Marion Hänsel a rejoint les Nuages
- Publié le 08-06-2020 à 21h28
- Mis à jour le 09-06-2020 à 10h09
Début janvier, le Festival international du film de Rotterdam consacrait une rétrospective complète à la cinéaste bruxelloise Marion Hänsel. Se sachant très malade, elle y présentait son 14e et ultime film: Il était un petit navire. Un autoportrait intime et poétique dans la lignée de Nuages. Lettres à mon fils en 2001 dans lequel, depuis une chambre d’hôpital après avoir frôlé la mort, la cinéaste y revenait de façon impressionniste sur quelques moments de sa vie.
La vie d’une cinéaste majeure, qui aura marqué le cinéma belge d’une empreinte singulière, faite d’un vrai souffle littéraire, doublé d’un goût pour l’aventure. Une voix qui s’est tue, lundi matin, à l’âge de 71 ans, des suites d'une crise cardiaque.
Une vocation précoce
Née à Marseille en 1949, Marion Hänsel (de son vrai nom Marion Ackermann) grandit ensuite à Anvers dans une famille aimante. "On était six enfants, j’étais la numéro trois. Très jeune déjà, j’étais particulière. Je refusais d’aller à l’école. À cinq ans, je faisais des crises pour ne pas y aller! Je suis donc restée à la maison pendant un an, où ma mère m’a appris à écrire. J’ai ensuite eu une scolarité extrêmement pénible. J’ai quitté l’école vers 15-16 ans. Mais je n’ai jamais été punie, ni par mon père, ni par ma mère. Je faisais la maligne, je récitais de la poésie, je dessinais tout le temps… Ils ont compris que j’étais une artiste et m’ont toujours encouragée ", nous racontait la réalisatrice en 2016, à l’occasion de la sortie de son dernier film de fiction, En amont du fleuve, avec Olivier Gourmet et Sergi Lopez.
La jeune fille se lance précocement dans une carrière de comédienne. En 1967, à 18 ans, elle rentre à l’Institut des Arts de Diffusion (IAD), mais préfère s’envoler pour New York, pour suivre les cours de l’Actor’s Studio de Lee Strasberg. "Un soir, mon père est venu me voir jouer au Théâtre de Poche dans une pièce d’Arrabal qui a fait un grand scandale car on était tous intégralement nus sur scène. Et avant Hair ! Mes parents avaient dû signer un papier car j’étais mineure pour que je puisse jouer nue. Quand j’étais nue, mon père baissait un peu le regard mais après, il m’a dit qu’il trouvait que c’était une très belle pièce. Mes parents m’ont toujours soutenue", se souvenait-elle avec émotion, de sa voix profonde de grande fumeuse.
Cinéaste littéraire
Si elle décroche quelque petits rôle au cinéma et au petit écran au début des années 70 — on la voit par exemple en funambule enceinte dans L'une chante l'autre pas d’Agnès Varda en 1977 —, Marion Hänsel se dirige assez rapidement vers la réalisation. Dès 1977, elle fonde ainsi sa boîte de production Man’s Films, qui produira ses futurs films mais aussi ceux d’autres cinéastes. Dont No Man's Land de Danis Tanovic, qui décrochera l’Oscar du meilleur film étranger, ou, plus récemment, Zagros de Sahim Omar Kalifa.
Après un unique court métrage, Équilibres en 1977, Hänsel réalise Le Lit, dans lequel elle joue pour l’une des dernières fois devant la caméra. Adapté du roman de l’autrice belge Dominique Rolin, le film est la première d’une longue série d’adaptations littéraires, qui lui vaudront ses plus grands succès. Lesquels lui permettent de s’imposer, dans les années 1980, comme l’un des grands noms du cinéma belge.
En 1985, Hänsel signe ainsi Dust, d’après In the Heart of the Country du futur Prix Nobel de littérature sud-africain J.M. Coetzee. Ce film aride avec Jane Birkin, qui aborde les rapports de domination entre une fille et son père sur fond d’Apartheid, sera récompensé du Lion d’argent de la Mostra, une première pour un film belge à Venise. Suivra, deux ans plus tard, Les Noces barbares avec Thierry Frémont et Marianne Basler, d’après le Prix Goncourt 1985 signé Yann Queffélec. Déchirant, ce film aborde à nouveau, avec une grande rigueur mais une grande sensibilité, un sujet douloureux, celui de l’enfance mal aimée.
« Le premier film est souvent autobiographique, on parle de soi car on ne sait pas encore parler des autres. (…) Il y a des gens qui savent parler d'eux, surtout les romanciers, mais je n'ai jamais eu l'impression de me cacher derrière des adaptations. J'ai une telle passion pour les livres que j'adapte, j'en suis tellement proche que, quelque part, je parle de moi, même si c'est Coetzee », confiait Marion Hänsel à notre collègue Fernand Denis en 2013, lors de la sortie de La Tendresse avec Marilyne Canto et Olivier Gourmet, l’un de ses rares films non tirés de la littérature et à la tonalité nettement plus légère.
Le goût de l’aventure
Ayant pas mal bourlingué dans sa jeunesse, Marion Hänsel en aura gardé un goût pour le voyage et l’aventure, souvent physique et intérieure à la fois dans ses films. En 2006, dans Si le vent soulève les sables, adaptation du roman Chamelle de Marc Durin-Valois tournée à Djibouti, la cinéaste retrouve le souffle du cinéma d’aventure pour aborder une grande question écologique: le manque d’eau.
Malgré le succès critique du film, qui récolte une vingtaine de prix et se voit sélectionné dans une cinquantaine de festivals à travers le monde, Hänsel a de plus en plus de mal à monter ses films. En 2010, Noir Océan, sublime évocation de l’ennui d’un jeune marin français dans le Pacifique tirée de deux nouvelles d’Hubert Mingarelli, ne trouve pas son public. « Quand on s’attaque à des sujets comme ceux-là, c’est évident qu’on prend des risques. Il ne faut pas trop réfléchir au public, sinon on ne fait pas des choses aussi fragiles. Je suis tout à fait consciente que le film est très délicat, qu’il est sur un fil. Mais personnellement, ce sont souvent ces films, qui jouent sur le non-dit, sur des choses intemporelles, des petits détails, des petites observations, que j’aime. Il doit bien y avoir encore un public qui a le temps de se laisser porter par un rythme particulier… », espérait-elle alors dans les colonnes de La Libre.
Après un demi-siècle passé à arpenter les plateaux de cinéma, Marion Hänsel a rejoint les Nuages qu’elle filmait si joliment en 2001…