court et long terme, exploration et exploitation, écologie et optimisation ou encore contrôle et autonomie est propice à la prolifération de paradoxes au sein des organisations. Les tensions qui en découlent se traduisent le plus souvent par un sentiment d’inconfort, un désengagement, un turn-over, voire un déclin organisationnel.

Double contrainte

Toutes les entreprises produisent des paradoxes. Les tensions s’expriment cependant de façon plus ou moins saillante en fonction de l’intensité des contradictions existantes et de la position des acteurs dans le système, selon qu’ils se retrouvent à la périphérie ou à la croisée des pressions. Les collaborateurs situés au carrefour des tensions doivent concrètement gérer un ensemble de dilemmes complexes, sans réels avantages à la clé, et néanmoins devoir en supporter le coût psychologique, managérial et politique. Il s’agit de l’application de la célèbre « double contrainte » ou « double nœud », théorisée par Gregory Bateson en 1956 au sein de l’école de Palo Alto.

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Les tensions peuvent être temporaires, si elles découlent d’un changement ponctuel, ou bien durables dès lors qu’elles émanent d’une structure organisationnelle complexe ou inappropriée (écart entre la stratégie et les objectifs, par exemple). Lorsque les tensions s’enracinent, on assiste alors à l’émergence d’un environnement structurellement dysfonctionnel, voire pathogène, susceptible de dégrader la performance organisationnelle.

Quatre stratégies

Les tensions paradoxales peuvent constituer une menace pour les organisations. Comment les gérer concrètement ? Dans « Using Paradox to Built Management and Organization Theories », les professeurs Marshall Scott Poole et Andrew H. Van de Ven suggèrent quatre stratégies génériques.

La séparation temporelle consiste à briser la synchronie. Un paradoxe est, en effet, le produit d’une simultanéité entre deux logiques contradictoires. Le fait de séquencer, de séparer dans le temps les différents objectifs, doit ainsi permettre de désamorcer les tensions.

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La séparation spatiale érige une frontière entre les différents éléments qui, pris individuellement, peuvent apparaître cohérents, mais se révèlent néanmoins contradictoires dès lors qu’ils cohabitent. Développer des business units répondant chacune à une logique propre, par exemple, s’inscrit clairement dans cette démarche. Idem lorsqu’on sépare géographiquement différents niveaux décisionnels, car il est problématique de gérer, dans un même espace, micro et macro, opérationnel et stratégique, etc.

La stratégie de synthèse, plus complexe, vise à introduire un nouveau concept, une nouvelle perspective, dans le but de réconcilier les dynamiques contraires. Il s’agit ici de transcender les contradictions à travers un nouveau référentiel, un nouvel horizon, qui permet de convertir les tensions en énergies. Une telle démarche implique des compétences majeures en matière de vision et de leadership.

L’acceptation du paradoxe consiste non pas à séparer ou à hiérarchiser les différents éléments qui produisent de la tension, mais d’apprendre à vivre avec. Il s’agit de reconnaître que l’organisation repose sur un équilibre dynamique entre différents pôles antagonistes qui, certes, génère un ensemble d’externalités négatives, mais fournit également de nombreux avantages stratégiques (résilience, innovation, créativité, etc.). On finit donc par en accepter le coût, par mettre en place un management approprié, voire par en faire une part entière de son identité.

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Il n’est pas nécessairement judicieux, ni opportun, d’engager une chasse aux paradoxes au sein des organisations. Naturellement, les structures qui alignent scrupuleusement ressources et moyens, qui imposent des procédures et des périmètres stricts, finissent par produire des frontières claires et des routines qui facilitent le quotidien. Cependant, un tel aménagement ne garantit pas que l’organisation soit la mieux adaptée pour incuber et valoriser une innovation, ni la plus agile pour affronter les mutations, ou encore la plus résiliente pour résister aux crises.

Les organisations complexes, contradictoires, produisent un ensemble de conditions et d’énergies qui peuvent se révéler stratégiques dès lors qu’elles sont bien exploitées. Il s’agit en effet d’environnements hétérogènes où se développent de façon concomitante différents modèles reposants sur des logiques distinctes. Or un tel contexte favorise significativement l’innovation. Il incombe néanmoins aux managers qui font le choix de l’acceptation du paradoxe d’expliciter clairement cette position et de préserver au mieux le bien-être des collaborateurs, afin d’éviter qu’ils deviennent, à leur corps défendant, la variable d’ajustement.

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