"Donnez-moi la liberté de penser, de parler et de discuter librement, selon la conscience au-dessus de toutes les autres libertés" - George Loveless, le chef des Martyrs de Tolpuddle, 1834. (1)
"Le Congrès ne fera aucune loi concernant l’établissement d’une religion ou interdisant le libre exercice à celle-ci, ou restreignant la liberté d’expression ou de la presse, ou le droit du peuple à se réunir pacifiquement et à demander au gouvernement de réparer ses torts." Premier amendement à la Constitution des États-Unis, adopté en 1791.
Chaque année en juillet, le village de Tolpuddle dans le Dorset organise un rassemblement en mémoire de ses "martyrs" - six ouvriers agricoles condamnés à être transportés en Australie pour s’être organisés afin de protéger leurs salaires. L’événement d’il y a 200 ans est depuis longtemps connu pour l’abus de procédure judiciaire, les condamnations vindicatives, les traitements arbitraires et les attitudes ouvertement répressives utilisés pour mettre fin à des activités qui menaçaient des intérêts privés. Le cas de Julian Assange aujourd’hui, sous des chefs d’accusation très différents mais avec des expériences similaires de la loi, montre que rien n’a changé, en fait les choses se sont détériorées. En 1834, la question des droits syndicaux soulevée par Tolpuddle était considérée comme une pierre angulaire des libertés britanniques : aujourd’hui, les questions du droit public à l’information et de la liberté de publier devraient être considérées de la même manière, mais les protestations ont été étouffées.
Cet article explore quelques-uns des parallèles entre le cas des citoyens britanniques transportés en Australie en 1834 et celui d’un citoyen australien emprisonné en Grande-Bretagne et devant être transporté aux États-Unis en 2020.
CONTEXTE - LA SOCIÉTÉ MUTUELLE DES TRAVAILLEURS AGRICOLES
Les martyrs de Tolpuddle étaient six ouvriers agricoles du Dorset qui, entre 1831 et 1833 et avec environ 40 autres ouvriers du village de Tolpuddle, ont formé une "Friendly Society" [une société mutuelle - NdT] - précurseur d’un syndicat.
Les enclos fonciers du milieu du XVIIIe siècle avaient transformé les fermiers pauvres en travailleurs sans terre, dépendant des salaires des propriétaires terriens locaux pour leur emploi. Les années 1830 ont été une période de conditions difficiles dans la campagne anglaise avec des salaires proches de la famine. Le salaire moyen de l’époque pour un ouvrier agricole était de 9 shillings par semaine, mais à Tolpuddle, les salaires avaient été réduits à 7 shillings en 1833 et la société s’est formée lorsque le propriétaire foncier local a parlé de réduire encore leurs salaires à 6 shillings. D’autres injustices dans la campagne anglaise de l’époque comprenaient le système des cottages liés, selon lequel les employeurs étaient propriétaires des maisons dans lesquelles les ouvriers vivaient et si leur emploi prenait fin, les familles étaient chassées de leurs cottages.
L’une des réactions de la campagne anglaise a été les émeutes du "Captain Swing", qui a détruit des batteuses et brûlé des briques de foin, et pour lesquelles de nombreux ouvriers ont été transportés en Australie. La solution recherchée par les hommes de Tolpuddle fut de former une "Friendly Society" et d’adresser une pétition aux propriétaires terriens locaux pour obtenir une augmentation des salaires. Le principal porte-parole du groupe, George Loveless, était un prédicateur méthodiste laïc et beaucoup d’hommes étaient méthodistes.
La réponse du propriétaire terrien local - Joseph Frampton - fut d’arrêter les six hommes considérés comme des meneurs. Ils ont été accusés d’avoir prêté un serment illégal. Après un procès de deux jours, le jury a déclaré les six hommes coupables et ils ont été condamnés à être transportés pendant sept ans à Van Diemens Land, la colonie pénitentiaire en Australie. Les Friendly Societies et les syndicats de toute l’Angleterre ont considéré cet événement comme une menace pour toutes les tentatives d’amélioration des conditions des travailleurs et ont rapidement organisé une vaste campagne publique. Le gouvernement a fait marche arrière, les six ont été graciés et sont tous rentrés en Angleterre en 1837. De là, cinq ont émigré au Canada. L’un d’entre eux est mort à Tolpuddle et est enterré dans le cimetière de l’église.
CONTEXTE - JULIAN ASSANGE
Julian Assange est le fondateur de Wikileaks qui, depuis 2006, a fourni la plate-forme pour la publication de plus de 10 millions de documents authentiques, en particulier de grandes volumes de données censurées et à accès restreint. Selon le site http://defend.wikileaks.org, ces documents sont reçus de manière anonyme :
"....Julian a créé le premier système de soumission en ligne anonyme et sécurisé pour les documents provenant de sources journalistiques. Pendant des années, il a été le seul système de ce type, mais une telle boîte de dépôt est maintenant un élément de base pour de nombreuses grandes organisations d’information et de défense des droits de l’homme, avec des versions telles que SecureDrop".
Assange est actuellement détenu à la prison de Belmarsh en attendant de nouvelles audiences visant à déterminer la validité d’une demande d’extradition par les États-Unis. L’acte d’accusation initial non scellé contre Assange (août 2018, levé le 11 avril 2019) contenait une accusation de complicité d’intrusion informatique, passible d’une peine de cinq ans de prison et concernant uniquement des documents fournis par Chelsea Manning à Wikileaks des bases de données qui : "contenaient environ 90 000 rapports d’activités significatives liées à la guerre en Afghanistan, 400 000 rapports d’activités significatives liées à la guerre en Irak, 800 dossiers d’évaluation des détenus de Guantanamo Bay, et 250 000 câbles du Département d’Etat américain". Wikileaks a commencé à publier ces documents en avril, juillet et octobre 2010. Les documents et vidéos fournissent des preuves des crimes de guerre américains en Irak et en Afghanistan, y compris la torture et les mauvais traitements infligés aux prisonniers irakiens, et de l’ampleur réelle des décès de civils en Irak (Iraq and Afghanistan War Logs). La toute première diffusion, non mentionnée dans l’acte d’accusation américain actuel, concernait la tristement célèbre vidéo de "meurtre collatéral" montrant le meurtre au hasard de civils innocents et de personnes qui tentaient de leur porter secours.
En novembre 2010, Wikileaks a commencé à publier une série de câbles diplomatiques américains révélant par exemple l’espionnage de chefs d’État et de l’ONU, l’implication de divers gouvernements, y compris européens, dans les opérations de restitution et les interventions du gouvernement américain pour soutenir des entreprises américaines telles que Monsanto et Lockheed Martin. Ces deux informations ont été largement diffusées par tous les médias et ont depuis été utilisées pour soutenir de nombreuses affaires relatives aux droits de l’homme dans le monde entier. Wikileaks, Assange et d’autres de ses journalistes ont reçu de nombreux prix de journalisme et Wikileaks a été nominé sept fois pour le prix Nobel de la paix.
La réponse des politiciens américains n’a pas été d’enquêter sur les crimes de guerre mais de dénoncer Wikileaks et Assange comme des "terroristes". Plusieurs politiciens et journalistes, dont Hillary Clinton, ont appelé à son assassinat. En décembre 2010, le gouvernement américain a ouvert une enquête du grand jury sur WikiLeaks - le début du processus visant à décider s’il faut poursuivre le site web et Julian Assange pour espionnage. En janvier 2011, un courriel ayant fait l’objet d’une fuite a révélé que les États-Unis avaient préparé un acte d’accusation scellé contre Assange. À cette époque, plusieurs grandes institutions financières ont également refusé de traiter les dons à WikiLeaks, réduisant ainsi environ 95 % de ses revenus.
En août 2010, alors qu’il était en visite en Suède, M. Assange a fait l’objet d’allégations d’agression sexuelle. L’enquête a immédiatement révélé que l’allégation la plus grave était sans fondement et en septembre 2010, Assange a été informé qu’il était libre de quitter la Suède. Cependant, l’affaire a été rouverte par une autre procureure et le 20 novembre 2010, la police suédoise a émis un mandat d’arrêt international via Interpol à l’encontre d’Assange et il a été arrêté à Londres et libéré sous caution (2).
Après plusieurs appels infructueux contre son extradition, le 19 juin 2012, Assange a demandé l’asile à l’ambassade équatorienne, rompant les termes de ses conditions de libération sous caution (2). Les raisons de sa demande "étaient liées à sa crainte, exprimée publiquement, d’être livré aux États-Unis par la Suède et d’y être soumis à de mauvais traitements, y compris la persécution et l’isolement cellulaire indéfini, en raison de sa participation à la publication par WikiLeaks de documents militaires et diplomatiques américains sensibles". Le gouvernement équatorien de l’époque considérait qu’il y avait des preuves solides qu’Assange risquait de subir "des représailles de la part du ou des pays qui avaient produit les informations" (que WikiLeaks avait publiées), que ces représailles "pouvaient mettre en danger [sa] sécurité, son intégrité et même sa vie", et que s’il était extradé vers les États-Unis, il pourrait subir un traitement cruel et dégradant. Assange est resté à l’ambassade jusqu’en avril 2019, période durant laquelle sa santé s’est sérieusement détériorée.
Suite à un changement de gouvernement en Équateur en 2017, la surveillance d’Assange à l’ambassade est devenue très intrusive et ses conditions plus restrictives. Le 20 février 2019, le nouveau président, Lenin Moreno, a signé un accord de prêt avec le FMI de 4,2 milliards de dollars nécessitant l’approbation des États-Unis. Le 11 avril 2019, le gouvernement équatorien a révoqué l’asile d’Assange, et la police britannique est entrée dans l’ambassade et a arrêté Assange. Il a présenté des excuses pour avoir enfreint les conditions de sa mise en liberté sous caution, mais a été reconnu coupable et condamné à 50 semaines d’emprisonnement. Il a été envoyé à la prison de sécurité maximale de Belmarsh, une prison réservée aux terroristes avérés et aux criminels violents. Les craintes d’Assange d’être extradé vers les États-Unis se sont rapidement avérées tout à fait justifiées. Le jour même de son arrestation, le Grand Jury a levé les scellés sur l’acte d’accusation contre lui, le 23 mai, un acte d’accusation complémentaire a été établi et le 4 juillet, une demande formelle d’extradition a été adressée à la Grande-Bretagne.
L’acte d’accusation américain contre Assange comprend maintenant 17 charges supplémentaires en vertu de la loi sur l’espionnage mais porte uniquement sur la publication des mêmes documents que ceux mentionnés dans l’acte d’accusation initial et décrits ci-dessus. Ensemble, les 18 chefs d’accusation pourraient entraîner une peine de 175 ans de prison aux États-Unis. S’il est extradé, il sera jugé par le "tribunal d’espionnage" du district Est de Virginie, la région où le Pentagone, la CIA et le ministère de la défense sont basés et où les jurys reflètent donc la population locale. Le procès se déroulerait en secret en vertu de la loi sur la protection des informations classifiées (CIPA) et serait jugé par la juge Leonie Brinkerman qui était auparavant procureur pour la sécurité nationale. Aucun accusé n’a jamais gagné une affaire de sécurité nationale devant ce tribunal.
Assange est toujours détenu à la prison de Belmarsh, dans le sud-est de Londres, bien après avoir purgé sa peine pour violation de la liberté sous caution, sur ordre du gouvernement américain. La première phase de son audience d’extradition a eu lieu en février 2020, et la deuxième phase est prévue pour septembre 2020.
PARALLÈLES HISTORIQUES
1 - La loi comme instrument de répression
Les Martyrs de Tolpuddle et Assange ont tous deux été pris au piège des procédures judiciaires, choisis pour leur capacité à mettre fin à ce qui est considéré comme des activités "subversives". Le véritable "crime" des travailleurs du Dorsetshire a été de contester le droit des employeurs à réduire les salaires à volonté. Le véritable crime d’Assange est la publication de documents qui, entre autres, révèlent des mensonges, des actes de torture et des violations des droits de l’homme par les États-Unis. Les deux cas suivent un schéma similaire : les citoyens font quelque chose pour obtenir une liberté de valeur pour les gens ordinaires ; l’establishment est indigné et utilise la loi pour les poursuivre d’une manière disproportionnée et inhumaine. La loi est utilisée comme une forme de "choc et effroi" pour dissuader les autres et pour refuser la liberté revendiquée.
2 - Choix des instruments juridiques
Dans l’affaire des Martyrs de Tolpuddle, on a fait valoir que la suppression d’un syndicat naissant n’a pas été obtenue par l’abus de la loi mais par son utilisation (3). Cette première section illustre le fait que c’est le choix des instruments juridiques qui a été crucial, et que l’effet de ceux-ci a été amplifié par les méthodes extrêmes et irrégulières d’application des lois choisies.
TOLPPUDDLE
En 1834, il n’y avait pas de loi contre la formation d’un syndicat. Les regroupements étaient depuis longtemps illégaux et les lois sur les regroupements de 1799 et 1800 avaient permis d’agir plus rapidement contre eux. Cependant, ces lois ont été abrogées en 1824, bien qu’en 1825, suite à une recrudescence du syndicalisme, un amendement ait limité son impact et, à partir de 1830, les employeurs des zones industrielles ont obligé les travailleurs à signer le "Le Document" - une déclaration selon laquelle ils ne devaient pas "interférer avec le libre exercice du travail individuel".
En découvrant la Friendly Society formée à Tolpuddle, le propriétaire foncier local, Joseph Frampton, a communiqué avec Lord Melbourne, le ministre de l’intérieur, qui était lui-même parent du député du Dorset. Melbourne estimait que les syndicats étaient "incohérents, impossibles et contraires à la loi de la nature" et conseilla à Frampton d’utiliser la loi de 1797 sur les serments illégaux, une loi dirigée contre les mutineries dans la marine et destinée à combattre les conspirations séditieuses dans les forces armées. Ainsi, une loi destinée à des fins totalement différentes a été utilisée pour criminaliser une partie essentielle de l’organisation syndicale de l’époque.
Les 40 hommes avaient, à l’instar de nombreuses sociétés amies et autres de l’époque, prêté serment de ne pas trahir leurs camarades lors de la formation de leur société, une pratique courante parmi les sociétés amies de l’époque. À l’époque, la plupart des travailleurs étaient analphabètes, aussi la prestation de serment était-elle l’alternative à la signature d’une déclaration ou d’un contrat. Comme l’a déclaré un militant de la campagne de défense des six hommes : "que si être membre d’une société secrète et administrer des serments secrets était un crime, le Duc réactionnaire de Cumberland à la tête des Loges Orange méritait tout autant d’être déporté." En fait, les ouvriers auraient pu être poursuivis devant un magistrat pour avoir prêté serment (comme l’étaient les sociétés similaires à l’époque), mais cela n’aurait entraîné qu’une peine de trois mois : l’utilisation d’une loi contre la sédition et la trahison était un crime passible de la peine de déportation.
Malgré cela, il n’est pas certain que la condamnation était "gagnée d’avance". Peu après le procès, le ministère de l’intérieur a demandé un avis juridique sur la question de savoir si le serment prêté par les ouvriers était illégal, et les officiers de justice ont déterminé qu’un serment de la Friendly Society n’était pas illégal s’il n’obligeait pas les membres à commettre des actes illégaux ou à les dissimuler : c’est-à-dire qu’il faudrait prouver "que la réunion au cours de laquelle le serment a été prêté était illégale indépendamment du serment" (4).
ASSANGE
Le choix des instruments juridiques pour poursuivre Assange s’est fait de quatre manières principales.
Mandat d’arrêt européen
Assange a passé sept ans à l’ambassade équatorienne en raison de la décision des autorités suédoises d’émettre un mandat d’arrêt européen (MAE) pour extrader Assange afin de l’interroger sur les préoccupations de deux femmes concernant d’éventuelles inconduites sexuelles de la part d’Assange, dont les détails ont été divulgués à la presse suédoise par la police. (L’affaire a été ouverte et close trois fois depuis 2010 et a été complètement abandonnée en novembre 2019. Toutefois, l’ordre de mise en liberté sous caution émis pour arrêter Assange afin de l’extrader en Suède est resté en vigueur). Le mécanisme le plus approprié pour l’interroger aurait été une procédure d’"entraide judiciaire" utilisée pour assurer la coopération entre les États afin de recueillir des éléments. (5) Assange a toujours fait savoir qu’il était tout à fait disposé à coopérer aux enquêtes, tant en résidence surveillée que pendant son séjour à l’ambassade d’Équateur. Il s’est déclaré prêt à se rendre en Suède pour y être interrogé à condition que le gouvernement suédois donne l’assurance qu’il ne serait pas refoulé vers les États-Unis, ce qu’ils ont absolument refusé de faire. Si la procédure d’entraide judiciaire avait été suivie, il n’aurait pas été nécessaire d’extrader Assange vers la Suède, et donc pas besoin pour lui de demander l’asile à l’ambassade équatorienne, ni de rompre la caution pour éviter l’extradition. Comme le dit Nina Cross : "...le MAE initial n’aurait jamais dû être émis, ce qui signifie qu’Assange n’aurait pas été obligé de demander l’asile à l’Équateur pour éviter d’être extradé vers les États-Unis, et qu’il ne serait pas non plus détenu à Belmarsh maintenant".
L’instrument juridique, le MAE, a également été émis de manière incorrecte - par le procureur suédois - et non par une "autorité judiciaire" comme l’exige la législation pertinente. Les avocats d’Assange ont contesté le MAE sur ce point et la question a été portée devant la Cour suprême britannique qui a rejeté l’appel d’Assange, bien que deux des juges aient exprimé leur désaccord, l’un d’eux déclarant que : "L’autorité judiciaire d’exécution doit sans aucun doute être un tribunal". Par la suite, et en réponse à l’affaire Assange et à d’autres, le Royaume-Uni a modifié sa législation nationale afin qu’un MAE ne soit pas accepté s’il avait été émis uniquement dans le but d’interroger un suspect et si aucune accusation n’avait été effectivement portée. Si ce changement de loi avait été obtenu en 2010, l’extradition d’Assange n’aurait pas été autorisée par le Royaume-Uni. (6)
Loi de 1917 sur l’espionnage
L’acte d’accusation contre Assange énumère 18 chefs d’accusation, dont 17 en vertu de la loi de 1917 sur l’espionnage. C’est la première fois que cette loi est utilisée contre un éditeur de documents classifiés. L’administration Obama a engagé des poursuites contre Chelsea Manning et Edward Snowden, par exemple, mais n’a pas inculpé les médias qui ont publié l’information. "L’idée d’inculper quelqu’un non pas pour avoir réellement volé et divulgué des secrets gouvernementaux mais pour les avoir reçus et publiés n’a jamais été testée devant un tribunal, car jusqu’à présent le gouvernement n’a jamais porté de telles accusations".
L’utilisation de la loi de cette manière est à première vue inconstitutionnelle en vertu du 1er amendement à la Constitution américaine, comme l’ont souligné de nombreux journaux et avocats. Un autre procès contre Wikileaks a été intenté par le Comité national démocrate (DNC) pour avoir publié des courriels du DNC relatifs aux primaires démocrates de 2015-16. Un groupe d’avocats a présenté une motion de soutien à la soumission de Wikileaks pour résister et, citant toute une série de cas et de précédents, a fait valoir que : "Un acte de publication qui serait autrement protégé par le premier amendement ne perd pas cette protection simplement parce qu’une source a acquis les informations publiées illégalement", et que : "La presse s’appuie sur cette protection pour informer le public sur des questions d’intérêt public".
Le juge dans cette affaire a déterminé le 31 juillet 2020 que Wikileaks est "protégé par le Premier Amendement parce que l’organisation n’a pas volé les documents et n’a diffusé que du matériel qui était dans l’intérêt du public". (7)
Le système du grand jury aux États-Unis
Afin de soutenir l’accusation d’espionnage, les États-Unis ont utilisé leur système de grand jury pour obtenir la preuve qu’Assange avait conspiré avec Chelsea Manning pour craquer un mot de passe qui "lui aurait" permis de couvrir ses traces plus efficacement.
Chelsea Manning, l’analyste du renseignement de l’armée américaine en Irak qui a remis les documents à Wikileaks, fut condamnée à 35 ans de prison pour espionnage mais libérée après sept ans en mai 2017. En mars 2019, elle a été arrêtée à nouveau pour avoir refusé de témoigner devant un Grand Jury dans le cadre de son enquête sur Wikileaks et Assange, et a été maintenue en isolement jusqu’en mars 2020, date à laquelle elle a été libérée à la suite d’une tentative de suicide. Ses amendes cumulées de 250 000 dollars continuent d’être infligées. Il s’agit d’un abus du système du grand jury qui s’est développé au cours de nombreuses années, comme l’a déclaré M. Manning :
"Je ne suis certainement pas le seul à penser que le processus du grand jury, qui à un moment donné a agi comme un organe indépendant de citoyens sur le modèle d’un conseil d’examen de la police civile, est lentement passé dans le bras débridé de la police et de l’accusation d’une manière qui va à l’encontre des objectifs initiaux du grand jury".
Traité d’extradition entre les États-Unis et le Royaume-Uni
Dans des scènes presque grotesques au cours de la première phase des audiences d’extradition à Belmarsh, l’avocat des États-Unis a proposé que, si l’extradition était demandée en vertu du traité d’extradition entre le Royaume-Uni et les États-Unis de 2007, la clause de ce traité interdisant l’extradition pour des infractions politiques ne s’appliquait pas. L’argument était que la loi britannique sur l’extradition de 2003 n’incluait pas une telle interdiction et qu’elle ne pouvait donc pas être insérée dans un traité car elle n’avait pas été spécifiquement votée par le Parlement. Comme l’a fait valoir la défense en réponse : "À première vue, c’est un argument très bizarre qu’un traité qui donne lieu à l’extradition, sur lequel l’extradition est fondée, puisse être ignoré dans ses dispositions. À première vue, c’est absurde".
La loi de 2003 était une loi d’habilitation, qui définissait les conditions générales dans lesquelles les traités d’extradition pouvaient être conclus : le traité d’extradition entre les États-Unis et le Royaume-Uni était soumis au Parlement (comme la plupart des traités l’étaient sous la "règle Ponsonby" informelle), mais à cette époque, avant une modification de la loi en 2010, le Parlement n’avait pas le pouvoir de passer outre à l’exécutif et pouvait seulement exprimer sa désapprobation ou exercer une pression politique pour modifier les termes du traité. Lorsqu’en 2010, une commission spéciale des affaires intérieures a examiné le fonctionnement du traité de 2007, son rapport a révélé de sérieuses réserves de la part des différents partis quant à sa nature déséquilibrée, mais à aucun moment la commission n’a critiqué la clause qui interdit l’extradition pour des délits politiques.
Décisions arbitraires
Le choix des lois existantes comme instruments de répression a été amplifié par l’abus de procédure judiciaire qui a marqué le cas d’Assange. L’émission d’un MAE a eu pour effet d’inciter Assange à chercher refuge à l’ambassade et, en raison de la lenteur de la Suède à poursuivre l’affaire et de son refus jusqu’en 2015 d’interroger Assange à l’ambassade, a mis Assange dans un "état de procrastination indéfinie". En 2013, nous savons maintenant, grâce aux courriels envoyés à la journaliste d’investigation Stefania Maurizi en vertu des lois suédoises sur la liberté de l’information, que les procureurs suédois souhaitaient clore l’affaire Assange mais en ont été dissuadés par le ministère public britannique, un avocat disant aux Suédois "ne vous avisez pas de vous dégonfler". (8)
En décembre 2015, le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire (UNWGAD), après avoir examiné son cas, a déterminé qu’il avait été maintenu en état de détention arbitraire depuis son arrestation à Londres en décembre 2010. Le Groupe de travail des Nations Unies a donc déclaré que, "en violation des articles 9 et 10 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et des articles 9 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), M. Assange n’a pas bénéficié des normes internationales de procédure régulière et des garanties d’un procès équitable". (9)
Le rapport de l’UNWGAD a été immédiatement rejeté par les politiciens et les médias britanniques qui se sont emparés de l’opinion du seul membre dissident pour la dénigrer - une gifle pour le droit international. L’opinion majoritaire a cependant été approuvée par le professeur Mads Andenas, qui avait présidé les premières étapes de l’enquête du UNWGAD sur Assange et qui est maintenant chercheur invité à l’université d’Oxford. Comme d’autres, il a été consterné par la réaction officielle britannique au rapport : "Les décisions du UNWGAD ne sont pas toujours suivies par les États, mais elles donnent rarement lieu à des attaques personnelles comme celles que les politiciens britanniques ont lancées après l’avis sur Assange".
En novembre 2016, les procureurs suédois ont finalement interrogé M. Assange à l’ambassade et en mai 2017, ils ont clos l’enquête et annulé leur mandat d’arrêt suédois, ce qui a entraîné la révocation du mandat d’arrêt européen. En conséquence, en février 2018, les avocats d’Assange ont demandé l’abandon du mandat d’arrêt pour violation du contrôle judiciaire. Dans une autre décision arbitraire, le juge principal du district (Lady Arbuthnot, voir ci-dessous) a décidé que le mandat d’arrêt pour violation du contrôle judiciaire restait valide et, lors d’une deuxième audience, qu’il était dans l’intérêt public d’engager une procédure d’infraction si Assange quittait l’ambassade. À la suite de ces décisions judiciaires, Assange a passé sept ans à l’ambassade équatorienne, incapable d’avoir accès à des soins médicaux appropriés et entouré de caméras de surveillance et de policiers prêts à l’arrêter s’il mettait le pied dehors. En mai 2019, un mois après son arrestation par des agents infiltrés de la police métropolitaine et effectuée à l’ambassade équatorienne, l’affaire suédoise a été rouverte sous la direction d’un nouveau procureur. Sa demande de mandat d’arrêt auprès des tribunaux suédois a été rejetée. Elle a poursuivi son enquête préliminaire et l’a clôturée en novembre 2019 sans jamais l’avoir interrogé.
1 - Démarches des juges et des jurys
TOLPUDDLE
Les six ouvriers du Dorsetshire ont été mis en cause dans le cadre d’une procédure judiciaire irrégulière, car le juge et les jurys étaient composés d’hommes dont les intérêts et les attitudes rendaient la condamnation presque automatique.
Deux jurys étaient alors impliqués dans les procès en Grande-Bretagne - le grand jury et le petit jury, ce dernier prenant la décision finale quant à la culpabilité. Le rôle du grand jury était d’examiner les affaires soumises au tribunal et de décider s’il y avait une "cause probable" ou une preuve "prima facie" qu’un crime avait été commis, après quoi un acte d’accusation était établi et présenté au tribunal. Le grand jury, cependant, siégeait également au tribunal : à Dorchester, où les hommes étaient jugés, le grand jury s’asseyait sur un balcon surélevé et visible pour le petit jury.
Le président du Grand Jury dans l’affaire des Martyrs de Tolpuddle était William Ponsonby MP, beau-frère de Lord Melbourne. Parmi les membres du jury figuraient James Frampton (qui avait arrêté les six hommes), son fils Henry, son demi-frère Charles Wollaston et plusieurs des magistrats qui avaient signé le mandat d’arrêt. Le Grand Jury a dûment approuvé les bases de l’accusation portée contre les syndicalistes.
Le petit jury était composé de douze agriculteurs locaux qui n’avaient aucune raison de favoriser le syndicat. Le parti pris est devenu évident lorsque l’un des commerçants a été exclu du jury parce qu’il avait entendu George Loveless prêcher dans la chapelle méthodiste.
Le procès a été présidé par le juge Baron Williams, qui a estimé que "L’objet de toute sanction légale n’est pas seulement d’opérer sur les délinquants eux-mêmes, mais aussi de donner un exemple et un avertissement". Il a également déclaré au jury que, s’ils jugeaient les six hommes innocents, ils "perdraient la bonne opinion du Grand Jury".
ASSANGE
L’affaire Assange n’a été entendue en Grande-Bretagne que par un magistrat ou un juge de district, aucun jury n’a été impliqué : Le sort d’Assange est entièrement entre les mains de quelques personnes bien informées. Dans la plupart des cas, ces juges ont utilisé leur position pour attaquer le caractère d’Assange, sur la base de ce qui ne pouvait être que des rapports médiatiques non fondés.
Les décisions de Lady Arbuthnot d’Edrom qui a décidé en février 2018 que l’ordre d’arrestation d’Assange pour violation de son contrôle judiciaire était maintenu, ont prolongé la détention d’Assange à l’ambassade équatorienne. Ses arguments en faveur de ses décisions étaient illogiques et ne reposaient sur aucune preuve valable. Par exemple, Lady Arbuthnot a affirmé qu’il était purement "spéculatif" de prétendre qu’Assange avait une crainte réaliste de refoulement vers les États-Unis, même si un précédent magistrat en 2012 avait accepté qu’"il ne peut y avoir aucun doute que cette crainte était présente dans l’esprit du défendeur dans la procédure d’extradition". Cependant, Mme Arbuthnot elle-même était heureuse de spéculer, sans aucune preuve, que si un tel refoulement avait eu lieu "il y aurait eu une crise diplomatique entre le Royaume-Uni, la Suède et les États-Unis". C’est une affirmation ridicule, alors que les avocats d’Assange avaient au moins des "motifs raisonnables" pour expliquer la violation de la liberté sous caution par Assange.
Les parallèles entre le cas d’Assange et l’affaire Tolpuddle sont évidents. Le mari de Lady Arbuthnot est Lord James Arbuthnot of Edrom, un conservateur possédant une vaste expérience parlementaire, notamment dans les domaines de la défense et de la sécurité nationale. Il a été président de la Commission spéciale de la défense de 2005 à 2014 et est également inscrit sur la liste des anciens directeurs de Security Intelligence Consultancy SC Strategy Ltd. Les deux autres directeurs sont d’anciens chefs du MI6, Sir John Scarlett et Lord Carlisle. Scarlett a été impliqué dans des actes de torture et des restitutions extraordinaires. Son fils, Alexander Arbuthnot, est vice-président de Vitruvian Partners, qui dirige un consortium d’investisseurs dans Darktrace, "une société de cyber-sécurité dont le personnel est également composé de fonctionnaires recrutés directement auprès de l’Agence de sécurité nationale (NSA) et de la CIA". Il conseille Vitruvian sur la cyber-sécurité. Un autre membre de Vitruvian siège au conseil d’administration de Darktrace. Darktrace a été créé délibérément pour contrer la menace cybernétique sur les données émanant d’une organisation, c’est-à-dire des lanceurs d’alerte. M. Arbuthnot a également travaillé pour Symantec qui a produit en 2010 un rapport intitulé : "Éviter que WikiLeaks ne se reproduise : Comment empêcher les fuites ?"
En effet, pour paraphraser le juge Tolpuddle, on pourrait dire d’elle que si elle avait soutenu les affirmations d’Assange, elle aurait risqué de "perdre la bonne opinion" des services de sécurité, dont beaucoup peuvent avoir leurs propres raisons pour voir Assange incarcéré de façon permanente. Bien que Mme Arbuthnot ne se soit jamais récusée de l’affaire, elle ne préside plus le tribunal, mais elle supervise sa remplaçante, Vanessa Baraitser, dont le parti pris ouvert a prolongé l’incarcération d’Assange, l’a empêché de participer à sa défense, ne lui a pas assuré l’accès à ses avocats et aux documents juridiques.
La nature de l’attitude et de la décision de Baraitser a été bien décrite par l’ancien diplomate britannique Craig Murray. En octobre 2019, par exemple, Assange s’est présenté à une audience de gestion de l’affaire mais a eu des difficultés à donner son nom et sa date de naissance et était manifestement en très mauvaise santé. La défense a fait valoir qu’elle avait besoin de plus de temps pour se préparer, car elle n’avait été autorisée à remettre à Assange des documents sur l’affaire qu’une semaine auparavant, et il venait à peine d’avoir accès à ses dossiers informatiques. Baraitser a rejeté cette demande et la discussion a été déplacée vers les dates de présentation des preuves. À ce stade, le procureur britannique a discuté avec les représentants de l’ambassade américaine au tribunal des dates appropriées, qui ont ensuite été approuvées par le juge. Craig Murray, qui était présent au tribunal, raconte :
"Le gouvernement américain dictait ses instructions à Lewis, qui les transmettait à Baraitser, qui en faisait sa décision juridique. La mascarade aurait tout aussi bien pu être arrêtée et le gouvernement américain aurait pu simplement s’assoir sur le banc pour contrôler l’ensemble du processus. Personne ne pouvait rester assis là et croire qu’il assistait à un véritable processus juridique ou que Baraitser prenait un moment pour réfléchir aux arguments de la défense. Les rares fois où elle a regardé la défense, les expressions de son visage allaient du mépris au sarcasme en passant par l’ennui. Lorsqu’elle regardait Lewis, elle était attentive, ouverte et chaleureuse".
L’attitude des juges reflète étroitement l’intérêt de l’État britannique à arrêter Wikileaks. L’État britannique est complice non seulement des abus exposés dans les communiqués de 2010, mais aussi du procès américain contre Assange. En mars 2019, la police métropolitaine a admis avoir partagé des informations sur les journalistes de Wikileaks avec les procureurs américains depuis 2013. Sajiv Javid, en tant que ministre de l’intérieur, a signé la demande d’extradition en juin 2019, ce qui est controversé car il a le pouvoir de bloquer l’extradition si une personne risque la peine de mort. Javid a participé aux discussions aux États-Unis sur Assange lors des réunions annuelles de l’American Enterprise Institute, une organisation néo-conservatrice ayant des liens avec la "communauté" du renseignement. Les commentaires des autres intervenants qui ont partagé le panel auquel Javid a pris la parole en 2018 indiquent que Javid se mêlait à des gens qui veulent certainement la peine de mort. "Pourquoi Assange n’a-t-il pas été garrotté dans sa chambre d’hôtel il y a des années ?" a demandé un intervenant.
2 - Des peines excessives et inappropriées
TOLPUDDLE
Les Martyrs de Tolpuddle ont été condamnés à sept ans de déportation vers l’Australie et à des conditions de quasi-esclavage dans les dures colonies pénales de ce pays. La peine était considérée à l’époque comme excessive.
ASSANGE
La peine de 50 semaines infligée à Assange pour violation des conditions de la liberté sous caution était extrême. La clé de l’argument du juge Deborah Taylor qui a prononcé la sentence était l’opinion, fréquemment exprimée ailleurs également, selon laquelle Assange avait un "libre choix", c’est-à-dire qu’il n’avait à craindre d’être arrêté et refoulé aux États-Unis, qu’il n’avait pas à craindre un procès inéquitable aux États-Unis s’il quittait l’ambassade, et qu’il " avait choisi " d’être confiné dans l’ambassade, ou qu’il avait "choisi" délibérément de violer son contrôle judiciaire.
Les avocats d’Assange ont plaidé lors de l’audience du 1er mai 2019 que :
"La Suède avait, à l’époque, un passé bien documenté de renvoi direct de personnes vers des États dans lesquels elles couraient un risque important de mauvais traitements, y compris la torture et la mort." Ils ont plaidé qu’il était connu en décembre 2010 que "concernant les États-Unis en particulier, la Suède avait également, à l’époque des faits, un long et regrettable passé de coopération illicite avec les États-Unis dans le domaine des mauvais traitements des détenus et de leur restitution", qu’"il n’existait aucun recours juridique à sa disposition au Royaume-Uni pour le protéger contre un refoulement par la Suède vers les États-Unis". Et que "en février 2012, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture a confirmé que M. Manning avait été soumis à des traitements inhumains et dégradants".
Trois semaines après l’arrestation et la condamnation d’Assange, les États-Unis ont effectivement émis leur mandat d’extradition. Une série de juges britanniques ont donc tenu des propos tout à fait injustifiés et incorrects : les faits connus confirment l’opinion selon laquelle M. Assange risquait d’être extradé vers les États-Unis et d’être puni par la suite.
L’état de santé d’Assange n’a pas été pris en compte. Il avait déjà passé sept ans sans soleil ni espace pour faire de l’exercice dans l’ambassade, les autorités britanniques lui avaient refusé l’accès aux soins médicaux nécessaires et, depuis 2017, il était soumis, au sein de l’ambassade, à des niveaux de surveillance de plus en plus intrusifs et à des limites de ses communications et de ses visites (voir aussi ci-dessous pour plus de détails).
3 - Sanctions extra-judiciaires
TOLPUDDLE
En plus de la dureté générale du transport lui-même, dans lequel les hommes étaient étroitement entassés et enchaînés, les six hommes étaient vulnérables à d’autres mauvais traitements en Australie car leurs antécédents en tant que syndicalistes les exposaient à des punitions supplémentaires. Un des martyrs a déclaré avoir été informé par un officier : "Je comprends que vous aviez l’intention de tuer, brûler et détruire tout ce qui se trouvait devant vous, et vous êtes envoyé ici pour être sévèrement puni, et aucune pitié ne vous sera témoignée."
Les familles des Martyrs ont également été punies. Les six épouses se retrouvèrent avec un total de 16 enfants à charge sans le soutien de famille. Les familles vivraient "presque exclusivement de thé et de pommes de terre". Elles n’étaient pas autorisées à rendre visite à leurs hommes en prison, et on leur refusait l’aide de la paroisse. Un magistrat local leur a dit : "Vous souffrirez de la misère, vous n’aurez pas de pitié". Les familles étaient surveillées de près, par exemple lorsqu’un délégué de l’Union leur apporta une aide financière en avril 1834, le fait fut signalé aux autorités. Même lorsque leurs hommes ont été graciés, elles n’ont pas été informées pendant un certain temps en raison de l’inefficacité (ou de l’insensibilité ?) du gouvernement (10).
Même une fois de retour en Angleterre et vivant dans l’Essex, dans des maisons louées pour eux par la campagne, ils ont continué à être calomniés. Les six hommes organisèrent une association Chartiste dans le village de Greensted, à la colère des écuyers et des hommes d’église locaux. Le vicaire de Greensted prêcha contre leurs activités et alerta le ministère de l’Intérieur :
La pression continue des propriétaires terriens a forcé cinq d’entre eux à chercher une nouvelle vie et ils se sont installés comme agriculteurs au Canada.
ASSANGE
La santé physique et mentale d’Assange a souffert pendant son emprisonnement arbitraire, d’abord à l’ambassade et maintenant à Belmarsh. Trois médecins ont rendu visite à Assange à l’ambassade en janvier 2018 :
"M. Assange est entouré de menaces personnelles crédibles de la part de divers gouvernements et individus. Il est également incapable de se prévaloir de son droit d’accès aux institutions médicales en raison de la menace d’une arrestation imminente s’il sortait de l’ambassade, même pour une urgence médicale. Il est inadmissible que M. Assange soit dans la position de devoir décider entre éviter l’arrestation et subir les conséquences sanitaires, y compris la mort, si une crise mortelle telle qu’une crise cardiaque devait se produire. En outre, notre évaluation révèle qu’il n’a pas eu accès à la lumière du soleil, à une aération appropriée ou à un espace extérieur depuis plus de cinq ans et demi. Cette situation a fait des ravages considérables".
Le rapporteur des Nations unies sur la torture a déclaré après avoir visité M. Assange à Belmarsh :
"Les preuves sont accablantes et claires, M. Assange a été délibérément exposé, pendant plusieurs années, à des formes progressivement sévères de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dont les effets cumulés ne peuvent être décrits que comme de la torture psychologique.
Je condamne, dans les termes les plus fermes, la nature délibérée, concertée et soutenue des abus infligés à M. Assange et je déplore sérieusement l’échec constant de tous les gouvernements concernés à prendre des mesures pour la protection de ses droits humains les plus fondamentaux et de sa dignité. En affichant une attitude de complaisance au mieux, et de complicité au pire, ces gouvernements ont créé une atmosphère d’impunité encourageant la diffamation et les abus sans retenue contre M. Assange.
En 20 ans de travail avec les victimes de la guerre, de la violence et de la persécution politique, je n’ai jamais vu un groupe d’États démocratiques s’unir pour isoler, diaboliser et abuser délibérément un seul individu pendant si longtemps et avec si peu de considération pour la dignité humaine et l’État de droit. La persécution collective de Julian Assange doit cesser ici et maintenant !"
Une partie de la torture qu’Assange subit quotidiennement est que s’il est emmené aux États-Unis, le type de prison qui l’attend sera soumis à des mesures administratives spéciales : Si Julian est extradé vers les États-Unis, ce sont les ténèbres qui l’attendent. Il sera soumis à un régime carcéral appelé mesures administratives spéciales... Il sera placé dans une cage dans les entrailles d’une prison supermax, un trou d’enfer. Il sera coupé de tout contact avec le reste de l’humanité.
Actuellement, à Belmarsh, Assange a un accès très limité à ses avocats, peu de visiteurs sont autorisés et il n’a pas eu la possibilité d’examiner correctement les accusations portées contre lui par les États-Unis ou de préparer sa défense. John Pilger a tweeté il y a quelques mois :
"Je l’ai vu à la prison de Belmarsh et sa santé s’est détériorée. Pire qu’un meurtrier, il est isolé, sous médicaments et privé des outils nécessaires pour lutter contre les fausses accusations d’extradition par les États-Unis. Je crains maintenant pour lui. Ne l’oubliez pas".
Nils Melzer a récemment commenté l’impact de l’expérience d’Assange :
"Nous pouvons être raisonnablement sûrs que l’attitude des juges britanniques, les difficultés de préparation de sa défense seront un facteur puissant aggravant son traumatisme à Belmarsh".
Les demandes de libération d’Assange pour raisons médicales, compte tenu de son état physique et psychologique déjà compromis et donc de sa vulnérabilité à Covid-19, sont tombées dans les oreilles sourdes de la juge Baraitser. Assange n’a pas pu assister à ses dernières audiences par liaison vidéo car il est en mauvaise santé en raison d’une affection pulmonaire de longue date. L’incertitude qui entoure maintenant la date et le lieu de la deuxième phase de l’audience constitue une nouvelle punition.
La famille d’Assange, en particulier sa compagne et mère de ses enfants, Stella Morris, a également été punie. La juge Baraitser a refusé de lui accorder l’anonymat suite à une déclaration de témoin qu’elle a faite au nom d’Assange, forçant Stella Morris à rompre le silence et à s’exposer potentiellement, elle et ses enfants, à un harcèlement de la presse de caniveau.
Des sanctions extrajudiciaires ont été infligées à grande échelle et de manière vindicative.
4 - Procès inéquitable
TOLPUDDLE
Le 22 février 1834, c’est-à-dire plusieurs mois après la prétendue prestation de serment, un avertissement a été publié dans Tolpuddle. Il y était dit que les travailleurs avaient été trompés pour qu’ils adhèrent à des "sociétés et syndicats illégaux" et qu’ils devaient prêter secrètement des "serments illégaux". Tout homme trouvé membre d’un tel syndicat serait condamné au déportation. L’avertissement était signé par neuf magistrats locaux et par quatre ecclésiastiques. Deux jours plus tard, les six membres principaux étaient arrêtés et emmenés à la prison de Dorchester.
Les dépositions des témoins étaient suspectes. L’un des principaux témoins, John Lock, était le fils du jardinier en chef de James Frampton à Moreton Hall et l’un des informateurs de Frampton. Le député radical Thomas Walkley a affirmé au Parlement que les témoins avaient été placés en prison avant le procès pour s’assurer qu’ils comparaissent et fournissent les "preuves requises". Walkley a également soutenu que les hommes du jury avaient été délibérément choisis comme étant ceux qui étaient le plus susceptibles de rendre un verdict de culpabilité, ce qu’ils ont fait après peu de délibérations.
Lors du procès, bien que l’illégalité du serment ait été l’accusation principale, aucune formulation du serment n’a jamais été produite et le tribunal s’est appuyé sur les récits brouillés des "témoins". En outre, aucune tentative n’a été faite au procès pour prouver que la réunion elle-même était illégale : si les hommes avaient été correctement représentés par un avocat, la conclusion à laquelle les avocats du ministère de l’intérieur sont finalement parvenus aurait pu être débattue au tribunal. L’ambiance était telle que les hommes se représentaient eux-mêmes par l’intermédiaire du porte-parole, George Loveless. (11)
ASSANGE
Ce qui précède illustre déjà l’injustice qui a caractérisé les audiences d’extradition et leur préparation. Il semble que les autorités pénitentiaires de Belmarsh aient fait preuve d’une obstruction exceptionnelle en empêchant ses avocats d’avoir accès à lui pour préparer son dossier et le juge Baraitser a refusé d’intervenir auprès des autorités pénitentiaires. Le traitement répressif d’Assange n’a pas été levé pendant la première phase des audiences d’extradition en février, lorsque Assange a été menotté onze fois, déshabillé deux fois et s’est vu confisquer ses dossiers après le premier jour de son audience d’extradition. Baraitser lui a refusé la liberté sous caution pendant la période Covid 19, en dépit du fait qu’il souffre d’une maladie pulmonaire chronique sous-jacente et qu’il n’a aucun antécédent de comportement violent.
Assange a été soutenu par une formidable équipe juridique au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Espagne, ce qui est certainement un avantage dont d’autres ne bénéficiaient pas il y a 200 ans. Cependant, la CIA s’est efforcée de saper et de contourner même ce petit avantage dont jouit Assange par rapport à la puissance des États-Unis. Nous savons maintenant, grâce à un procès qui se déroule actuellement en Espagne, qu’une société de sécurité espagnole a fourni à la CIA l’audio et la vidéo des conversations privilégiées d’Assange avec les avocats de l’ambassade équatorienne. Ainsi, par des moyens illégaux, les États-Unis ont connu et suivi les arguments de la défense. Comme le commente Joseph Farrell de Wikileaks : "Vous aviez une société de sécurité travaillant pour l’ambassade équatorienne qui enregistrait toutes ses réunions, y compris ses rencontres avec ses médecins et ses avocats, y compris les discussions juridiques stratégiques, de sorte que cela détruit complètement tout élément de privilège client/avocat".
5 - Le rôle de l’église / des médias
TOLPUDDLE
Si vous suivez le sentier autour du village de Tolpuddle, accessible chaque année lors du festival, l’excellent guide vous indiquera le mur d’enceinte entre l’église du village et le manoir, avec une passerelle pour faciliter l’accès entre les deux.
La proximité physique souligne les intérêts de classe de la noblesse et de l’église à l’époque. L’église était une profession respectable pour les jeunes fils de la noblesse. Pour bien faire, la noblesse avait le droit de nommer un homme comme recteur ou vicaire et le meilleur espoir d’être nommé était d’avoir un lien de parenté ou autre avec le parrain. Le fait que les revenus du clergé provenaient de leur "subsistance" - la somme que les ouvriers de la région pouvaient fournir sous forme de dîmes - cimentait encore davantage les intérêts communs de classe.
Les membres du clergé local étaient directement impliqués dans l’aide et l’encouragement aux attaques des propriétaires terriens contre les conditions de travail des ouvriers et contre le syndicat naissant. En 1832, le vicaire de Tolpuddle, le révérend Thomas Warren, a participé à une réunion entre les ouvriers et les propriétaires terriens locaux qui ont convenu d’un salaire hebdomadaire de 10 shillings par semaine, et, à l’invitation de Loveless, Warren a été le témoin de cet accord. Lorsque les propriétaires terriens sont revenus sur leur promesse peu après, Warren a nié qu’un tel accord ait eu lieu. Quatre ecclésiastiques de l’Église d’Angleterre ont signé l’avertissement mettant en garde les travailleurs contre l’adhésion à un syndicat.
Avant, pendant et après le procès, Warren et d’autres ecclésiastiques ont lancé diverses attaques contre les ouvriers, dont certaines étaient probablement inspirées par le fait que les dirigeants étaient également des méthodistes actifs qui avaient fondé une chapelle à Tolpuddle en 1818. Après la publication des mémoires de George Loveless - The Victims of Whiggery - et sa visite au village de Haselbury pour y parler aux villageois, un vicaire impétueux de Haselbury a écrit aux chefs des missions wesleyennes et méthodistes pour condamner Loveless comme "fauteur de troubles", un "homme mauvais et méchant". Si l’on observe le rôle du clergé, qui a activement contribué à leur répression simplement parce qu’ils demandaient des salaires suffisants pour vivre, il n’est guère surprenant que le jour où les six hommes ont été condamnés à la déportation, les fenêtres du presbytère de Tolpuddle ont été brisées.
Les questions que George Loveless a soulevées plus tard dans sa "lettre" au vicaire Haselbury en 1838 sont très similaires à celles qui pourraient être posées aux propriétaires de journaux et de sites de médias sociaux qui ont pour rôle actuel de maintenir la population en état de passivité :
"Le clergé, au cours des guerres cruelles et désastreuses qui ont causé tant de pauvreté, de misère et de vice, n’a-t-il pas défendu le principe et été l’instigateur de convaincre les pauvres à rejoindre l’armée et la marine, les soustrayant à leur vocation légitime et en faisant des assassins.... Combien de fois a-t-on observé que le clergé s’opposait avant tout à toute mesure populaire susceptible d’être pour le bien du peuple... Combien d’évêques ont voté contre l’adoption de cette loi des plus cruelles, des moins chrétiennes et des plus inhumaines, "The Poor Law Amendment Bill", ou contre tout autre acte de coercition par lequel les classes ouvrières pourraient être réduites au silence, quels que soient leurs griefs... Quelle chance, monsieur, a un ouvrier d’obtenir justice si le clergé de la paroisse (plus particulièrement si elle est située dans une zone agricole) lui est hostile ?"
ASSANGE
Les piliers modernes de l’establishment - la presse grand public - n’ont pas ménagé leurs efforts pour diffamer Assange.
Les attaques pourraient être caractérisées par un commentaire de la BBC, justifiant essentiellement la situation à laquelle Assange devra faire face en novembre 2019 : "Pour ses partisans, Julian Assange est un vaillant militant de la vérité. Pour ses détracteurs, c’est un chercheur de publicité qui a mis des vies en danger en mettant une masse d’informations sensibles dans le domaine public". L’accusation selon laquelle Assange est un "chercheur de publicité" et un "narcissique" est courante, associant de manière trompeuse la publicité pour une cause ou pour des informations d’intérêt public vital, à l’autopromotion. Dans la mesure où les journalistes font connaître leur travail ou les informations qu’ils ont découvertes, ils sont des autoproclamateurs - c’est la nature même de leur travail. Afin de porter les câbles diplomatiques à l’attention du public, Assange s’est associé à 90 organisations de médias. Oui, Assange a cherché à faire de la publicité, non pas pour lui-même mais pour des informations d’intérêt public vital.
Ce n’est pas non plus Assange qui a mis des vies en danger, mais les journalistes et les journaux mêmes qui le calomnient aujourd’hui. Lorsque les publications de 2010, en particulier les journaux de guerre en Irak et le "Cablegate", ont été publiées, de nombreux journaux et autres médias ont utilisé ce matériel. En fait, il rendu célèbres plusieurs reporters. Deux d’entre eux étaient David Leigh et Luke Harding, qui étaient des contacts d’Assange dans sa recherche de partenaires médiatiques et qui ont publié "Wikileaks : Inside Julian Assange’s War on Secrecy", dont les droits ont été vendus à Hollywood pour en faire un film "The Fifth Estate". C’est grâce à la publication de ce livre que la stratégie de Wikileaks consistant à diffuser les câbles diplomatiques de manière contrôlée afin de s’assurer que les rédactions protégeant les personnes nommées soient interrompues et que la sécurité des personnes soit mise en danger. Comme l’a fait remarquer Assange :
"En écrivant sur son travail avec moi sur le matériel de WikiLeaks, David Leigh a choisi - malgré mes avertissements explicites - d’imprimer un mot de passe de cryptage confidentiel comme titre de chapitre, annulant huit mois de notre travail (et de plus d’une centaine d’autres organisations médiatiques) et entraînant le déversement de centaines de milliers de câbles du Département d’État sur Internet sans les rédactions sélectives qui avaient été soigneusement préparées".
Les médias ont été un outil de propagation volontaire des allégations d’inconduite sexuelle non prouvées contre M. Assange, les qualifiant à plusieurs reprises de "charges" alors qu’aucune accusation n’a jamais été portée. Les médias du monde entier ont été l’outil volontaire de la police suédoise qui a communiqué à la presse des informations sur les allégations, transgressant ainsi toutes les règles de confidentialité.
De nombreux organes de presse ont rapporté que l’acte d’accusation d’extradition actuel était lié au piratage ou à la fuite de documents, alors que ni l’un ni l’autre n’est vrai. Dans un article du Guardian, le journal déclare "En inculpant Assange pour piratage informatique plutôt que pour publication d’informations classifiées, les procureurs américains ont évité d’avoir à contester directement les libertés de la presse garanties par le premier amendement de la constitution américaine". Dix-sept des dix-huit chefs d’accusation concernent la publication de matériel et un seul de ces chefs d’accusation inclut le mot "piratage". Personne n’a piraté les ordinateurs du gouvernement américain pour obtenir les informations : les documents étaient librement accessibles à Chelsea Manning dans le cadre de son travail d’analyste des renseignements de l’armée. Assange a cherché à l’aider à conserver son anonymat, le travail de tout journaliste respectable recevant des documents classifiés. Toutes les autres accusations criminalisent effectivement, de diverses manières, le fait que la journaliste ait reçu et publié des documents classifiés. Le Guardian n’a pas souligné ces simples faits.
Assange a été jugé, jugé et condamné par les médias et par des juges successifs, et donc par le tribunal de l’opinion publique. Assange vit dans le monde d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll :
"Je serai juge je serai jury
dit le rusé Fury
toute la cause je jugerai et à mort te condamnerai"
6 - Implications
TOLPUDDLE
Heureusement pour les six hommes, non seulement la cour de Dorchester disposait d’une tribune de presse, mais George Loveless était un homme articulé et autodidacte, bien versé dans la Bible et les arguments religieux. Il a donné une défense passionnée qui a été rapportée dans tout le pays. Le mouvement syndical naissant en Grande-Bretagne a immédiatement vu les implications sur sa propre capacité à s’organiser contre l’injustice. La dureté du traitement infligé aux hommes, les abus de la loi et l’insouciance des propriétaires terriens ajoutèrent à la colère du public. (Voir ci-dessous)
ASSANGE
Bien qu’apparemment pour une cause totalement différente, le cas d’Assange a des implications des plus sérieuses. L’issue la plus immédiate touchera les lanceurs d’alerte et les journalistes.
Assange est le premier journaliste à être inculpé en vertu de la loi américaine de 1917 sur l’espionnage. Les 18 chefs d’accusation consistent en une conspiration visant à commettre une intrusion informatique, neuf conspirations visant à recevoir des informations de défense nationale et huit publications de documents de défense nationale. Comme le déclare l’avocat d’Assange, l’activité décrite ici est : "l’activité que les journalistes exercent en permanence et toute poursuite et extradition de M. Assange pour l’avoir fait ou pour l’avoir prétendument fait mettra un frein massif au journalisme d’investigation dans le monde entier".
Aux États-Unis, des journaux de premier plan comme le "New York Times" et le "Washing Post" prennent conscience des dangers que représentent de telles accusations qui violent le premier amendement de la constitution américaine.
Le New York Times a déclaré le 23 mai 2019 :
"Les nouvelles accusations portent sur la collecte et la publication de documents classifiés provenant d’une source gouvernementale. C’est une chose que les journalistes font tout le temps. Ils l’ont fait avec les journaux du Pentagone et dans d’innombrables autres cas où le public a bénéficié de la connaissance de ce qui se passait à huis clos, même si les sources ont pu agir illégalement. C’est ce que le premier amendement vise à protéger : la capacité des éditeurs à fournir au public la vérité".
"Bien qu’il ne soit pas un journaliste conventionnel, une grande partie de ce que fait M. Assange à WikiLeaks est difficile à distinguer d’un point de vue juridique de ce que font les organismes de presse traditionnels comme le Times : rechercher et publier des informations que les fonctionnaires veulent garder secrètes, y compris des questions de sécurité nationale classées, et prendre des mesures pour protéger la confidentialité des sources".
Le New York Times a également noté qu’Obama, qui avait ouvert la première enquête du Grand Jury sur Wikileaks, a également envisagé des accusations contre Wikileaks "mais a rejeté cette mesure par crainte qu’elle ne freine le journalisme d’investigation et qu’elle soit déclarée inconstitutionnelle".
Enfin, la poursuite d’Assange par les États-Unis en dehors de leurs propres frontières menace les journalistes du monde entier. Lors de l’audience de février 2020, le ministère public américain a fait valoir que les ressortissants étrangers ne bénéficiaient d’aucune protection au titre du premier amendement. Le traité d’extradition entre les États-Unis et le Royaume-Uni est particulièrement controversé parce qu’il a supprimé l’obligation pour les États-Unis de fournir des preuves "prima facie" d’un délit ayant été commis, n’exigeant qu’une "suspicion raisonnable" des actes présumés ; tandis que le Royaume-Uni doit prouver "avec une bonne certitude" pour obtenir une extradition. En outre, alors que les États-Unis ont le droit de demander l’extradition pour des infractions au droit américain même si l’infraction présumée a été commise par une personne vivant et travaillant au Royaume-Uni, le Royaume-Uni ne dispose pas de ce droit réciproque. Le cas d’Assange a montré le déséquilibre du traité américano-britannique ainsi que la portée excessive des revendications américaines en matière d’extraterritorialité.
De nombreux types de citoyens inquiets verront leur accès à l’information sévèrement limité. Les mouvements pacifistes et anti-guerre devraient être particulièrement concernés. Les documents publiés contiennent des preuves de crimes de guerre, de ventes d’armes et de violations des droits de l’homme par les États-Unis en Irak, en Afghanistan et à Guantanamo, et ont été cités dans des milliers d’articles de presse et d’affaires relatives aux droits de l’homme.
En poursuivant Assange, les États-Unis entendent pouvoir faire la guerre où et comme bon leur semble, sans que personne n’expose leurs crimes.
Les écologistes, les militants de la santé et des organisations telles que Global Justice Now ont pu voir les projets très secrets des accords de libre-échange du Traité transatlantique sur le commerce et l’investissement (TTIP) et du Traité de partenariat transpacifique. Wikileaks a également publié des dossiers sur les élites politiques syriennes, sur les "fichiers d’espionnage" russes, sur l’extrême droite britannique, sur les outils de piratage de la CIA, sur Amazon et sur la pollution de l’environnement par les entreprises.
Les implications de l’affaire Assange sont importantes, mais la réaction générale du public à cette affaire a été mitigée : à ce stade, les parallèles entre Assange et les Martyrs de Tolpuddle s’effacent, du moins pour le moment.
7 - La campagne populaire pour la libération
TOLPUDDLE
La réaction du mouvement syndical naissant en Grande-Bretagne à l’arrêt Tolpuddle a été rapide. Le 24 mars 1834, une semaine environ après la condamnation des hommes, le Grand National Consolidated Trades Union convoque une réunion à laquelle assistent plus de 10 000 personnes. Le 21 avril 1834, jusqu’à 100 000 personnes marchent vers le Parlement et présentent une pétition au Parlement. William Cobbett, Joseph Hume, Thomas Wakeley et d’autres députés "ont constamment porté la question devant le Parlement". Les pétitions sont venues de tout le pays avec plus de 800 000 signatures. En juin 1835, dix mois seulement après l’arrivée des Martyrs dans les colonies pénitentiaires, des grâces conditionnelles avaient été accordées, mais elles furent refusées par les hommes de Tolpuddle qui refusèrent d’accepter le compromis. D’autres pétitions ont alors été adressées au Parlement, peut-être jusqu’à 800 000 signataires au total. Le 14 mars 1836, tous les hommes obtinrent une grâce complète.
ASSANGE
Il est clair qu’Assange bénéficie d’un énorme soutien au niveau international et dans toutes les professions et classes sociales. Des personnalités de premier plan dans les organisations de défense des droits de l’homme, des juristes, des médecins, des universitaires, des artistes et des journalistes ont tous fait part de leurs préoccupations. Cependant, l’affaire dépend actuellement de la procédure judiciaire en Grande-Bretagne et c’est sur le sol britannique que les voix doivent être entendues. C’est là que nous voyons tout l’effet de la campagne médiatique concertée pour mentir, salir et diaboliser Assange. (12)
Dans le Parlement corrompu et non réformé des années 1830, élu sur la base d’un droit de vote limité aux hommes détenteurs de biens, les députés ont néanmoins "maintenu la question constamment devant le Parlement". En 2019, une telle persistance des députés ne s’est pas produite. Diane Abbott et Jeremy Corbyn ont fait une déclaration aux Communes contre l’extradition de Julian Assange vers les États-Unis le 11 avril, mais la réponse du Parti travailliste, des syndicats et des mouvements pacifistes a été lente, hésitante et craintive. Cela est dû en partie à la complicité possible du nouveau leader travailliste, Keir Starmer, lorsqu’il était directeur des poursuites publiques, qui a délibérément rendu impossible l’extraction d’Assange de l’ambassade équatorienne. Le mince filet des résolutions du Parti travailliste et du secteur syndical en faveur d’Assange doit devenir un torrent.
Nous pouvons spéculer sur les raisons pour lesquelles la réaction au Royaume-Uni a été si faible, et une grande partie de la responsabilité doit être imputée aux médias, dont la diabolisation d’Assange et les faux rapports sur l’allégation suédoise et la nature des accusations d’extradition ont fait craindre aux libéraux d’être associés à lui. Cette crainte s’est sans doute étendue à la direction du parti travailliste et aux syndicats. Certains membres de la "gauche" affirment que la publication sur Wikileaks des courriels du DNC montrant comment la direction du Parti démocrate américain avait discuté des moyens de faire dérailler la campagne d’investiture de Bernie Sanders et de faire avancer celle d’Hillary Clinton. Il n’y a aucune preuve que la fuite a aidé la campagne de Trump, mais la notion est utilisée par certains pour ne rien faire et permettre qu’un homme innocent soit envoyé à la mort.
Il faut maintenant que tous ceux qui veulent arrêter les battements de tambour de la guerre, qui veulent traduire les criminels de guerre en justice, connaissent la vérité sur le comment et le pourquoi des guerres, la façon dont nos vies deviennent des livres ouverts face aux techniques de surveillance de l’État, la façon dont les diplomates pensent et parlent du remodelage du monde et la façon dont les sociétés monopolistiques bafouent les codes et les règles environnementales. Les gens doivent se poser une question très sérieuse : est-ce que je souhaite vraiment voir une organisation comme Wikileaks entravée, ses rédacteurs détruits et les journalistes internationaux du monde entier réduits au silence lorsqu’ils dénoncent les méfaits et les crimes des gouvernements ?
Le soutien apporté aux martyrs de Tolpuddle il y a près de 200 ans nous montre ce qui peut et doit être fait :
"Les Martyrs de Tolpuddle parlent à travers les temps du prix à payer pour que seule la justice soit établie sur la terre. Ils ont accompli peu ou rien à leur époque, mais ils occupent une place honorable dans la longue histoire de la lutte de l’homme contre la peur et la cupidité de ceux qui se retranchent derrière les privilèges que la propriété et la classe confèrent à la minorité favorisée" (13)
Helen Mercer
enseignante et chercheuse universitaire à la retraite.
Traduction "d’autres questions ?" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles
NdT : "Van Diemen’s Land" est le nom utilisé par la plupart des Européens pour désigner l’île de Tasmanie, jusqu’au 1er janvier 1856.
- The victims of Whiggery : being a statement of the persecutions experienced by the Dorchester Labourers in 1834". Disponible en ligne ou dans les librairies
- En visite en Suède en août 2010, Assange a fait l’objet d’allégations d’agression sexuelle de la part de deux femmes [9]. Il a été interrogé, l’affaire a été initialement classée par le procureur général de Stockholm. En septembre, M. Assange a été informé qu’il pouvait quitter le pays. En novembre 2010, cependant, l’affaire a été rouverte par un procureur spécial. M. Assange a nié les allégations et a déclaré qu’il était heureux de répondre aux questions en Grande-Bretagne. Le 20 novembre 2010, la police suédoise a émis un mandat d’arrêt international via Interpol à l’encontre d’Assange. Le 8 décembre 2010, Assange s’est rendu à la police britannique et a assisté à sa première audience d’extradition où il a été placé en détention préventive en attendant une autre audience. Le 16 décembre 2010, lors de la deuxième audience, il a été libéré sous caution par la Haute Cour et remis en liberté après que ses partisans aient payé 240 000 livres sterling en espèces et en caution. Lors d’une autre audience, le 24 février 2011, il a été décidé qu’Assange devait être extradé vers la Suède. Cette décision a été confirmée par la Haute Cour le 2 novembre et par la Cour suprême le 30 mai de l’année suivante. En conséquence, une date a été fixée pour sa remise à la police britannique en vue de son extradition vers la Suède - 29 juin 2012
- Herbert Vere Evatt et Geoffrey Robertson ( 2009) The Tolpuddle Martyrs : Injustice Within the Law, Sydney University Press
- H. Oliver "Tolpuddle Martyrs and Trade Union Oaths" Labour History 10, mai 1966, pp 5-12.
- https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/415038/MLA_Guidelines_2015.pdf. Pour un compte rendu complet des raisons pour lesquelles les autorités suédoises n’ont pas suivi cette voie, voir : https://www.indymedia.org.uk/en/2012/11/503439.html
- http://www.ohchr.org/Documents/Issues/Detention/A.HRC.WGAD.2015.docx. Depuis lors, l’"ordonnance d’enquête européenne" a été créée pour les affaires qui font l’objet d’une enquête préliminaire inculpation. Elle permet à un procureur de demander à interroger un suspect dans le cadre de l’entraide judiciaire de l’UE. Un MAE ne sera émis qu’après l’inculpation d’un suspect.
- https://www.washingtonexaminer.com/news/judge-dismisses-dnc-hacking-lawsuit-against-trump-campaign-wikileaks-and-russia. L’avis complet est disponible à l’adresse suivante : https://www.documentcloud.org/documents/6225696-DNC-Trump-7-30-19.html
- https://defend.wikileaks.org/wikileaks/ ; https://www.theguardian.com/media/2018/feb/11/sweden-tried-to-drop-assange-extradition-in-2013-cps-emails-show
- http://www.ohchr.org/Documents/Issues/Detention/A.HRC.WGAD.2015.docx. Après l’expulsion forcée d’Assange de l’ambassade équatorienne, le procureur suédois a rouvert le dossier contre lui et a demandé son extradition vers la Suède. Cette fois-ci, elle a effectivement présenté la demande à un juge (comme cela aurait dû se produire auparavant) et celui-ci l’a rejetée.
- Chapelle méthodiste de Tolpuddle, exposition
- H. Oliver "Tolpuddle Martyrs and Trade Union Oaths" Labour History 10, mai 1966, pp 5-12.
- Voir les réfutations des calomnies concernant son comportement dans l’ambassade par l’ancien consul équatorien : https://theduran.com/40-rebuttals-to-cnns-bias-on-assange/
- Herbert Vere Evatt, The Tolpuddle Martyrs : Injustice within the law, avec une introduction de Geoffrey Robertson, Sydney University Press, Sydney, 2009