Elle rayonnait, elle fonçait. Au milieu de la forêt de séquoias et de pins située au nord de la baie de San Francisco où elle vivait comme sur les plages du Pacifique, la danseuse et chorégraphe américaine Anna Halprin était chez elle. Personnalité magnétique et offensive de la scène contemporaine, en tête de la postmodern dance, elle est morte le 24 mai, à l’âge de 100 ans, à Kentfield (Californie).
Inconnue en France avant d’être programmée en 2004 dans le cadre du Festival d’Automne, Anna Halprin, née Ann Schuman le 13 juillet 1920, dans une famille juive installée à Wilmette, un faubourg de Chicago (Illinois), engrange des apprentissages multiples. Enfant, elle se forme à la danse fluide et organique d’Isadora Duncan (1877-1927), intègre en 1944 la compagnie de Charles Weidman (1901-1975) à New-York, puis revient sur la Côte ouest.
Dès les années 1950, elle travaille le mouvement à partir de la notion de « task » (tâche) qui noue, autour d’actions quotidiennes, l’utilité et le sens du geste artistique loin de toute esthétique gratuite. « Cette notion fondamentale est née en réponse et au contact de l’environnement naturel dans lequel Anna vivait et donnait des ateliers, raconte la chorégraphe Anne Collod, proche d’Halprin. Danser dans la forêt ou avec l’océan l’a amenée à se démarquer radicalement du processus de création de mouvements stylisés très présent à l’époque chez nombre de chorégraphes. Elle a voulu casser les codes et s’est éloignée des questions narratives et esthétiques pour faire naître des gestes plus fonctionnels loin des normes. »
Pièce interdite pendant vingt ans
Avoir la chance de rencontrer Anna Halprin, en 2004, dans sa maison californienne en bois et verre conçue par son mari l’architecte Lawrence, et participer à un atelier donné en plein air sur son « deck », superbe plateau en bois niché dans une végétation affolante, donnait un code d’accès immédiat à la femme et l’artiste. « Profitez de ce lieu, devenez une partie de la forêt, du ciel, et vous vivrez une expérience corporelle beaucoup plus intense et plus large, indiquait Halprin. Ici, on n’enseigne pas une technique ou des pas plus ou moins complexes. Il s’agit au contraire de perdre ses habitudes pour aller là où vous ne vous êtes jamais aventurés… Laissez-vous faire et, surtout, pas de jugement. »
Découvrir dans la foulée, au Centre Pompidou, à Paris, deux de ses spectacles ressemblait à un plongeon en apnée. Créé en 1965, l’envoûtant Parades and Changes, pour neuf interprètes, jouait sur l’habillage et le déshabillage, dévoilant une nudité simplement belle. Cette pièce somptueuse fut censurée en 1967 et interdite pendant vingt ans pour cause de nudité et d’indécence aux Etats-Unis. En miroir, Intensive Care, Reflections on Death and Dying (2000), interprétée par Halprin elle-même alors âgée de 80 ans, prenait à bras-le-corps les questions du vieillissement, de la fin de vie et de la mort.
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