Vu de São Paulo

Covid : au Brésil, la précarité est un facteur de risques

Le taux de prévalence et de létalité du coronavirus est plus élevé dans les quartiers défavorisés. Petits boulots en présentiel, déficits de lits en réanimation... Les explications sont multiples.
par Chantal Rayes, correspondante à São Paulo
publié le 26 octobre 2020 à 7h18

A São Paulo, plus grande ville et capitale économique du Brésil, un adulte sur quatre a déjà été exposé au Covid-19. Une moyenne qui masque d’abyssales inégalités : dans les districts les plus pauvres, la part de la population infectée ou ayant été en contact avec le virus grimpe à 30,4%. Puis encore à 31,6% parmi la population de couleur, double victime de la précarité et, dénoncent les associations noires, de discrimination raciale dans l’accès aux soins.

A Rio, deuxième ville du pays, célèbre pour ses favelas, le taux de létalité du virus était, selon une étude publiée en août, deux fois plus élevé dans les quartiers défavorisés qu’ailleurs, où les personnes âgées, principal groupe à risques, sont pourtant plus nombreuses. Même chose à Recife, la capitale du Pernambouc, dans le Nordeste.

«Déterminants sociaux de la santé»

Si, selon les spécialistes, le lien entre propagation du virus et habitat précaire n'est pas établi, l'épidémie, qui commence à ralentir dans le pays, le deuxième le plus endeuillé au monde (au moins 157 000 décès), rouvre le débat sur les «déterminants sociaux de la santé» dans les franges déshéritées des grandes villes, la periferia : accès précaire au tout-à-l'égout, déficit de lits en soins intensifs, insécurité alimentaire…

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Le télétravail imposé par la quarantaine a plus que jamais exposé la fracture sociale brésilienne. Plusieurs millions d'actifs dépendent du travail présentiel et de l'économie informelle. Depuis la doméstica, presque jamais déclarée et donc exclue de mécanismes telle la suspension rémunérée du contrat de travail, au pipoqueiro, le vendeur ambulant de pop-corn souvent cité par le président d'extrême droite, Jair Bolsonaro, pour critiquer l'impact économique de l'isolement social, qui a fait exploser le chômage (un tiers de plus entre mai et septembre). «Les domestiques, soit elles revenaient au travail, soit elles perdaient leur job», résume Mariangela Rosa, responsable d'une clinique publique de l'extrême sud de São Paulo.

«Lorsqu’on peut à tout moment mourir assassiné...»

Selon les enquêtes sérologiques menées par la mairie pauliste, le taux de prévalence du virus est trois fois plus élevé chez ceux qui ont dû sortir de chez eux pour aller travailler. L'«aide d'urgence» de 100 euros mensuels versée depuis avril par l'Etat central à 67 millions de précaires (un tiers de la population) frappés par le ralentissement économique n'aura donc pas suffi. D'autant que ces aides sociales viennent d'être réduites de moitié et devraient être suspendues en décembre.

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Même à gauche, on a vu des gens stigmatiser la periferia, où la quarantaine a été peu respectée. «Ils se passent le narguilé de bouche en bouche», a-t-on ainsi entendu d'une associative, outrée. «Sans politiques spécifiques, les quartiers ne se sont pas sentis concernés par un virus "importé" par les Brésiliens qui peuvent voyager en Europe», rétorque un autre. Et puis, dans ces poches de violence, «lorsqu'on peut à tout moment mourir assassiné, on relativise la maladie», renchérit l'universitaire Edison Bueno, qui relève l'«indifférence» dans laquelle le nouveau coronavirus est devenu la première cause de mortalité au Brésil.

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