Frédéric Devreese a rejoint son ami Delvaux
Compositeur talentueux, l’artiste s’est éteint hier à l’âge de 90 ans.
- Publié le 28-09-2020 à 19h11
- Mis à jour le 28-09-2020 à 19h12
L’an dernier, Flagey et le Brussels Philharmonic avaient fêté ses nonante ans, il y était égal à lui-même, passionné et sensible, avec, dans le regard, cette lueur de mélancolie tendre dont sa musique était la première héritière. Frédéric Devreese était pourtant déjà malade. Il est décédé hier matin, chez lui, entouré de ses proches, des suites d’un cancer. Avec lui, c’est une personnalité originale et flamboyante de la vie musicale belge qui s’en va, laissant une œuvre considérable où se retrouvent tous les genres "classiques" : musique symphonique, musique de chambre, opéra, musique de ballet, musique pour chœur, pour quatuor, pour piano, etc. Mais il fut aussi - et peut-être prioritairement - compositeur de musique de film et, l’un allant généralement avec l’autre, brillant chef d’orchestre.
Devreese père et fils
Frédéric Devreese est né à Amsterdam le 2 juin 1929 dans une famille de musiciens. Sa mère était violoncelliste et son père, Godfried Devreese (1893-1972), alors chef d’orchestre à La Haye et membre du Concertgebouworkest d’Amsterdam, était aussi compositeur. C’est lui qui donna à Frédéric sa première éducation musicale, transcrivant soigneusement les morceaux que composait son petit garçon : "Ce fut alors la chance de ma vie, nous confiait le musicien en 2006. Mais après ce fut l’inverse : lors de mon premier prix, le morceau imposé était une sonatine de mon père dont je détestais le troisième mouvement, que j’ai donc récrit pour l’occasion ; le jury a trouvé l’interprétation des deux premiers mouvements très fades, et celle du troisième incandescente…" Le fils était en train de s’imposer…
Revenu en Belgique, Frédéric Devreese poursuivit ses études musicales à Bruxelles, auprès de Marcel Poot, pour la composition, et de René Defossez, pour la direction d’orchestre. Il ira ensuite se perfectionner à l’Académie Sainte-Cécile à Rome, ainsi qu’à l’Académie d’État à Vienne. Ses études et ses voyages ne l’empêchent pas d’écrire déjà quelques œuvres ambitieuses, et il n’a que 20 ans lorsqu’il signe son premier Concerto pour piano et orchestre, récompensé par la Prix de la Ville d’Ostende. Dans la foulée, il composa le Concerto pour violon (1951), les Concertos pour piano n°2 et n°3 (1952 et 1955), une première symphonie (1952), etc. À partir de 1965 s’établit entre le compositeur et André Delvaux une collaboration qui durera jusqu’à la mort du cinéaste : ce furent les musiques de L’Homme au crâne rasé, Un soir un train, Rendez-vous à Bray, Belle, L’Œuvre au noir, etc., mêlées à des collaborations avec Marion Hänsel, Lieven Debrauwer ou Hugo Klaus.
"Une bouffée d’air frais"
Les années 80 marquèrent un nouveau tournant : du côté classico-classique, le public du Concours Reine Elisabeth découvrait en 1983 son Concerto pour piano n°4, choisi cette année-là, comme concerto imposé : "Dans toute la pression du concours, nous explique Boyan Vodenitcharov, 3e lauréat cette année-là, je me souviens de l’impression ressentie en ouvrant la partition : une bouffée d’air frais, une joie de me retrouver dans ces rythmes dits ‘balkaniques’ ou jazzy, j’en oubliais le concours, c’était formidable…" Et en 1984, le succès du film Benvenuta révélait au grand public la puissance colorée et sensuelle de la musique qui l’accompagnait. Des années plus tard, Devreese récrivit certaines de ses musiques de film pour l’Ensemble Soledad, ainsi que deux des finales pour piano. Il en fit de même pour le Quatuor Alfama. Les jeunes musiciens l’adoraient, il le leur rendait bien.
Gilles Ledure, directeur de Flagey, évoque "un homme entier, d’une pièce, conscient de sa valeur, mais sans aucune arrogance. Un homme généreux et enthousiaste, un vrai musicien, qui agence les notes pour agencer les cœurs, dont le langage raconte le monde d’aujourd’hui, qui connaissait aussi bien Bartok que Schoenberg ou Messiaen, ou Gershwin ou Boulez, un mélodiste hors pair et un rythmicien fabuleux".
Au cours d’une carrière riche et multiple, attestée par une abondante discographie, Frédéric Devreese reçut de nombreux prix nationaux et internationaux, parmi lesquels le Prix Italia pour son opéra TV Willem van Saefthingen, ainsi que le Plateau Music Award pour ses musiques de films (deux fois). Il fut nommé chevalier de l’ordre de la Couronne et chevalier de l’ordre de Léopold II et élevé au rang de chevalier par le roi Albert II de Belgique en 1996.
Époux de la journaliste Annie Declerck (productrice iconique de la VRT), il était père et grand-père.