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Hommage à une immense artiste vaudoiseLe dernier geste de Francine Simonin

En 2017, l’artiste exposait ses «Léman» à l’Espace Arlaud à Lausanne.

On pouvait parler de tout avec la grande dame du geste gravé dans la matière, si libre de jouer avec l’emprise de la nature, si éperdument sensuel et si sincère «parce que l’art, disait-elle, est un don de soi»! On parlait de théières, elle les collectionnait. De sa volonté d’aider les jeunes artistes, là-bas au Canada où elle vivait à mi-temps et a longtemps enseigné. De son goût pour la clope qui faisait déborder les cendriers. On l’écoutait dans ses énervements quand la traduction d’une beauté violente ne venait pas tout de suite.

On parlait encore de l’un de ses amours aussi ardent que le Vésuve napolitain. De Nina Simone et de Miles Davis qu’elle écoutait en travaillant, ses toiles ou ses papiers toujours posés au sol. Mais surtout, on évoquait le Léman avec Francine Simonin, ce lac qu’elle regardait depuis Évian, son autre domicile, «à la fois toujours différent» et «si ressemblant».

«Je n’osais pas peindre le Léman, je me demandais si les Vaudois, si sensibles aux sublimes roses teintés de brun de Bocion ou aux déclinaisons de Hodler, allaient pouvoir s’approprier mon interprétation»

Francine Simonin, avant son exposition sur le Léman à l’Espace Arlaud à Lausanne en 2017
Francine Simonin, lors de son exposition à la Fondation Gianadda en 2011.

Ce lac sur lequel elle voyait tout l’art de Hodler, craignant de s’inscrire dans cette tradition des poètes du Léman avant de le faire quand même dans une exposition en 2016 à la Galerie Numaga (NE) (la première à l’avoir exposée quarante-six ans plus tôt), puis l’année suivante à l’Espace Arlaud à Lausanne.

«Je n’osais pas, avouait-elle alors. J’étais trop impressionnée, trop attachée. Et je me demandais si les Vaudois, si sensibles aux sublimes roses teintés de brun de Bocion ou aux déclinaisons de Hodler, allaient pouvoir s’approprier mon interprétation.» Cette façon d’effleurer les flots comme de les incarner d’une touche imprégnée de l’identité lacustre et habitée de ses couleurs. L’artiste savait en jouer comme d’autant de qualificatifs susceptibles de donner du sens à son phrasé gestuel.

On ne parlera plus avec Francine Simonin, partie le 9 octobre. La Lausannoise, grand prix de la Fondation vaudoise pour la culture en 1990, avait 84 ans depuis quelques jours à peine. Mais il nous reste l’amplitude charnelle de ses gestes, ses tempéraments de couleurs, ses éclats inspirés. Comme son regard qui fixait ses interlocuteurs, pénétrant. Et ses mots qui claquaient, vrais. Parfois crus! «La mort… tout le monde y passe. En gros, nous avait-elle lancé, dans dix ans, je ne serai peut-être plus là. En attendant, pourvu que je conserve le peu de vue qui me reste.»

«La mort, tout le monde y passe. En gros, dans dix ans, je ne serai peut-être plus là. En attendant, pourvu que je conserve le peu de vue qui me reste»

Francine Simonin, dans «24 heures» en 2011

C’était en 2011. Quelques jours avant son vernissage à la Fondation Gianadda à Martigny, sa première exposition de peinture en Suisse! Jusqu’alors, la Vaudoise formée aux Beaux-Arts de Lausanne ne les avait montrées qu’à Montréal, présentant surtout son travail sur papier en Suisse. Si, encore jeune artiste, elle avait reçu la bourse fédérale de peinture pour une série réalisée en Sardaigne, Francine Simonin travaillait avant tout la trace laissée sur le papier, griffure, signe, suture, luminescence. Elle travaillait les fulgurances le traversant ou encore la couleur comme une incarnation spontanée de l’émotion.

Le dessin de mémoire

Des souvenirs de nature. Des beautés intérieures. Déjà… enfant, elle dessinait de mémoire! Ses vacances à Champex, fief de sa famille paternelle. Ses aventures de sauvageonne dans les environs. Ses lectures avec une préférence pour Rimbaud, Hugo, Baudelaire, Stendhal, ces auteurs qui ont l’évocation influente. Voilà pourquoi l’œuvre de Francine Simonin n’est pas abstraite: écriture, calligraphie, danse, le courant y passe à haute tension. L’artiste figure l’esprit des choses, des êtres, des femmes, des Vénus, les falaises, les musiciens, Venise, l’océan, le cinéma, les orages.

Ces choses lui venaient en série. «Je n’arrive pas à me recopier, confiait-elle avant son exposition au Musée d’art de Pully en 2014. J’ai l’impression que l’œuvre se renouvelle en sortant d’elle-même, le sentiment que les sujets s’imbriquent les uns dans les autres. Longtemps, j’ai travaillé avec des modèles. Désormais, je préfère le paysage, où le contact est plus direct. Plus aéré et sans obligation de décrire la forme.»

«Je n’arrive pas à me recopier. J’ai l’impression que l’œuvre se renouvelle en sortant d’elle-même, le sentiment que les sujets s’imbriquent les uns dans les autres»

Francine Simonin, dans «24 heures» en 2014

Une ouverture assumée par la Vaudoise, élève de Marcel Poncet et Casimir Reymond, en traversant l’Atlantique dès 1968. Et largement partagée! Son compagnon de toute une vie artistique, le taille-doucier Raymond Meyer qui attendait chaque été «le séisme Simonin», le rappelait dans ces colonnes en mars dernier. «Comme femme, comme artiste, elle a ouvert nombre de portes aux autres. Un jour, alors qu’elle devait venir signer une édition de douze planches, elle m’a demandé de l’encre blanche et un pinceau, elle a rehaussé toutes les planches, c’était magnifique. Une façon de prendre le contrôle. Francine Simonin mériterait de grandes expositions!»

Encore un rêve

Montrée à Montréal, à Québec, à Paris, au Musée Jenisch à Vevey, de retour à Lausanne à Arlaud en 2017, après Pully en 2014, aussi humblement que secrètement, elle aurait aimé mériter une exposition au Musée cantonal des beaux-arts. Une œuvre y est désormais accrochée dans la collection permanente; faute d’avoir pu rentrer en Suisse cette année, celle qui travaillait «d’instinct avec ce que le hasard apporte» n’a pas pu la voir. Mais son rêve, lui, n’est pas mort…

Francine Simonin (à gauche de l’image), une artiste très suivie par le public. Il y avait toujours foule dans ses vernissages comme, en 2011, à la Fondation Gianadda à Martigny.