Mort de Jean-Pierre Bacri, le Droopy français
L’acteur et scénariste est mort, ce lundi, à l’âge de 69 ans, des suites d’un cancer. En tandem avec Agnès Jaoui, il a incarné une certaine exigence du cinéma français, avec des films comme Cuisine et dépendances, On connaît la chanson ou Le Goût des autres.
- Publié le 18-01-2021 à 18h46
- Mis à jour le 19-01-2021 à 12h35
Avec Jean-Pierre Bacri — mort ce lundi d’un cancer à l’âge de 69 ans —, le cinéma français perd un peu son oncle râleur, toujours en train de maugréer dans son coin. Cette image de Droopy ne correspond pas seulement à celle que l’acteur renvoyait à l’écran. Cette « image de casse-couille qui fait la gueule », selon sa formule au Monde en 2003, Bacri la revendiquait même comme une « façon d’être ».
Et, de fait, le bonhomme n’était pas tendre avec les journalistes en interview, reconnaissant détester la promo. « Oui, ça me pèse énormément. C’est là que je m’aperçois le plus que je fais un métier », nous confiait-il en 2015, à l’occasion de la sortie de La Vie très privée de Monsieur Sim de Michel Leclerc, excellente adaptation du roman de Jonathan Coe dont il tenait le premier rôle. Pourtant, malgré l’ennui affiché et la mauvaise humeur quelque peu surjouée, l’acteur acceptait de se livrer sans fard.
Du théâtre au cinéma
Né en 1951 dans une famille juive de Castiglione, en Algérie, Jean-Pierre Bacri découvre le cinéma très jeune, grâce à son père, facteur, mais aussi ouvreur dans le cinéma de la ville le week-end… Installé avec sa famille à Cannes en 1962, le jeune garçon souhaite d’abord devenir professeur de français (et de latin), avant de s’installer à Paris, où il s’oriente vers la publicité. « J’ai prétendu comme ça écrire des slogans publicitaires mais ça n’a pas marché… », plaisantait-il. En parallèle, le jeune homme s’écrit à des cours de théâtre (notamment au Cours Simon) et s’essaye, déjà, à l’écriture de pièces.
Remarqué en maquereau dans Le Grand pardon d’Alexandre Arcady en 1981, Bacri débute une belle carrière de seconds rôles au cinéma pour des réalisateurs très différents, de Luc Besson (dans Subway, qui lui vaut une première nomination aux César, du second rôle) à Pierre Tchernia, en passant par Tony Gatlif, Jean-Pierre Mocky, Claude Lelouch ou Yves Boisset.
En 1987, l’acteur décroche le premier rôle de L'Été en pente douce de Gérard Krawczyk, celui d’un apprenti romancier qui s’installe à la campagne avec son frère handicapé (Jacques Villeret) et sa jeune compagne (Pauline Lafont). Bacri marque les esprits dans ce rôle de faux dur au coeur tendre. Il enchaîne avec des succès populaires comme Mes meilleurs copains de Jean-Marie Poiré, où il campe les trentenaires en crise, aux côtés de Gérard Lanvin et Christian Clavier, La Baule-les-Pins de Diane Kurys ou Le Bal des casse-pieds d’Yves Robert.
Une seconde carrière de scénariste
Mais le grand tournant dans sa carrière, c’est grâce à une pièce de théâtre, Cuisine et dépendance en 1991, que Jean-Pierre Bacri le prend. S’il est désormais un acteur reconnu, il va gagner le statut de scénariste culte, en tandem avec sa future femme Agnès Jaoui, rencontrée alors qu’ils jouaient sur les planches L’Anniversaire d’Harold Pinter, dans une mise en scène de Jean-Michel Ribes en 1987.
En 1992, Bacri décroche non seulement le Molière du meilleur comédien pour Cuisine et Dépendances, mais partage aussi avec Jaoui celui du meilleur scénario. La pièce et le film qu’en tire Philippe Muyl l’année suivante (où ils y jouent aux côtés d’acteurs qu’ils retrouveront à de nombreuses reprises: Zabou Breitman, Sam Karmann, Jean-Pierre Darroussin) vont imposer le style Jaoui-Bacri.
En 1994, c’est la consécration pour le duo, avec leur premier César du meilleur scénario — ils ont remporteront quatre au total — pour Smoking/No Smoking d’Alain Resnais, adaptation virtuose de la pièce Intimate Exchanges du Britannique Alan Ayckbourn. Ravi du résultat, le grand cinéaste refera appel au couple pour sa comédie musicale On connaît la chanson en 1997, avec un nouveau César du scénario à la clé, mais aussi celui du second rôle masculin.
« Comme scénaristes, Resnais nous a donné une carte blanche d’un blanc immaculé. On a fait exactement ce qu’on a voulu. Il est intervenu pour mettre trois vieilles chansons qu’il aimait bien, parce que c’était de son âge. Ce qu’on a fait avec plaisir. C’était un homme doux, charmant, délicieux. Il ne nous a jamais demandé de changer quoi que ce soit », se remémorait le scénariste en 2015. « Mais quand il a pris notre scénario, il l’a « resnais-isé ». A partir de là, c’était lui le réalisateur. Je me souviens d’une scène en particulier, qui a été jouée à l’opposé de ce qu’on imaginait. En voyant Dussolier jouer, on se disait avec Agnès: ‘Putain, c’est pas possible de jouer ça comme ça!’ On s’est dit que si même avec Resnais on arrivait à être frustrés, le mieux, c’était qu’on le fasse nous-mêmes. C’est là qu’Agnès a été désignée d’office pour réaliser! »
Scénariste, mais pas réalisateur
En 1999, Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui cosignent donc le scénario du Goût des autres, dans lequel il incarne un chef d’entreprise dépressif et mélancolique, tombant sous le charme amoureux de sa prof d’anglais (Anne Alvaro). Captant parfaitement l’air du temps libéral, le film d'Agnès Jaoui est un triomphe, avec 3,8 millions d’entrées en France et quatre César, dont celui du meilleur film et une quatrième et dernière statuette du meilleur scénario (après celle obtenue avec Cédric Klapish pour Un Air de famille en 1997).
À partir de là, Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui forment un couple de cinéma indissociable (même s’ils s’étaient séparés à la ville il y a quelques années). Ensemble, ils coécriront encore quatre films: Comme une image en 2004, Parlez-moi de la pluie en 2008, Au bout du conte en 2013 et Place publique en 2018 (qui marque l’avant-dernière apparition de Bacri au grand écran). Mais pas question pour le comédien et scénariste de se coltiner la réalisation: « Trop de travail. Un truc de trop longue haleine, entre la préparation, les repérages, le tournage, le montage, mixage, promo… C’est beaucoup trop pour moi… »
Un acteur peu bosseur
Contrairement à Jaoui, Bacri a en effet continué une vraie carrière d’acteur, tournant pour ses amis Sam Karmann (Kennedy et moi) et Cédric Klapisch (Peut-être). Mais aussi pour Nicole Garcia (Place Vendôme), Claude Berry (dans Une femme de ménage, dont il partageait l’affiche avec ne Émilie Dequenne en 2002), Pascal Bonitzer (dans Cherchez Hortense et Tout de suite maintenant) ou encore Alain Chabat, qu’il retrouvait, dix ans après Didier, pour Santa et Cie en 2015. Deux ans plus tard, il tiendra son dernier rôle marquant à l’affiche du Sens de la fête d’Olivier Nakache et Eric Toledano. Qui lui vaudra une sixième et dernière nomination au César du meilleur acteur, qu’il n’aura donc jamais décroché…
Adulé par la critique, Jean-Pierre Bacri se savait pourtant bon acteur… « Je ne travaille pas beaucoup; je dois avouer. Je lis trois ou quatre fois le scénario en amont, bien avant de tourner, pour comprendre ce que je dis déjà. Souvent, les acteurs que je trouve insuffisants ou pas bons, c’est parce qu’ils ne comprennent pas ce qu’ils disent… », nous lâchait-il, sans fausse modestie. Tout en précisant qu’un film par an, deux au maximum, c’était bien assez pour lui!
Filmographie sélective
- Le Toubib (1978) de Pierre Granier-Deferre. Son premier film
- Le Grand Pardon (1982) d'Alexandre Arcady
- Édith et Marcel (1983) de Claude Lelouch
- Subway (1985) de Luc Besson
- Rue du départ (1986) de Tony Gatlif : L'homme à la BMW
- L'Été en pente douce (1987) de Gérard Krawczyk
- Bonjour l'angoisse (1988) de Pierre Tchernia
- Mes meilleurs copains (1989) de Jean-Marie Poiré
- La Baule-les-Pins (1990) de Diane Kurys
- Le Bal des casse-pieds (1992) d’Yves Robert
- Cuisine et dépendances (1992) de Philippe Muyl Également coscénariste
- Smoking / No Smoking (1992) d’Alain Resnais. Uniquement coscénariste. César du meilleur scénario.
- La Cité de la peur (1994) d’Alain Berbérian
- Un air de famille (1996) de Cédric Klapisch Également coscénariste. César du meilleur scénario.
- Didier d'Alain Chabat (1997)
- On connaît la chanson (1997) d'Alain Resnais Également coscénariste. César du meilleur scénario et du meilleur acteur dans un second rôle
- Place Vendôme (1998) de Nicole Garcia
- Peut-être (1999) de Cédric Klapisch
- Kennedy et moi (1999) de Sam Karmann
- Le Goût des autres (2000) d’Agnès Jaoui Également coscénariste. César et EFA du meilleur scénario.
- Une femme de ménage (2002- de Claude Berri
- Les Sentiments (2003) de Noémie Lvovsky
- Comme une image (2004) d’Agnès Jaoui Également coscénariste. Prix du scénario à Cannes et aux EFA
- Selon Charlie (2006) de Nicole Garcia
- Parlez-moi de la pluie (2008) d’Agnès Jaoui : Michel Ronsard Également coscénariste
- Cherchez Hortense (2012) de Pascal Bonitzer
- Au bout du conte (2013) d’Agnès Jaoui Également coscénariste
- La Vie très privée de Monsieur Sim (2015) de Michel Leclerc
- Grand Froid (2017) de Gérard Pautonnier
- Le Sens de la fête (2017) d’Olivier Nakache et Eric Toledano
- Place publique (2018) d’Agnès Jaoui Également coscénariste
- Photo de famille (2018) de Cécilia Rouaud Sa dernière apparition au grand écran