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Libération
Chanson engagée

Anne Sylvestre, le couplet féministe

Jusqu’au bout, l’autrice-compositrice-interprète, morte ce mardi à 86 ans, défendait dans ses textes la cause des femmes dans un monde d'hommes.
par Florian Bardou
publié le 1er décembre 2020 à 17h10

Etait-ce prémonitoire; quatre ans avant #MeToo et #BalanceTonPorc ? En 2013, dans son vingt-quatrième disque, Juste une femme, Anne Sylvestre, inspirée par l'affaire DSK, haussait la voix contre toutes les humiliations des hommes faites aux femmes. La chanson éponyme est un enchainement d'uppercuts, appuyé par un phrasé par accoups, envoyés dans la trogne d'un «petit monsieur, petit costard». «Il y peut rien si ça l'excite/Et qu'est-ce qu'elle a cette hypocrite ? /Elle devrait se sentir flattée/Qu'on s'intéresse à sa beauté», ironise la parolière. Et vlan contre le harcèlement. La chanteuse, morte ce mardi à l'âge de 86 ans, a, il est vrai, été tout au long de sa carrière coutumière des coups de gueule et prises de parole sur les thématiques féministes. Répertoire à l'appui et qu'il ne faut pas réduire à ses chansons pour enfant, même si elle en rigolait aussi.

Prenez Une sorcière comme les autres, ballade écrite en 1975. Déjà, le texte dénonce le poids écrasant de la domination masculine sur le destin des femmes. Une critique bien avant l'heure du regard masculin qui fait uniquement des femmes des objets de désir dans la création, qu'on appelle «male gaze» aujourd'hui. Extraits : «S'il vous plaît /Regardez-moi je suis vraie /Je vous prie, ne m'inventez pas/Vous l'avez tant fait déjà.» Un an plus tôt, l'autrice de chansons engagées, qui n'aimait pas défiler dans la rue comme elle le confiera plus tard, revendiquait aussi dans Non, tu n'as pas de nom. En l'occurrence pour la liberté de disposer de son corps, un an avant la légalisation de l'avortement en France. «J'ai beaucoup parlé de la situation des femmes parce que je connaissais bien le sujet, expliquait-elle à Annick Cojean, journaliste au Monde, pour sa série Je ne serais pas arrivée là si... Et il y avait une sorte de désert puisque les paroliers étaient quasiment tous des hommes. J'ai eu l'instinct de combler le manque. Et puis cela me rendait furieuse de voir des vieux birbes parler par exemple du ventre des femmes !»

Appels à la sororité

Artiste complète, Anne Sylvestre a depuis ses débuts, à la fin des années 50, navigué en solitaire dans un océan de testostérone. C'était l'époque des Brassens, Ferré, Brel. La poète s'est faite parolière mais aussi compositrice et interprète, par elle-même, sans jamais (re)nié l'étiquette féministe. C'est d'ailleurs, selon elle, la seule qu'elle a assumé avec l'écologie, par peur des affiliations politiques dues à un père collaborationniste. «Maintenant, heureusement, "féministe" a cessé d'être un gros mot, affirmait-elle dans un entretien audio à Nouvelles écoutes il y a deux ans. Tout ce que j'écris est écrit par une femme, une femme consciente.» «Dès le début de sa carrière, Anne Sylvestre s'est en effet revendiquée de l'héritage de Nicole Louvier, première chanteuse à avoir écrit ses propres textes et à s'accompagner seule sur scène avec sa guitare, souligne Léa Lootgieter, co-autrice en 2019 des Dessous lesbiens de la chanson. Elle a également abordé la question de l'homosexualité féminine dans ses textes, mais de façon plus voilée que Nicole Louvier.»

La journaliste cite «sa chanson à la tonalité érotique», Mousse, en 1968 ou, Ruisseau bleu, «une passion amoureuse entre femmes», composée en 1994. En 2007, elle défend, très en avance, le mariage pour tous les couples dans Gay, marions nous«On peut comprendre la fin de "Petit bonhomme" (1986) comme une évocation des terres de femmes en non mixité», complète Léa Lootgieter. Anne Sylvestre appelait de ses voeux à la sororité, dans Frangines, en 1977. «Si on se retrouvait frangines/On n'aurait pas perdu son temps/Unissant nos voix, j'imagine/Qu'on en dirait vingt fois autant/Et qu'on ferait changer les choses/Et je suppose, aussi, les gens», chante-t-elle, imaginant la puissance transformatrice des solidarités féminines. Ses mille et autres couplets, souvent humoristiques - car elle avait la prose drôle aussi - rappellent aux femmes qu'elles n'étaient et ne sont pas seules.

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