LES PLUS LUS
Publicité
Publicité

Dans les archives de Match - Belmondo le cascadeur, raconté par Rémy Julienne

Jean-Paul Belmondo et Remy Julienne
Jean-Paul Belmondo et Remy Julienne sur le tournage du film « Le Guignolo », en octobre 1979. © Daniel SIMON/Gamma-Rapho via Getty Images
Marie-France Chatrier , Mis à jour le

Jean-Paul Belmondo, décédé lundi, était le super-héros du cinéma français. Athlète au physique impressionnant, il avait jeté son corps dans les cabrioles de sa vie et de ses films. Toujours à fond...  

Aérodrome de La Ferté-Alais, 1985. Répétition d'une scène d'action hallucinante. Jean-Paul Belmondo fonce debout dans une Jeep conduite par Rémy Julienne. Objectif: s'accrocher à l'échelle qui se balance sous un petit avion de tourisme. Pour la promotion du film «Hold-up» d'Alexandre Arcady, TF1 a proposé de consacrer une émission entière à l'acteur, dont la séquence prégénérique montrerait Jean-Paul réalisant une de ses fameuses cascades, debout sur les ailes d'un biplan en plein vol, tenu en équilibre exclusivement par un filin. «Mais rien ne s'est passé comme prévu, se souvient Rémy Julienne. J'ai d'abord été accidenté et l'un de mes collaborateurs a pris le volant pour me remplacer. Le terrain truffé de bosses empêchait de contrôler la Jeep à 100%. Jean-Paul, debout sur le capot, avait du mal à garder l'équilibre et quand, lancé à 90 km/h, la voiture a rebondi au plus mauvais moment, il a raté l'échelle et a chuté violemment.» Jean-Paul est transporté d'urgence en hélicoptère vers l'hôpital le plus proche, les blessures se sont heureusement révélées sans trop de gravité. «Il aurait pu se casser le cou, continue Rémy Julienne, nous avons tous eu très peur. Jean-Paul m'a confié, quelques jours plus tard, que la veille du tournage de cette séquence, il était souffrant à cause d'un mauvais rhume, qu'il avait peu dormi et fait une poussée de fièvre à 39 °C.» Pourquoi prendre de tels risques dans le cadre d'une simple émission de télévision ? Certains médias ont crié au ridicule. Parce que Jean- Paul aime les cascades, parce qu'il a plaisir à jouer avec son corps depuis toujours.

Publicité

Petit, déjà, l'enfant heureux du quartier Denfert-Rochereau, qui voulait «être clown», s'adonnait souvent à des acrobaties impressionnantes dans la cage d'escalier de son immeuble. Suspendu par les mains ou par les pieds à la rambarde du 5e étage où se trouvait l'appartement de ses parents, il donnait des sueurs froides aux voisins qui le surprenaient. Inconscient du danger, il était fréquent, aussi, qu'à l'heure du déjeuner, il passe d'une fenêtre à l'autre, en se pendant au balcon, plutôt que d'emprunter le couloir qui menait à la salle à manger.

La suite après cette publicité

«Jean-Paul a un corps hors norme, souligne Rémy Julienne. Il suffit de palper son bras pour découvrir la densité incroyable de sa musculature. Il aurait pu être cascadeur professionnel, si son talent ne l'avait conduit ailleurs.» De bons gènes hérités, sans doute, de son grand-père le forgeron piémontais installé à Alger, dont les épaules noueuses avaient été façonnées par le travail de l'enclume, ou de son père, Paul, souverain tailleur d'images à la force des bras, lui aussi.

La suite après cette publicité

La première collaboration de Rémy Julienne et Jean-Paul Belmondo en 1971, « Le casse »

Dans «L'homme de Rio», le corps d'athlète et l'excellente condition physique de Jean-Paul vont lui permettre de réaliser les cascades inoubliables préparées par Gil Delamare, maître en la matière à l'époque, qui organisait et gérait les scènes d'action du cinéma français. Ce film va donner naissance au mythe Bébel: physique, ignorant la peur, un rien trompe-la-mort. Dans une des scènes les plus dangereuses, poursuivi par des tueurs, dans le décor avant-gardiste d'une Brasilia naissante, Jean-Paul passait d'un immeuble en construction à un autre grâce à un câble tendu dans le vide. Delamare avait testé sa résistance en y attachant des sacs de 70 kilos. Le poids de Jean-Paul, alors. Dans son livre «Belmondo», Philippe Durant raconte que, lorsque l'acteur s'est avancé sur le câble, l'équipe a découvert qu'il n'était pas assez tendu. Arrivé au beau milieu, le filin faisait une flèche pointée vers le bas. Jean-Paul ne pouvait plus ni avancer ni reculer. Il était coincé et ses mains commençaient à fatiguer. Gil Delamare lui avait alors crié : «Accroche-toi avec les jambes et repose-toi.» Jean-Paul a mis douze minutes avant d'arriver à bon port. La scène se déroulait au 40e étage...

La suite après cette publicité
La suite après cette publicité

A sa sortie, le film fut un triomphe au box-office français et dans le monde entier. Il devint le préféré de Madeleine, sa mère. Jean-Paul eut même droit à une critique dans le magazine américain «Time», dont le journaliste, réjoui par son personnage, le qualifiait d'« idiot touchant, incroyablement athlétique». Grand sportif depuis toujours, l'acteur a pratiqué le football où sa position de gardien de but lui laissait la possibilité de plongeons spectaculaires pour épater la galerie. Le cyclisme aussi et la boxe à l'Avia Club. Du sport aux cascades il n'y avait qu'un pas. Qui ne pouvait pas se franchir en dilettante. Avec «L'homme de Rio», Jean-Paul a appris que pour pouvoir exécuter des cascades il fallait aussi en maîtriser les contraintes et disposer d'un matériel ayant fait ses preuves sous peine d'une issue fatale. «Gil Delamare s'est tué en 1966 en me remplaçant sur un tournage, rappelle Rémy Julienne. J'ai su plus tard, quand j'ai rencontré Jean-Paul en 1968 sur 'Ho!', de Robert Enrico, que nous partagions la même peine depuis sa disparition.»

À voir : Jean-Paul Belmondo, ses années Match 

Il a transmis le goût de la vitesse, griserie héritée de sa mère, à Paul, son fils, qui fut pilote de F1

Avec « Peur sur la ville », Henri Verneuil propose un film dans la grande tradition du polar américain, une référence exigeante qui va largement influencer les scènes de cascades - dont celle où Jean-Paul est plaqué sur une rame de métro lancée à pleine vitesse, qui demeure un vrai moment d'anthologie. Dans son livre, Philippe Durant raconte: «Belmondo s'est pris dans le bras un bout de fer qui pendait dans le tunnel. Un os fêlé, il s'est fait mettre un plâtre de sécurité avant de repartir de plus belle dans sa course sur les toits du métro. Quand il pénétrait dans une station, Jean-Paul reprenait la position verticale et courait de wagon en wagon, puis, in extremis, il s'aplatissait à nouveau à l'entrée du prochain tunnel. Au pont de Bir- Hakeim, en extérieur, Jean-Paul, malgré le vent fort qui s'était levé, hurlait à Verneuil d'augmenter la vitesse de la rame.» Ce goût de la vitesse, il l'a transmis à son fils, qui fut pilote de F1, mais sa mère aussi adorait cette griserie. Quand le compteur de la voiture de son fils flirtait avec les 200 km/h elle criait: «Accélère!»

Jean-Paul Belmondo a toujours assumé les risques. S'il ne compte plus les points de suture, les fractures et autres entorses, il est resté vivant. Michel Julienne et son père, Rémy, attribuent cela à la concentration totale dont il fait preuve. Jean-Paul le blagueur fou, capable de toutes les excentricités pour faire rire, redevient sérieux et responsable quand il s'agit d'exécuter une cascade. «Personne ne m'a fait autant confiance que lui pour réaliser ce que nous imaginions pendant la préparation d'un film, raconte Rémy Julienne. C'est comme s'il remettait sa vie entre mes mains.» Le succès accompagnant chaque fois les exploits sportifs de Jean-Paul, les producteurs en rajoutent. En 1977, «L'animal», de Claude Zidi, avec Raquel Welch, comportait 24 cascades, mettant en abyme une situation vécue par Jean-Paul, l'acteur encensé et son double le cascadeur, souvent oublié et parfois méprisé. Car les remarques sont violentes contre l'acteur qualifié de «gymnaste comédien» ultra-doué, même si le box-office dément sans cesse les reproches. Comme si le Michel Poiccard d'«A bout de souffle», l'ecclésiastique de « Léon Morin, prêtre », ou le Gabriel Fouquet du «Singe en hiver » se fourvoyaient dans de grandes comédies populaires avec le seul souci de faire des entrées.

«Prends l'volant, p'tit »... En 1982 dans «L'as des As» 

Agacé, parfois même très énervé, Jean-Paul Belmondo, malgré ces critiques injustes, n'a jamais renoncé aux rôles qui lui permettaient d'exercer ce qu'il considère comme une part noble de son talent. Pour «Joyeuses Pâques», la pièce de Jean Poiret, l'acteur-producteur ne voulait pas que l'adaptation cinématographique ressemble à du théâtre filmé. Pour la première fois dans sa carrière, il y a fait ajouter des cascades et le duo Belmondo-Julienne, reformé, s'en est donné à coeur joie. «Dans la séquence prégénérique, raconte Julienne, le bateau que Belmondo pilotait devait passer à grande vitesse par-dessus un îlot et traverser une cabane des douanes. Lui tenait le volant, moi j'appuyais sur l'accélérateur. A cause du vent, nos prévisions de départ, la courbe que nous devions suivre pour atteindre notre cible ont été faussées. L'issue devenait dangereuse. Nous nous y sommes repris à deux ou trois fois. Finalement, son instinct, combiné à notre complicité, a permis de déjouer les pièges. Quand cela a été terminé, nous avons échangé un long regard qui disait, en gros, notre admiration mutuelle et, en même temps, qu'on avait vraiment frôlé la catastrophe!»

Dans le même film, une autre séquence a donné des sueurs froides à toute l'équipe et particulièrement à Georges Lautner, son réalisateur. «Jean-Paul devait atterrir sur le toit d'une voiture de police, l'action se déroulant au milieu d'un marché. Quatre caméras pour filmer sous tous les angles, un tremplin habilement camouflé pour favoriser l'envol de la Fiat que Belmondo avait bien en main, mais au premier essai sa vitesse était insuffisante pour qu'il décolle et nous avons dû recommencer. Au second essai, comme prévu, la voiture s'envola, écrasant les deux véhicules de police visés. Mais, dans l'action, la Fiat, qui avait légèrement dévié de sa trajectoire, se réceptionna trop à droite, continuant sa course dans les étals du marché et dévastant tout sur son passage. Le véhicule stoppé, Belmondo, pour rassurer l'équipe, a jailli du véhicule le pouce levé.»

Ensemble, Jean-Paul Belmondo et Rémy Julienne,  décédé  en janvier 2021 , ont tourné pas moins de 14 films. Le clou du spectacle ? Cette scène aussi célèbre que spectaculaire du film de Georges Lautner « Le Guignolo » (1980) dans laquelle l'acteur va survoler Venise suspendu à un hélicoptère…

Après plus de 80 films, outre son talent, ce qui domine lorsqu'on évoque Jean-Paul Belmondo, c'est sa réelle gentillesse et son courage. «C'est l'acteur le plus facile à diriger, celui qui donne tout, dit de lui Claude Lelouch. Nous avons fait trois films ensemble. Je ne fais pas vraiment un cinéma de cascades, mais sur 'Itinéraire d'un enfant gâté', la scène avec les lions, au Zimbabwe, a été incroyable à tourner. Jean- Paul ruisselait de transpiration sous la chaleur. Très concentré, il s'est approché d'eux sans montrer le moindre signe de peur. S'il avait été angoissé, les lions l'auraient senti.» Pour Rémy Julienne, avec qui Belmondo a fait 14 films, ce compère de folles cascades n'est pas seulement un ami porteur de mille souvenirs de plateaux et de bonnes bouffes où l'on «fait l'amitié» entre hommes, c'est aussi un modèle de vie. « J'ai eu de gros problèmes de santé, ces dernières années, confie le cascadeur. Deux infarctus du myocarde qui m'ont laissé déprimé et affaibli. J'ai bien failli lâcher la rampe, mais en admirant la force que Jean-Paul avait mise pour rester en vie, l'énergie qu'il déploie chaque jour pour continuer à être presque comme avant malgré ce qui lui est arrivé, je me suis repris en main avec la même niaque que lui.» .

(Article initialement paru en 2016 dans le hors-série de Paris Match consacré à Jean-Paul Belmondo)

À voir : Jean-Paul Belmondo, une vie en images 

Contenus sponsorisés

Publicité