Son amie intime, Valérie Miller, me raconte : « J’aimais Olivier et j’aimais Delphine. Je pensais qu’ils étaient faits l’un pour l’autre. Olivier rentrait de New York pour devenir le patron de “Paris Match”. Il était triste. Il se sentait un peu paumé. Je lui ai proposé de rencontrer une Française. J’ai organisé un dîner, une sorte de “double date”. J’ai vu tout de suite à quel point la passion du journalisme et de la politique qui habitait Olivier fascinait Delphine. Au bout de quarante-cinq minutes, elle s’est penchée vers moi et a murmuré à mon oreille : “Je vais me marier avec cet homme.” »

À l’heure où la profession journalistique s’attriste de la mort d’Olivier Royant, 58 ans, brillant et charismatique directeur de la rédaction du légendaire magazine « Paris Match », dont, pendant quatorze ans, il sut organiser les « unes », susciter les « scoops », à l’heure où dans les bureaux où il venait établir le « chemin de fer » – c’est-à-dire la construction du journal –, des hommes et des femmes pleurent en parlant de lui, à cette heure-là, donc, ma pensée va à Delphine Royant, à ses deux enfants et à cette phrase susurrée à l’oreille de leur amie : « Je vais me marier avec lui. » C’est à leur amour que je réfléchis, plus encore qu’à ses exploits de grand patron de presse.

Valérie continue son récit : « Leurs rendez-vous ont duré trois mois. Il était timide, craintif. Il ne pouvait pas croire que Delphine était tombée folle amoureuse de lui. “Une fille aussi belle, me disait-il, comment s’intéresse-t-elle autant à moi ?” De son côté, Delphine me disait, “Quand finira-t-il par m’embrasser” ? »

« Leur amour était palpable »

De telles histoires d’amour, quand elles se déroulent ainsi, font parfois de beaux reportages pour « Match ». Royant, fort de ses vingt ans de correspondant permanent aux ÉtatsUnis, de son diplôme de journaliste à l’Université de Columbia, riche, surtout, de ses années de reportage, le savait mieux que personne : la vraie force, la vraie vérité, c’est l’amour. Il avait pourtant tout vu, tout reporté, tout entendu. Les scandales de sexe et d’argent. Son amitié avec le fils de Kennedy, ce John Junior, qu’il côtoyait dans les couloirs du magazine « George ». Sa facilité pour rencontrer les acteurs de la politique, la finance, le sport et le spectacle. Royant, porteur de cette valise lourde d’expérience et de savoir, de « choses vues », était destiné à réussir à la tête de « Match ». Son empathie, son sourire contagieux, l’honnêteté de son approche, sa discipline, son goût pour le rapport humain, son envie de toujours faire mieux, on en parlera encore longtemps à « Match ». On parlera aussi, avec admiration, de sa lutte contre un cruel cancer et comment, sans jamais se plaindre, jamais chercher la commisération d’autrui, il voulut, jusqu’au dernier jour, et pendant deux ans, assumer sa mission, être au milieu de ses collègues, pour fabriquer le journal. Sans doute n’a-t-il pu tenir aussi longtemps, n’a-t-il aussi vaillamment résisté au mal, que parce que Delphine était là, cette « si belle fille » qui lui a donné deux si beaux enfants.

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© Presse

Valérie se souvient : « Ils avaient une maison à Sète. On se retrouvait sur la plage, beaucoup de couples. Eux deux se levaient, se prenaient par la main, je les voyais marcher vers la mer, il ne cessait de la regarder, leur amour était palpable. Il avait la calme conscience de ce que signifiait cet amour, ce couple. » Je songe alors à Racine, dans « Phèdre » : « Ils ne se verront plus », dit Oenone. Phèdre répond : « Ils s’aimeront toujours. »