Le romancier et traducteur Yehoshua Kenaz est mort du Covid-19, à Petah Tikva (Israël), sa ville natale, lundi 12 octobre.
Il avait 83 ans. Certains écrivains devancent parfois leur propre fin en imagination. Ainsi le Suisse Robert Walser (1878-1956), admiré de Kafka, périt-il comme l’un de ses personnages, gelé dans la neige. Yehoshua Kenaz, lui, dont les grabataires et les malades ont peuplé les récits, à l’instar de Yolanda Moscovici, l’héroïne de son chef-d’œuvre Vers les chats (traduit par Sylvie Cohen, Gallimard, 1994), avait dû subir, depuis cinq ans, l’épreuve de la maladie et de la vie en institution qu’il avait peinte dans cette contre-épopée de la vieillesse et du déclin. Tout comme Robert Walser, Yehoshua Kenaz a voué son écriture aux faibles, aux soumis, aux perdants apparents de l’existence.
Transmettre une expérience humaine
Pour lui, écrire a signifié surtout transmettre en hébreu une expérience humaine, et non seulement renverser les valeurs sionistes d’antan, exaltant la force, la combativité, la puissance technique ou militaire. Mieux que quiconque, il a eu l’art de restituer les paysages détraqués de la vieille Tel-Aviv, avec ses immeubles inachevés, l’odeur de poubelle suintant des arrière-cours, ses cages d’escaliers pleines des rumeurs de voisins indiscrets, de fils électriques enchevêtrés (« On brûle les placards d’électricité » est le titre d’une nouvelle de Paysage aux trois arbres, traduit par Rosine Pinhas-Delpuech, Actes Sud, 2003). Son style est à mille lieues de tout exotisme. Il aimait penser que ses récits auraient pu trouver place dans n’importe quelle partie du monde.
Cela explique pourquoi ce romancier, sans doute l’un des plus éminents de sa génération, a été moins connu que ses pairs dont certains, comme Amos Oz (1939-2018) furent ses amis. Bien qu’homme de gauche, membre du parti Meretz, il ne se sentait pas tenu d’adopter en tant qu’écrivain la posture tribunicienne d’une Cassandre nationale, même si une critique sévère et subtile de la société israélienne nourrit tous ses ouvrages. Il cherchait plutôt la solitude, était avare d’interviews.
Amoureux de la France et de Paris, où il avait étudié la littérature à la Sorbonne, au début des années 1960, il s’y retirait volontiers pour écrire, dans un petit appartement de la rue Pasteur dans le 11e arrondissement, puis dans le 14e. Traducteur de Flaubert, Balzac, Stendhal, mais aussi de Maurice Leblanc et Simenon – autant de sources d’inspirations pour ses propres fictions –, il était un fleuron de cette catégorie disparaissante d’intellectuels israéliens nourris de culture européenne et juive.
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