« La qualité est une politesse élémentaire. » Au milieu des années 80, Christian Liaigre imposait un style luxueux et épuré, qu’il voulait « à la fois moderne et classique ». Assises et tables en wengé (bois noir africain), iconique tabouret « Nagato » en chêne laissé brut, lignes sobres et tendues, tons bruns et infinité de blancs, le décor était strict et calibré au millimètre, agencé parfois jusqu’à la « maniaquerie ». On s’arrêtait devant la vitrine de la rue de Varenne et, à défaut d’être invité dans les maisons de Calvin Klein, Carole Bouquet, Karl Lagerfeld ou Marc Jacobs, on allait décrypter la touche Liaigre à l’Hôtel Montalembert (Paris, 1990) et, plus tard, au Mercer de SoHo (New York, 1997) écrivait Nicolas Mathéus à l’occasion de l’ouverture du showroom de sa maison en 2018. Signe que Christian Liaigre a marqué son époque comme peu de décorateurs, ses intérieurs sont décrits dans les romans de Bret Easton Ellis, Jay McInerney ou Frédéric Beigbeder.
Formé aux Beaux-arts et aux Arts décoratifs, il a élevé des chevaux avant, à 40 ans passés, de dessiner une collection de meubles pour Nobilis. D’emblée, c’est sa discrétion même qui rend remarquable la « touche » Christian Liaigre. Son univers, unique, ne craint pas les paradoxes : rigoureux sans être austère, minimaliste mais riche, ascétique mais sensuel. Il aimait le Versailles de l’âge classique pour son inventivité. Et le travail du Jean-Michel Frank des années 20 pour sa simplicité. Il était parvenu à en faire une synthèse qui n’appartenait qu’à lui.

« Rigoureux sans être austère, minimaliste mais riche, ascétique mais sensuel »

« C’est presque sur la pointe des pieds que l’on devrait pénétrer l’univers discret de Christian Liaigre ; cadre toujours épuré et rigoureuse sobriété étudiée et matériaux nobles » explique Francesca Cavazzocca dans nos pages à la fin des années 90 à propos d’un appartement Haussmannien du Faubourg Saint-Honoré conçu par le maître. C’est là un des signes les plus sûr de la force de son travail. Les journalistes n’ont pas envie de le décrire mais bien de le définir. D’en capturer l’essence. « Christian Liaigre perpétue l’exercice de son esprit minimaliste. Il transforme ce beau volume en un lieu plein d’espace et non en espace plein. Les volumes éclatés ne recevront que des objets de qualité ; il veut livrer un cadre pour que n’importe qui puisse s’y adapter. » Pour bien préciser, elle ajoute : « Tout est dissimulé afin d’éviter les heurs visuels […] La sensualité du bois domine l’ambiance, même les embrasures des portes sont habillées de bois exotiques. »
Comme les héros de Bret Easton Ellis, ou Calvin Klein dans sa suite du Mercer, « ici, le propriétaire peut arriver et repartir sans avoir de contraintes de rangement. Il pourra refermer la porte derrière lui, doucement, sans avoir altéré ce cadre élégant et intemporel mais en l’ayant habité, tous simplement. »
Pour résumer sa philosophie, Christian Liaigre expliquait à propos d’un appartement dévoilé dans nos pages en 1995 qu’il l’avait voulu : « Rigoureux sans être austère, minimaliste mais riche, ascétique mais sensuel. » Notre rédacteur complétant pas ses mots : « l’endroit, tout en paradoxes, appelle l’oxymore. Le décorateur y égrène l’alphabet, tout à la fois subtil et tranché, qui fait son style : du bois pour adoucir les angles et structurer l’espace, une palette de couleurs cohérente et ramassée, le “moins” à la place du “plus” et la fonctionnalité en sus. »

« Il a défini les codes de l’élégance dans les intérieurs du monde entier »

Cette sobriété se combine avec un sens pratique rendait ses créations faciles à vitre. Et ce jusque dans les plus infimes détails. Par exemple, il notait à propos d’une maison de vacances qu’il avait conçu : « Les invités ont toujours de grandes trousses de toilette. C’est pourquoi j’ai dessiné de larges plans de toilette en ipé. »
Christian Liaigre avait passé la main et quitté sa maison en 2016. Mais les grands d’aujourd’hui (India Mahdavi, François Champsaur, Gilles & Boissier, Tristan Auer…) ont fait leurs armes chez lui. Perpétuant un esprit français dont Liaigre est un des plus élégants représentants.
Cité par « Le Monde », India Mahdavi résume de ces mots le travail de son mentor : « Précis, rigoureux, attaché à la terre et aux belles matières, [il] a contribué ces vingt dernières années à définir les codes de l’élégance dans les intérieurs du monde entier, inventant un nouveau classicisme à base de beige, de blanc et de bois. »