L’annulation ou non de la dette Covid ? Un débat lunaire

Pour la présidente de la BCE, Christine Lagarde, annuler la dette contractée par les Etats pour lutter contre l’épidémie est «inenvisageable». Mais, de facto, la dette n’est pas un problème puisqu’elle ne coûte rien en intérêts et sera repoussée à échéance pour ne pas plomber les économies de la zone euro.
par Jean Quatremer
publié le 7 février 2021 à 19h24

Faut-il annuler la dette publique héritée des mesures prises pour lutter contre la pandémie de coronavirus ? Le débat semble un rien lunaire alors que la crise est loin d’être terminée, qu’aucun Etat n’a de problème pour se financer et que jamais les taux d’intérêt n’ont été aussi bas grâce à la Banque centrale européenne (BCE) qui achète à tour de bras les obligations du Trésor… Mais voilà, le «quoi qu’il en coûte» martialement proclamé par Emmanuel Macron en mars dernier pour annoncer un soutien sans limites à l’économie, commence à inquiéter : la charge de cette dette ne va-t-elle pas peser lourdement sur les actifs, qui ont été sacrifiés par les politiques sanitaires adoptées, et sur les futures générations ?

Les chiffres donnent le vertige. La dette française a littéralement explosé en 2020 en franchissant la barre symbolique des 100 % du PIB pour s’établir à près de 120 % contre 98 % en 2019. En quarante ans, la dette a été multipliée par six, puisqu’elle s’établissait à 20 % du PIB en 1980. Certes, pour l’instant, elle ne coûte rien grâce à l’euro : la France emprunte même à taux négatif à dix ans ! Ainsi, alors que l’endettement a doublé depuis 1995, le service de la dette (les intérêts à payer chaque année) ne cesse de diminuer, passant de près de 3,4 % du PIB à 0,8 % dans le même laps de temps.

Reste qu’un jour, il faudra la rembourser. Or, il n’y a pas trente-six façons pour le faire : soit on augmente les impôts, soit on coupe dans les dépenses publiques, soit on fait les deux en trouvant le bon dosage pour ne pas casser la croissance. Une autre méthode, bien plus radicale, est d’annuler la dette ou de la restructurer comme l’on dit dans le langage financier, en tout ou en partie. C’est la solution que prônent une partie de la gauche et des économistes et pas seulement de gauche (d’Alain Minc à Thomas Piketty). Ainsi, dans un appel publié le 5 février, 150 économistes européens (dont un tiers de Français) proposent que la BCE efface les 25 % des dettes publiques nationales (un tiers de la dette des grands Etats), soit 2 500 milliards d’euros, qu’elle a achetés pour aider les Etats à faire face à la pandémie ou, à tout le moins, les transforme «en dettes perpétuelles sans intérêt».

Condamnation par avance

Une idée immédiatement écartée par Christine Lagarde, la présidente de la BCE, qui, dans le Journal du Dimanche, estime qu’elle constituerait «une violation du traité européen qui interdit strictement le financement monétaire des Etats». Sans compter qu’il faudrait l’accord unanime des Vingt-Sept, ce qui la condamne par avance, tant on imagine mal l’Allemagne consentir à cette idée qu’il y aurait de l’argent magique.

Surtout, on ne voit vraiment pas l’intérêt d’une telle annulation puisque, de facto, la dette est déjà annulée ! En effet, les obligations détenues par la BCE sont gratuites pour l’Etat puisqu’elle lui reverse les intérêts versés via sa banque centrale. Certes, il faudra un jour rembourser le principal, mais la BCE n’a nullement l’intention d’alléger à terme son bilan : elle devrait la renouveler à l’échéance afin de ne pas écraser les économies de la zone euro à moins que, d’ici là, les faucons prennent le pouvoir à Francfort…

Autrement dit, lancer le débat sur l’annulation de la dette Covid alors que la BCE intervient massivement sur les marchés et alors que l’Union va bientôt décaisser les 750 milliards d’euros de son fond de relance adopté en juillet dernier, c’est prendre un sacré risque, celui d’attirer l’attention des marchés, qui vont se demander quand leur tour viendra, sur la situation réelle des économies de la zone euro. D’autant que des écarts béants se sont creusés entre le nord et le sud de la zone euro (la récession en Allemagne a été deux fois moins importante qu’en France…). Or supprimer 20 points d’endettement ne changera rien à la trajectoire de l’Hexagone qui présente la particularité unique d’avoir à la fois les impôts et les dépenses publiques les plus élevées de l’OCDE. Bref, si la France ne met pas rapidement en œuvre des réformes profondes à même de relancer la croissance afin de revenir à des finances publiques soutenables, les taux pourraient rapidement se remettre à grimper, ce qui la mettrait à genoux. Le seul débat qui vaille devrait porter sur l’utilisation de l’argent qui se déverse sur le pays et non sur une fantasmatique annulation de la dette.

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