L’écrivain René-Victor Pilhes est mort le samedi 6 février à Paris. Il avait 86 ans. En 2016, il avait fait paraître, après plus de quinze ans de silence, un roman, La Nuit de Zelemta (Albin Michel). A nos confrères de L’Obs il confiait alors son dépit de se voir devenu un « mort-vivant », quelque peu oublié. Son œuvre était désormais introuvable en librairie à l’exception de son plus grand succès, L’Imprécateur (Seuil, 1974, prix Femina) – qui avait été l’un des premiers romans sur la violence du libéralisme et ses effets sur le monde du travail, un précurseur par bien des aspects à qui, vingt-cinq ans plus tard, Frédéric Beigbeder rendrait hommage dans 99 Francs (Grasset, 1999). « J’ai été proscrit des librairies parce que je ne vendais plus assez », disait alors cet homme à la longue et brillante carrière de publicitaire, qui fut aussi un militant de gauche, passé par la CGT et le PSU, et proche de Jean-Pierre Chevènement.
Il avait pourtant connu le succès dès son premier roman, La Rhubarbe (Seuil, 1965), d’emblée remarqué pour son écriture baroque, son souffle et son goût d’une forme d’outrance, et couronné par le prix Médicis. Evoquant la bâtardise, dont lui-même a souffert en tant qu’enfant illégitime, né le 1er juillet 1934 et élevé par sa grand-mère maternelle à Seix (Ariège), La Rhubarbe met en scène un homme aux rêves de vengeance.
Le Monde écrit à propos de cet « extraordinaire roman » : « Sans doute y relève-t-on les influences conjuguées de Kafka, notamment dans les scènes oniriques, de Joyce dans cette tendance à agrandir jusqu’au mythe un drame personnel, de Günter Grass dans le ton de bouffonnerie fantastique et dans la truculence érotique de certaines scènes. L’ombre de ces maîtres n’empêche nullement René-Victor Pilhes de faire une œuvre personnelle qui a de l’accent et du ton. »
Veine dénonciatrice
Quatre ans plus tard, le même sujet lui inspire Le Loum (Seuil), où un fils et sa mère gravissent un pic pyrénéen, en s’écharpant pour le pouvoir. Cette « épopée psychanalytique », selon l’auteur, transgresse un interdit après l’autre et ne rechigne pas aux scènes scatologiques. La quatrième de couverture avertit : « L’éditeur ne peut pas se contenter, en présentant ce livre, d’une formule comme : “A ne pas mettre entre toutes les mains”. Il se sent tenu de prévenir sérieusement le lecteur. »
Point de semblable mise en garde pour son troisième roman, L’Imprécateur, cet immense best-seller, adapté trois ans plus tard au cinéma par Jean-Louis Bertuccelli, avec Jean Yanne et Michel Piccoli. Loué de L’Humanité au Figaro (Claude Mauriac évoque « un certain génie »), en passant par Le Monde (Jacqueline Piatier salue « sa manière qui mêle le réalisme de l’observation et les fantasmes de l’angoisse », et le directeur, André Fontaine, l’évoque dans un éditorial), il se vend à 400 000 exemplaires et est traduit dans vingt langues.
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