Né à Cleveland (Ohio) le 21 octobre 1935, le pianiste et compositeur Robert « Bobby » Few est mort à l’âge de 85 ans, le 6 janvier. Installé à Paris depuis 1969, Bobby Few était une silhouette mince autant que familière des clubs et festivals. Moins des « gros » festivals, en France du moins – sauf le premier Nancy Jazz Pulsations, en 1973 –, mais traité à la hauteur de son talent à Moers (Allemagne), Willisau (Suisse) ou Anvers (Belgique)…
Sa carrière d’une exceptionnelle longévité tient à trois facteurs fondamentaux. Primo, la connaissance exhaustive des histoires de tous les répertoires du piano (classique comme jazz). Deuzio : ce que l’on désigne positivement dans la musique afro-américaine par le terme très latin de versatility, cette aptitude à évoquer tous les styles du clavier, du boogie-woogie au free le plus ardent, qu’il illustre longtemps au côté du saxophoniste Frank Wright (1935-1990). Tertio, une personnalité faite de charme, d’élégance et de sociabilité, qui le prédispose à toutes sortes de rencontres et d’expériences.
Pas plus dans son jeu que dans son maintien, Bobby Few ne savait vieillir. Ami d’enfance, à Cleveland, du sax ténor Albert Ayler (1936-1970), il partage la même culture, la même trajectoire : famille musicienne, religieuse, formation classique (piano et orgue), pratique précoce auprès de la mère (église et cérémonies), études d’harmonie et de composition au Cleveland Institute of Music. A 12 ans, Bobby Few donne son premier récital classique. Plus tard, les orchestres de danse – notamment avec son cousin Bob Cunningham (1934-2017), contrebassiste –, et l’implacable école du rhythm and blues : il sera le directeur musical du chanteur Brook Benton (1931-1988).
Il travaille dès l’âge de 16 ans dans les clubs de Cleveland, où le remarque Ella Fitzgerald (1917-1996). Son propre trio est très populaire dans toute la région. En 1958, Albert Ayler le presse de le rejoindre à New York. Bobby Few enregistre son premier album, The In Between (1968), avec un autre musicien mythique, le saxophoniste Booker Ervin (1930-1970). Sa participation aux deux derniers enregistrements d’Albert Ayler en 1969 – Music Is the Healing Force of the Universe et The Last Album (label Impulse !) – le consacre.
La fureur free
Il a accompagné le saxophoniste Frank Foster (1928-2011) et le multi-instrumentiste Roland Kirk (1935-1977) – coqueluche des samplers aujourd’hui, la vie est bizarre. Il s’installe en Europe (1969) et rejoint, à Paris, Frank Wright (sax), Noah Howard (sax, 1943-2010), Muhammad Ali (batteur), et bientôt Alan Silva (contrebassiste), c’est le bien nommé Center of The World, un des points extrêmes de la fureur free, sublime, clivant à mort, politisé au possible – concerts pour le mouvement Black Panther Party, phare de toutes les fêtes politiques (ah oui ! il y avait des fêtes politiques…) –, quartet ou quintet incandescent, le cœur nucléaire de l’époque.
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