Libération de 206 djihadistes contre 4 otages : un échange qui pose question
Un succès pour la junte. Mais d'aucuns redoutent les suites de cet échange.
- Publié le 10-10-2020 à 09h36

Le président français Emmanuel Macron a accueilli vendredi en France la dernière otage française au monde, tandis que les autorités de Rome faisaient de même avec deux otages italiens. Tous les trois ont été libérés dans la nuit de jeudi à vendredi dans le nord du Mali par les djihadistes qui les détenaient, en même temps que le chef de l'opposition malienne.
Une otage convertie
Sophie Pétronin, 75 ans, est une humanitaire franco-suisse qui vivait à Gao (Nord-Mali), où elle s'occupait d'aide à l'enfance quand elle avait été enlevée par des combattants islamistes, à la Noël 2016. La septuagénaire se présente désormais, selon Le Monde, comme "Mariam" et se dit musulmane ; elle a déclaré vendredi qu'une fois enlevée, elle avait été "dans l'acceptation de ce qui lui était arrivé".
Avec elle ont été libérés deux Italiens. Le "Père Gigi", Pier Luigi Macalli, un missionnaire de 59 ans, qui avait été enlevé le 17 septembre 2018 au Niger, à 150 km de Niamey, dans la localité où il vivait, seul Européen. Nicola Chiacchio, indique la presse italienne, est un ingénieur de la région de Naples, enlevé "probablement au Mali" alors qu'il faisait un "tour d'Afrique" à vélo électrique, en 2019.
Une coalition de groupes salafistes
Mais c'est surtout le quatrième otage libéré qui intéresse les Maliens : Soumaïla Cissé, 70 ans, président de l'Union pour la République et la Démocratie (URD), ex-candidat malheureux à la Présidence et chef de file de l'opposition. Il avait été enlevé le 25 mars dernier avec 17 autres personnes - l'une d'elles perdra la vie lors de l'attaque, le garde du corps de l'homme politique - alors qu'il faisait campagne pour les législatives dans sa région natale de Tombouctou (Nord-Mali). Il a été élu député durant sa captivité.
Tous les otages étaient détenus par le "Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans" (sic, dans un pays où 95 % de la population est musulmane), une coalition de combattants salafistes mise sur pied en 2017. Elle réunit plusieurs groupes armés impliqués dans l'occupation djihadiste du Nord-Mali, de début 2012 à début 2013, quand une intervention militaire française y avait mis fin : Ansar Dine (djihadistes maliens touaregs), Al Mourabitoune (réunissant les salafistes algériens de Moktar Belmokhtar) et le Mujao, dominé par des Mauritaniens. S'y est jointe la Katiba Macina, créée en 2015 par un Peul malien et regroupant essentiellement des Peuls de toute la sous-région.
Le très impopulaire président Ibrahim Boubacar Keïta, dit "IBK", semblait n'avoir pas avancé d'un pas vers la libération de son rival politique, Soumaïla Cissé, depuis mars. Après l'avoir nié, il avait reconnu être en négociation avec les djihadistes - sans suite connue jusqu'ici. La libération de Soumaïla Cissé apparaît donc comme un succès politique pour la junte militaire qui a renversé IBK le 18 août dernier.
Celle-ci a libéré, le week-end dernier "206" djihadistes détenus en divers endroits du pays, selon des sources djihadistes. Une fois la joie des libérations retombée, ce chiffre ne pourra manquer de poser question.
La force salafiste étoffée
C'est en effet un nombre considérable en échange de quatre otages. Ces combattants étoffent la force de frappe salafiste alors que Bamako ne contrôle plus que le tiers sud du pays. Le tiers nord est dominé par les djihadistes armés, tandis que le centre, abandonné par l'État malien, est la proie d'affrontements ethniques pour lesquels des localités de plus en plus nombreuses se tournent vers l'arbitrage des djihadistes parce que c'est le seul bras armé présent.
On s'interroge déjà sur les critères qui ont présidé au choix des détenus djihadistes libérés : ont-ils été imposés par le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans ? Ont-ils été choisis par Bamako ? Sur quelle base ?
Enfin, libérer 206 djihadistes contre 4 otages est un clair encouragement à multiplier les rapts.