Analyse

Sanofi, toujours plus de dividendes ou comment injurier l’avenir

Les résultats flamboyants du groupe lui permettent de verser de généreux dividendes. Mais font mauvais genre, alors que le laboratoire s’est séparé de son investissement dans Regeneron, que les fermetures de sites se poursuivent et que le vaccin contre le Covid se fait toujours attendre.
par Franck Bouaziz
publié le 5 février 2021 à 21h43

Pendant la crise, les affaires continuent… voire prospèrent en ce qui concerne les Big Pharma. Nonobstant son échec dans la course au vaccin contre le coronavirus Sars-CoV-2, Sanofi a annoncé ce matin des résultats en grande forme. Si son chiffre d’affaires ne varie guère (36,041 milliards d’euros, en hausse de 3,3 %), son bénéfice net s’envole de 338,4 %, pour atteindre 12,3 milliards. Les actionnaires peuvent donc espérer un dividende de 3,20 euros par action, ce qui représentera au total une somme de 4 milliards, là où ils n’avaient empoché «que» 3,8 milliards au titre de l’année 2019. Etonnant choix car à la différence de ses concurrents Pfizer, AstraZeneca ou encore Johnson & Johnson, Sanofi est en retard sur ses deux projets de vaccins anti-Covid, qui ne peuvent espérer une mise sur le marché avant la fin de cette année, voire le début de la prochaine. Mais le labo français est un usual suspect en la matière : l’an dernier, un rapport d’Oxfam avait pointé que Sanofi était le groupe du CAC40 qui avait distribué le plus de dividendes (48,4 milliards d’euros) sur la période 2009-2018, juste derrière Total.

Dans le détail, l’activité «vaccins» du groupe dirigé par Paul Hudson a particulièrement progressé, avec une hausse de 14 %. Le conseil de vaccination contre la grippe, largement diffusé par le ministère de la Santé, a visiblement été entendu puisque c’est notamment ce produit qui s’est très bien commercialisé. Pour le seul quatrième trimestre, les ventes de vaccins antigrippe ont dépassé le milliard d’euros et ont bondi de 37,9 %. Quant au médicament vedette du moment pour Sanofi, le Dupixent, prescrit dans les traitements contre l’asthme, il a vu sa consommation s’envoler de 73,9 %. Ce produit représente à lui seul 3,5 milliards de chiffre d’affaires.

Signal négatif

En tout état de cause, le bénéfice exceptionnel réalisé par Sanofi est, avant tout, le résultat de la vente de sa participation dans une société de biotechnologie : Regeneron. Sur cette opération, Sanofi réalise une culbute de 7,7 milliards qui lui permet le versement d’un dividende notable à ses actionnaires. Mais cette cession et l’affectation de ses bénéfices posent deux questions de fond. Sanofi a taillé dans ses effectifs de recherche, qui ont perdu 1 400 postes au cours des dix dernières années. Or, l’avenir d’un laboratoire repose sur deux piliers : ses services internes de recherche et développement et, de plus en plus, les sociétés de biotechnologie qu’il peut acquérir. Si Pfizer a été le premier à mettre sur le marché un vaccin contre le Covid-19, c’est en raison de son association avec la société allemande BioNtech. En vendant ses actions dans Regeneron, le laboratoire français envoie donc un signal on ne peut plus négatif. A ses 100 000 salariés à travers le monde, dont 25 000 en France, qui se sont vus signifier un plan d’économie et la suppression de 1 000 postes dans l’Hexagone. Le coordinateur CGT de Sanofi, Jean-Louis Peyren oscillait d’ailleurs entre la colère et l’abattement à la lecture de ces résultats : «Les mots me manquent. L’entreprise est en retard sur ces projets de vaccin, annonce un plan de suppression d’effectifs, prévoit une augmentation de 500 millions d’euros de son plan d’économie et annonce de tels bénéfices. Les salariés en ont trop vu et trop entendu. C’est désormais la santé au service de la finance et non le contraire.»

La distribution généreuse de dividendes associée au plan d’économie pourrait également être interprétée comme un acte de défi à l’égard du gouvernement français et de l’Union européenne. La ministre de l’Industrie, Agnès Pannier-Runacher, n’a pas commenté ces résultats mais a rappelé récemment à la direction du laboratoire que l’Etat serait attentif à ce qu’il n’y ait aucun départ contraint ni fermeture d’usine en France. Par ailleurs, les 600 millions d’euros d’investissements promis le 26 juin par Sanofi pour créer trois lignes de production de vaccins à Neuville-sur-Saône sont attendus en temps et heure.

Acompte européen

A Bruxelles, la Commission européenne surveille également Sanofi comme le lait sur le feu. Et pour cause : le laboratoire, associé à son homologue britannique GSK, a signé un contrat de précommande pour la fourniture de 300 millions de doses de vaccin contre le Covid. Au prix moyen estimé de 7 euros la dose, il y en a pour plus de deux milliards. Or, selon les informations de Libération, Sanofi (qui n’a pas souhaité le confirmer) aurait touché un acompte compris entre 300 et 400 millions d’euros. Cette somme est destinée à lui permettre de préparer ses sites de production et chaque euro versé à ce titre par la Commission européenne devrait être tracé.

Enfin, en choisissant de cumuler plus-value maximale et plan d’économie drastique, Sanofi privilégie le court terme et insulte quelque peu l’avenir. Regeneron, la Biotech dont Sanofi a choisi de se séparer, est justement la société qui a contribué à la mise au point du Dupixent, son médicament vedette. Le développement de nouvelles molécules ou de nouveaux vaccins repose sur la recherche, que ce soit en interne ou en externe. Or dans ces deux domaines, le laboratoire français opte pour des choix qui risquent de creuser son retard. Plutôt fâcheux pour une entreprise considérée comme un fleuron français dans son domaine.

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