L’info émane du Wall Street Journal : « Le Président Trump a discuté dernièrement avec des proches de la formation d’un nouveau parti politique […] pour continuer d’exercer une influence après son départ de la Maison Blanche. » Le départ de la Maison Blanche a eu lieu aujourd’hui. En ce qui concerne le parti politique, l’avenir est beaucoup plus incertain. Mais, aussi étonnant que cela puisse paraître au premier abord, l’idée a du sens. C’est-à-dire qu’elle a, politiquement, du sens. Elle est non seulement pertinente mais elle vient combler un vide politique dans le paysage politique américain, et pourrait faire bouger les lignes. Trois variables à observer : les idées politiques ; la question partisane ; l’écho populaire. Nous nous limiterons pour l’instant à la première variable : Les idées. Par Frédéric Saint Clair.
« La politique, ce sont des idées » écrivait il y a près d’un siècle Albert Thibaudet. Une maxime, entre parenthèses, que devrait reprendre à son compte la droite française, laquelle regorge de candidats mais manque cruellement d’idées. Donald Trump, lui, n’a pas eu beaucoup d’idées fulgurantes lors de son mandat, à l’exception de celle qui l’a fait élire et qui est devenue son slogan : « Make America Great Again ». Un slogan qui, traduit en termes politiques trumpiens, se retrouve dans le titre de son projet partisan : le patriotisme. Ce terme, « patriotisme », s’entremêle avec celui qui a été remis au goût du jour et popularisé dans le camp conservateur par le théoricien israélien Yoram Hazony durant le mandat Trump : le nationalisme, à travers un ouvrage, The virtue of nationalism, que la Maison Blanche s’est arraché. Les Etats-Unis, fort heureusement pour eux, ont échappé aux délires franco-français du genre : « le nationalisme, c’est la guerre », ou bien « le patriotisme c’est l’amour des siens, le nationalisme c’est la haine des autres », deux formules aussi crétines que non pertinentes historiquement et politiquement, mais desquelles la bien-pensance politico-médiatique hexagonale peine à se défaire aujourd’hui encore. Car l’Amérique, qui a d’abord dû se défaire d’un lien de dépendance vis-à-vis de l’Empire britannique, et donc se penser en tant que nation, et non plus en tant que « colonie de… », et qui a ensuite dû construire, intellectuellement – via notamment les 85 articles parus dans le New York Times en 1787-88 sous la plume de Publius (Hamilton, Jay et Madison) – puis politiquement, l’unité étatique de cette nation, son fédéralisme, contre la tentation sécessionniste, sait combien l’indépendance, l’unité et la souveraineté de la nation sont, en politique comme en géopolitique, déterminantes.
L’universalisme, le multilatéralisme, le mondialisme, qui nous apparaissent, à nous, gens de gauche européens bon teint, garants de la paix, de la stabilité et du développement du monde, n’ont aucune résonance positive outre-Atlantique.
Ni dans le camp républicain ni dans le camp démocrate. Les Etats-Unis pèsent historiquement très lourd, et veulent peser très lourd, dans toutes les organisations internationales (FMI, OTAN, OMC, etc.), revendiquant cette position hégémonique, et dictant à la fois le corpus règlementaire, l’agenda budgétaire et le modus operandi fonctionnel aux autres Etats membres. Ce pays obéit en cela à la maxime édictée par S. Huntington et reprise à son compte par Z. Brzezinski : « Un monde dans lequel les Etats-Unis n’auraient pas la primauté connaîtrait plus de violence et de désordres, moins de démocratie et de croissance économique que si les Etats-Unis continuaient, comme aujourd’hui, à avoir plus d’influence sur les affaires globales que tout autre pays. Le maintien de la primauté des Etats-Unis est essentiel non seulement pour le niveau de vie et la sécurité des Américains, mais aussi pour l’avenir de la liberté, de la démocratie, des économies ouvertes et de l’ordre international. »
Ce que Trump a incarné, avec la trivialité et la suffisance qui le caractérisent, n’est rien moins que la remise en cause de ce postulat, et donc de l’image que nous entretenons de ce qu’est, ou de ce que doit être, l’ordre international. Et, dans la pensée et la pratique politiques américaines, cela se traduit par la remise en cause d’une approche géopolitique aussi bien républicaine que démocrate qui est séculaire, réactivant plus que jamais auparavant l’esprit de ce que l’on nomme désormais « la doctrine Monroe », combinée avec la recherche d’un équilibre des puissances, régi par l’intérêt et la force, tel qu’il s’était construit en Europe à l’issue du traité de Westphalie, au milieu du XVIIe siècle. Qu’est-ce que cela signifie pour les USA ? Retrait total au plan international au profit d’un isolationnisme strict ? Bien évidemment non !, et la position de D. Trump face à la Corée du Nord, à l’Iran, à la Chine, à la péninsule arabique l’ont suffisamment montré, sans parler de l’utilisation agressive du principe d’extraterritorialité du droit américain. Cela signifie : recalibrage des paramètres géopolitiques, et recentrage « réaliste et nationaliste » sur les intérêts proprement américains, le tout ayant un impact déterminant sur « l’équilibre des relations internationales ».
Le hic pour les anti-Trump ? Cette position néo-nationaliste, bien qu’ayant été incarnée de manière triviale, nous l’avons dit, a produit des résultats incontestables, sur lesquels d’ailleurs l’administration Biden n’osera pas revenir, et qui contraindra les commentateurs politiques dits « libéraux », qui méprisent à longueur d’analyses laborieuses et caricaturales l’héritage politique de Donald Trump, à un mea culpa douloureux. Le libéralisme mondialiste est une doctrine aujourd’hui à bout de souffle – Emmanuel Macron en est d’ailleurs l’incarnation flagrante ! – et c’est la force des populistes que de l’avoir compris les premiers.
Même si les remèdes qu’ils proposent au mal néo-libéral sont bien souvent limités, voire inopérants, leur constat va dans le sens de l’histoire.
Il ouvre une voie qui est pertinente théoriquement, et que D. Trump a tant bien que mal commencé à explorer, qui semble prometteuse, et à laquelle une partie des populations semble prête à adhérer. En cela, la création d’un parti politique placé au croisement des voies libérale, nationaliste et conservatrice, est à la fois intéressante et nécessaire. Elle ne répond pas cependant à toutes les inconnues de l’équation partisane, notamment les deux évoquées plus haut : celle de la structure partisane et de son inscription dans le paysage politique américain, et celle de l’attente populaire, aujourd’hui et dans la durée.
Frédéric Saint Clair
Analyste politique
Photo : Evan El-Amin/Shutterstock