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Le Sénat sous la pression d’une pétition pour l’autonomie financière des personnes handicapées

Le handicap au quotidiendossier
Le texte a dépassé les 30 000 signatures, sur les 100 000 nécessaires afin d’être examiné par la Chambre haute. En jeu : l’autonomie financière des personnes n’ayant pas accès au marché de l’emploi.
par Elsa Maudet
publié le 31 décembre 2020 à 9h54

Il y a cinq ans, la vie de Véronique Tixier et son conjoint était chamboulée. Grâce à «un grand bonheur», d’abord : la naissance de leur enfant. A cause, ensuite, d’«un gros traumatisme». Parce qu’à la maternité, la jeune mère a dû remplir un formulaire de la CAF indiquant depuis quand elle vivait en concubinage. Six mois, a-t-elle renseigné, ignorant alors qu’elle signait là la fin du versement de son allocation aux adultes handicapés (AAH).

Cette aide, de 902 euros par mois aujourd’hui, vise à compenser une impossibilité de travailler due au handicap. Elle est versée à plus de 1,2 million de personnes, dont 270 000 en couple. Or, elle dépend du taux d’incapacité du bénéficiaire, mais aussi du niveau de revenus du foyer. Une personne seule touchant l’AAH à taux plein pourra voir son allocation décroître si elle s’installe avec quelqu’un qui travaille. Voire disparaître, comme ce fut le cas pour Véronique Tixier, dont le conjoint a des revenus supérieurs au plafond.

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Quelques mois après la naissance de son fils, elle a reçu un courrier de la CAF lui demandant de rembourser l'AAH indûment perçue au cours de ses six mois de vie en concubinage. Soit près de 5 000 euros – l'AAH était alors de 800 euros. Et son allocation a cessé de lui être versée. «Je me retrouvais sans ressources et j'étais à la charge de mon concubin, ça m'a démolie», lâche-t-elle. «La prime de naissance est passée dans le remboursement», complète son conjoint, Sylvain du Villard. Le couple, aujourd'hui surendetté, vit sans chauffage central.

«C’est comme si j’étais placée sous tutelle»

En septembre, Véronique Tixier a lancé une pétition sur la plateforme e-pétitions du Sénat, appelant à ne plus prendre en compte les revenus du conjoint dans le calcul de l'AAH. Après quelques semaines d'existence timide, le texte a explosé courant décembre, grâce au relais d'associations et de militants. Aidé, aussi, par une chronique sur France Inter de l'humoriste Nicole Ferroni. Elle a recueilli à ce jour plus de 30 000 paraphes sur les 100 000 nécessaires afin que le texte soit étudié par les sénateurs. Elle est ainsi devenue la pétition la plus signée du site, sur les 115 lancées depuis sa création, en janvier 2020. La Défenseure des droits, Claire Hédon, a soutenu l'initiative, jugeant que «les personnes handicapées doivent pouvoir être indépendantes financièrement».

Avant la naissance de son enfant et sa déclaration à la CAF, Véronique Tixier contribuait aux courses, payait tantôt l'eau, tantôt l'électricité, s'offrait de temps à autre «une petite robe», un rendez-vous chez l'esthéticienne ou une séance de sauna, idéale pour soulager ses douleurs héritées d'un accident de voiture survenu à l'âge de 8 ans. Ses 800 euros d'AAH ne lui permettaient certes pas de mener grand train, mais d'avoir au moins une certaine autonomie.

Désormais, «il faut que je demande à mon concubin, comme si j'étais placée sous curatelle ou sous tutelle», regrette cette Auvergnate de 43 ans. Ses vêtements et ceux de son fils, elle les récupère en boutiques d'échange, ces magasins spécialisés dans le troc.

Cour européenne des droits de l’homme

L'indexation de l'AAH sur les revenus du conjoint influe parfois sur des projets de vie. «Il y a des handicapés qui ne veulent pas se mettre en ménage, pas faire d'enfants, à cause du risque de perdre l'allocation», constate Sylvain du Villard. Sa compagne reçoit nombre de témoignages allant dans ce sens depuis la mise en ligne de sa pétition. Certaines femmes lui racontent les violences qu'elles subissent parce qu'elles ne ramènent pas d'argent à la maison, la mendicité qu'elles doivent faire auprès de leur partenaire pour disposer d'un petit pécule. Le mode de calcul de l'AAH est souvent cité comme un facteur aggravant les violences conjugales, qui contraint des femmes handicapées à rester avec un compagnon violent, faute de ressources propres.

Le 13 février, une proposition de loi visant à individualiser l'AAH était adoptée par l'Assemblée nationale. Contre l'avis de la secrétaire d'Etat aux Personnes handicapées, Sophie Cluzel, qui proposait alors «de rendre un rapport, d'ici au mois de juin, sur les gagnants et les perdants d'une telle réforme», estimant les seconds plus nombreux que les premiers. Depuis, ledit rapport n'a pas vu le jour. Et le texte de loi ne s'est toujours pas fait de place dans l'agenda du Sénat.

Si la pétition sur le site de la chambre haute a pris un réel envol, l’engouement s’est calmé ces derniers jours, certainement à cause de la langueur des fêtes. Il reste 70 000 signatures à obtenir d’ici au mois de mars : pas de quoi rendre le couple Tixier-du Villard très serein. S’ils n’obtiennent pas gain de cause par cette voie, ils envisagent de toquer plus haut, à la Cour européenne des droits de l’homme.

Mise à jour le 3 mars 2021 : une erreur de calcul du plafond de revenu menant à la suppression de l’AAH a été retirée de cet article.

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