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Dans les archives de Match - "Isa" de France, portrait d’une jeune princesse "à marier"

« Depuis ses dix-huit ans, Isabelle a le droit de mettre du rouge à lèvres, c’est son seul maquillage. » - Paris Match n°105, 24 mars 1951
« Depuis ses dix-huit ans, Isabelle a le droit de mettre du rouge à lèvres, c’est son seul maquillage. » - Paris Match n°105, 24 mars 1951 © Walter Carone / Paris Match
Clément Mathieu , Mis à jour le

Il y a 70 ans, Match rencontrait Isabelle de France, fille d’Henri d’Orléans, comte de Paris, prétendant au trône de France, et dressait le portrait d'une jeune princesse attendant son prince charmant... Avec Rétro Match, suivez l’actualité à travers les archives de Paris Match.

«La France aussi a sa Margaret », annonce Match, au printemps 1951. Comprendre, comme la sœur d’Elizabeth du Royaume-Uni, une jeune princesse en attente d’un prince charmant... Isabelle de France est la fille aînée d’Henri d’Orléans, comte de Paris et prétendant au trône de France. Elle a 18 ans, les « yeux de porcelaine bleue » et le « pas qui danse ». On lui prête alors une idylle avec le plus beau parti du moment, Baudouin, qui deviendra roi des Belges quatre mois plus tard. « Il est très gentil », dit-elle, mais le comte de Paris a démenti.

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Match le souligne, la princesse de France est mal dotée, car ce sont les mâles qui héritent de tout dans la famille. C’est son cadet Henri (décédé en 2019) qui deviendra à son tour comte de Paris et prétendant au trône de France. « Je dois beaucoup étudier avant d'épouser un prince charmant », dit-elle. Et ce qu’elle doit étudier, en somme, c’est « le métier de jeune fille à marier ». À travers le portrait d’« Isa », c’est ainsi l'éducation d’une jeune fille de l'aristocratie que l’on découvre.

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La demoiselle, que l’on se doit d'appeler « Madame », fait ses humanités. Elle aime Dostoïevski mais pas Gide, et trouve Sartre « désespérant ». Elle monte sa jument Oliba chaque mardi, et les jeudis dessine au fusain dans un atelier de Pigalle. Elle apprend aussi à faire la mayonnaise et le gâteau au chocolat… Les études seront encore longues, mais en 1964, Isabelle épousera le comte autrichien Friedrich Karl de Schönborn Buchheim.

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Voici le reportage consacré à Isabelle de France, tel que publié dans Paris Match en 1951.

Découvrez Rétro Match, l'actualité à travers les archives de Match... 

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Paris Match n°105, 24 mars 1951

Isabelle

Reportage André Lacaze, photos Walter Carone

La seule demoiselle à qui l'on dit Madame apprend le métier de jeune fille à marier.

« La seule demoiselle à qui l'on dit Madame apprend le métier de jeune fille à marier, Isabelle. » - Paris Match n°105, 24 mars 1951
« La seule demoiselle à qui l'on dit Madame apprend le métier de jeune fille à marier, Isabelle. » - Paris Match n°105, 24 mars 1951 © Paris Match

La France aussi a sa Margaret. On l'appelle « Isa », mais on l'appelle aussi «Madame » comme toutes les filles des rois de France. Isabelle de Bourbon Orléans aura dix-neuf ans dans quelques jours. Étrange jeune fille qui ressemble aux autres, mais dont le destin est d'en être différente. Elle se veut exemplaire, car les princesses ne s'appartiennent pas. Isabelle est prisonnière de Jeanne, de Marie, d'Anne, de toutes reines au visage compassé dont elle retrouve les portraits dans les albums de famille et les livres d'histoire. Dans son nom même, elle ne peut revendiquer que deux syllabes. « Isa, dit-elle, c'est moi: Ita, c'est une tante; Bebelle, c'est maman; Babelle, ma cousine, et Mioule, ma grand-mère, » Il y a tant d'Isabelle dans la famille de France.

Le monde sait cela, qui dispose des princesses à son gré. Toutes les semaines, les journaux fiancent Isabelle à quelqu'un. « Il suffit, explique-t-elle, que j'accepte de danser deux fois avec le même cavalier, » On a même fait d'elle la fiancée du demi-siècle en annonçant son mariage avec le plus beau parti, Baudouin, le roi des Belges. Le comte de Paris a démenti et Isabelle a précisé : « Je dois beaucoup étudier avant d'épouser un prince charmant. » Elle a échoué à la seconde partie du baccalauréat.

Baudouin et Isabelle se connaissent pourtant et se trouvent sympathiques. « Il est très gentil », dit-elle. Leur première rencontre a eu lieu à Bruxelles au baptême d'Hélène, sœur d'Isabelle. Elle était âgée de deux ans et lui de quatre. Depuis, ils se sont revus il y a trois ans, en Suisse et au Portugal.

« Isabelle aime beaucoup les fleurs. Sur le balcon de sa chambre, elle arrose ses azalées. » - Paris Match n°105, 24 mars 1951
« Isabelle aime beaucoup les fleurs. Sur le balcon de sa chambre, elle arrose ses azalées. » - Paris Match n°105, 24 mars 1951 © Walter Carone / Paris Match

La fille de France est mal dotée

Isabelle est mal dotée. Tout revient aux garçons dans la famille de France ; la robe de baptême en damas doré, les souvenirs historiques, les châteaux et les tableaux de famille. Or, si elle a cinq sœurs: Diane, Hélène, Anne, Chantal et Claude, elle a également cinq frères : Henri, François, Michel, Jacques et Thibault (trois ans, le favori).

Isabelle, aux yeux de porcelaine bleue, aux dents éclatantes et au pas qui danse, vit en liberté au pays des hommes. Car toute la famille est dispersée. Le comte de Paris habite à l'hôtel Crillon, Henri le dauphin est élève de première au lycée de Bordeaux, François est chez les oratoriens de Pontoise, la comtesse est au Portugal avec six des enfants de France et Isabelle vit, avenue Pierre-Ier-de-Serbie, dans une famille amie, les Hoppenot. Un premier regroupement pour les vacances d'hiver et les dix-neuf ans d'Isabelle va avoir lieu à Obergurdel, au-dessus d'Innsbruck, « Il y aura, dit-elle, papa, maman et six de nous : à peu près la moitié. »

Cette liberté, elle en abuse pour se préparer à cet extraordinaire métier qu'elle n'exercera peut-être jamais : celui de reine. Sans agenda ni carnet, elle a minuté chaque heure de sa journée.

Isabelle n'a pas redoublé sa philo. Elle a abandonné. Sans doute en sait-elle assez sur Kant et sur Hegel, sans cloute aussi avait-elle beaucoup à apprendre sur la manière de repasser le linge et de faire une mayonnaise. Elle prépare son diplôme de « l'aide aux mères » (cuisine, économie domestique, législation sociale). Elle fait des stages dans les dispensaires. On peut voir chaque semaine à la maternité de la Croix Saint-Simon la descendante du roi Henri ravauder avec application des fonds de culottes.

« Sous l'œil de la cuisinière, elle goûte la crème au chocolat qu'elle vient de confectionner. » - Paris Match n°105, 24 mars 1951
« Sous l'œil de la cuisinière, elle goûte la crème au chocolat qu'elle vient de confectionner. » - Paris Match n°105, 24 mars 1951 © Walter Carone / Paris Match
« Pour obtenir le diplôme de “L'Aide aux Mères”, elle va chaque matin au dispensaire. » - Paris Match n°105, 24 mars 1951
« Pour obtenir le diplôme de “L'Aide aux Mères”, elle va chaque matin au dispensaire. » - Paris Match n°105, 24 mars 1951 © Walter Carone / Paris Match

On lui fait la révérence et on l'appelle Madame

Isabelle a une amie : Inés Hoppenot. Elles partagent tout : la manière de vivre et la liberté dont elles disposent. Ensemble, elles vont au bal. On se bouscule un peu, dans ces soirées, pour inviter Isabelle, comme à la mi-carême de cette année, chez M. de Grandmaison. On lui baise la main en lui disant : « Madame ». Quelques jeunes filles lui font même la petite révérence. « C'est absurde, dit Isabelle, cette révérence petit ressort. » Elle ne l'admet que lorsque le respect l'impose sans discussion. Devant la reine d'Angleterre, par exemple.

Isabelle a deux robes du soir, une blanche à dentelles très jeune fille, une autre à fleurs. Elle en a commandé une troisième pour cet été; elle sera verte. Pour s'habiller et pour son argent de poche, elle reçoit 20.000 francs par mois.

Ce qu'elle adore sans trop le dire, c'est le bal masqué. Elle cesse alors d'être Isabelle pour devenir Colombine ou une bohémienne anonyme. Ce goût du déguisement lui a fait faire une mauvaise plaisanterie. Un jour, au Maroc espagnol, avec ses parents, elle a confectionné un mannequin qu'elle a habillé du pyjama de sa cousine. D'accord avec les « grands » et les « moyens » (les onze enfants sont divisés en trois catégories presque égales : les grands, les moyens, les minimes), elle a simulé une violente dispute dans une chambre du second étage. « Cessez de vous chamailler ainsi ! » cria le comte de Paris. A ce moment, accompagné d'un grand cri, le mannequin de la cousine vint s'écraser au sol. Tout le monde fut mis au pain sec et à l'eau pendant deux jours.

Mais le vice impuni d'Isabelle, c'est tout de même la lecture. Lorsque je lis un livre, j'y crois », dit-elle. Elle y croit même excessivement. L'an dernier, en vacances, à Noirmoutier, elle dévorait Vol de Nuit, de Saint-Exupéry. A côté, dans la baignoire, l'eau coulait pour le bain. Elle voulut aller jusqu'au bout du chapitre qui était si intéressant. Elle y alla, mais il y avait vingt centimètres d'eau dans la salle de bains et de longs ruisseaux qui serpentaient dans la chambre. Isabelle a été privée d'électricité. C'est, pour elle, la sanction la plus efficace. Dans la famille, les punitions diffèrent selon les âges. Elles sont rares et spécifiques pour les « grands ». Pour les « moyens », la privation de dessert est assez efficace. Pour les « minimes », la fessée est d'usage dans la famille. (François Ier recevait le martinet.) « Mes douze enfants seront fessés », dit Isabelle. (C'est le chiffre qu'elle s'est fixé pour sa descendance.)

« Dans l'atelier de M. Bouchet où elle travaille le jeudi, une amie a fait son portrait. » - Paris Match n°105, 24 mars 1951
« Dans l'atelier de M. Bouchet où elle travaille le jeudi, une amie a fait son portrait. » - Paris Match n°105, 24 mars 1951 © Walter Carone / Paris Match

Elle n'a jamais lu Maurras ni Daudet

Sur sa table de chevet, il y a deux livres. Le premier est Don Quichotte, en espagnol, langue qu'elle parle couramment avec le portugais. « Il y a tout, là-dedans, dit-elle, une foule d'idées, de symboles et c'est si amusant ! » Le second est un traité intitulé : La Tauromachie moderne.

Le livre est usé à force d'avoir été feuilleté. C'est — illustré par de nombreuses photos — le manuel du parfait toreador. « La corrida, explique Isabelle, est difficile à comprendre ; mais quand on a compris, on a compris l'Espagne. »

La jeune princesse est éclectique. Elle aime encore Molière, Malraux, Dostoïevski, Proust (bien que souvent fatigant à « cause de ses phrases trop longues »). En revanche elle qualifie Gide d' « étroit », Mauriac de « désagrégeant » et Sartre de « désespérant ». Elle n'a jamais lu une ligne de Charles Maurras ni de Daudet (Léon). Par contre elle connaît admirablement Daudet (Alphonse). Quant à Claudel, elle le trouve beau mais seulement lorsqu'elle le comprend.

Le dessin tient une grande place dans la vie de cette jeune fille modèle. Tous les jeudis elle prend le métro. Elle descend à Pigalle pour aller à sa leçon. Dans l'atelier de M. Robert Bouchet, elle s'assied à la même place, près d'un buste de Donatello qu'elle dessine au fusain.

« Chaque mardi soir, de 5 à 6, au Jardin d'Acclimatation, elle monte sa jument Oliba. » - Paris Match n°105, 24 mars 1951
« Chaque mardi soir, de 5 à 6, au Jardin d'Acclimatation, elle monte sa jument Oliba. » - Paris Match n°105, 24 mars 1951 © Walter Carone / Paris Match

Elle aime visiter Paris avec l'autobus 63

Si elle aime le jazz, elle n'a aucune envie de connaître les chanteurs - Edith Piaf mise à part. Seules les chansons l'intéressent et surtout une, « La Seine qui coule, coule du Pont-Neuf à Bercy », Isabelle se promène souvent à travers Paris. Elle a un trajet favori, celui de l'autobus 63. « C'est la ligne la plus belle: Trocadéro, Alma, Concorde, boulevard Saint-Germain, la Halle aux vins et la gare de Lyon d'où l'on part pour la Méditerranée. »

Tous les samedis après-midi, elle chante dans un groupe de cinquante garçons et filles qui se réunit chez Mme Hoppenot. Inès, son amie, dirige cette chorale. Ils ne chantent que des chants religieux.
Dans une vie si bien remplie, s'il y a de la place pour le cinéma, il n'y en a guère pour le théâtre. « Il faut être accompagnée, explique-t-elle, et puis c'est difficile d'avoir des places. » Elle a tout de même vu Clérambard, Les Gueux aux Paradis. Le Complexe de Philémon et Le Voyageur sans bagage.

Isabelle est une sportive. Mais elle aime surtout les sports individuels et violents. Le cheval, l'alpinisme. « Le seul sport d'équipe que je pratique est la famille », précise-t-elle en souriant.

Ainsi dans l'existence dorée d'Isabelle de France chaque heure compte comme si elle devait en rendre compte à tout instant à un tribunal secret. Elle doit tout savoir, le latin, l'espagnol et l'anglais (elle sera l'an prochain à Oxford) elle doit apprendre à se gouverner et à gouverner les autres. Le hasard et le rêve ont la plus mauvaise part dans son destin. Et puis à quoi peuvent rêver les princesses quand elles ont dix-neuf ans, qu'elles connaissent tant de choses ? Peut-être à épouser des bergers.

Les parents d'Isabelle de France : Henri d’Orléans, comte de Paris et héritier du trône de France, et son épouse la comtesse Isabelle d'Orléans-Bragance, en couverture de Paris Match n°64, daté du 10 juin 1950.
Les parents d'Isabelle de France : Henri d’Orléans, comte de Paris et héritier du trône de France, et son épouse la comtesse Isabelle d'Orléans-Bragance, en couverture de Paris Match n°64, daté du 10 juin 1950. © Paris Match

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