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Disparition

Peter Beard, le beau et les bêtes

Le photographe, 82 ans, porté disparu depuis quinze jours, a été retrouvé sans vie dans un bois. Ses clichés animaliers en Afrique, ses séries de mode et sa vie d'aventurier chic trahissent un personnage ambigu.
Peter Beard à New York, en mai 2006. (Bryan Bedder/Photo Bryan Bedder. AFP)
publié le 20 avril 2020 à 16h31

L'hélicoptère, la centaine de policiers et les drones patrouillant à sa recherche étaient revenus bredouilles : vu pour la dernière fois le 31 mars, Peter Beard était porté disparu depuis deux semaines, après avoir quitté sa maison de Montauk, à l'est de Long Island, dans l'Etat de New York (Etats-Unis). Mais dimanche, le corps du photographe américain a été retrouvé sans vie dans un bois. Il avait 82 ans et était atteint de démence sénile. Ses photographies de la faune africaine – éléphants, lions, crocodiles, zèbres, guépards, serpents, girafes –, ses portraits de filles africaines – volontiers poitrines à l'air –, ses clichés de mode – mannequin posant à côté d'un rhinocéros ligoté – avaient contribué à construire sa réputation de chasseur d'images, de bêtes sauvages et de femmes sculpturales. Souvent retravaillés à l'encre de Chine et ornés de citations écrites à la main, ses tirages véhiculaient un mythe éculé, grandiloquent et neo-romantique de l'Afrique. Largement héritier du colonialisme et de la prédation blanche sur l'Afrique aux yeux de ses détracteurs.

Façonneur de sa propre légende

Une de ses célèbres photographies, une femme nue nourrissant une girafe la nuit (Maureen Gallagher and a Late Night Feeder, 1987) est sous-titrée «Beyound Gauguin». Le médiatique Peter Beard, photographe du calendrier Pirelli, publié chez Taschen en édition collector, habitué des cimaises de la foire Paris Photo, se rêvait en héritier de la peinture. Il était surtout un habile façonneur de sa propre légende et tenait d'ailleurs un journal de sa vie. Cette fable n'était pas pour déplaire à Andy Warhol, son voisin, qui le décrivait ainsi : «L'un des hommes les plus fascinants du monde… il est comme un Tarzan moderne. Il saute dans et hors de la fosse aux serpents qu'il garde chez lui. Il se coupe et peint avec le sang. Il porte des sandales et pas de chaussettes au milieu de l'hiver» (cité par le site American SuburbX). Amateur de paradis artificiels et de boîtes de nuit, mondain au joint à la main, Peter Beard, Tarzan des steppes au sourire ultra bright, avait pour lui d'être un beau gosse séducteur et bien né. Les anecdotes – parfois peu reluisantes – de son existence sont si nombreuses qu'il est difficile de démêler ce qui relève de la réalité ou de la fiction.

Enfant, par exemple, il aurait, à 10 ans, tué des petits alligators dans un marais de Caroline du Sud pour tailler dans leur peau et en faire des collages. Né en 1938 à Manhattan, Peter Beard est issu d’une famille industrielle très aisée qui compte un arrière-grand-père dans les chemins de fer, un magnat du tabac et un père courtier. Petit, il prend des photos avec un appareil à soufflet Voigtländer offert par sa grand-mère et tient des journaux intimes qui feront sa marque de fabrique. Si sa famille ne voit pas d’un bon œil sa pratique photographique, considérée comme un pur passe-temps, il finit par imposer sa passion.

Chasse aux images et à la bête sauvage

C'est en 1955, à 17 ans, que Peter Beard effectue son premier voyage en Afrique, en compagnie de Quentin Keynes, arrière-petit-fils de Charles Darwin, rapporte le New York Times. Lors de ce voyage, il échappe même à une attaque d'hippopotame alors qu'il fréquente les chasseurs de gros gibier et part à la chasse aux images et à la bête sauvage avec eux. Le mythe veut qu'il lise lors de la traversée en bateau sur le Queen Mary le livre Out of Africa de Karen Blixen. La baronne danoise sera dès lors une source d'inspiration pour le photographe qui s'installera plus tard au Kenya non loin de l'ex-ferme africaine et de sa plantation de café. De l'auteure danoise qu'il rencontre à Copenhague en 1961, il dit dans un portrait que lui consacre Libération : «The best, un pur génie aiguisé par l'Afrique.» «Elle ne voyait presque plus personne. Elle avait souffert. Elle a justement dit que sa vie littéraire s'était faite dans le sang.» Lors de leur rencontre, Peter Beard lui tire le portrait et, plus tard, il colle le visage de l'écrivaine danoise à côté de celui de Ramsès II et d'un chef de tribu africain dans un curieux triptyque postérieur à la prise de vue. A Libération, il disait aussi : «On a toujours dit qu'un territoire comme l'Afrique était impossible à détruire. Mais la destruction a bien lieu, et à une vitesse que vous n'imaginez pas !»

The End of the Game, livre publié pour la première fois en 1965, est son œuvre la plus connue. Dans cet ouvrage, il y sonne l'hallali de la chasse pour les hommes blancs. Dans des photos animalières assez banales, frontales et empreintes de la mélancolie du noir et blanc, il décrit le péril du continent qui voit dépérir ses espèces sauvages. Ses séries de carcasses d'animaux desséchés sont par ailleurs très impressionnantes. Si Peter Beard aimait se tailler une réputation d'aventurier et de défenseur de l'Afrique, il était aussi un chasseur de têtes : c'est lui qui avait découvert Iman, fille de diplomates, future mannequin star et femme de David Bowie, dans une université kenyane. En photographe de mode averti, il en fait une déesse des podiums, tout en organisant des séances de prises de vues avec d'autres mannequins sur le continent. Habitué du Studio 54, Peter Beard est surtout l'ami des stars, version gold des seventies et eighties. Le photographe a fréquenté Andy Warhol, Salvador Dalí, Jackie Kennedy, Aristote Onassis, Grace Jones et Francis Bacon, qui a peint plusieurs portraits de lui. Il a aussi immortalisé Catherine Deneuve et Carole Bouquet. Avec Truman Capote, en 1972, le photographe suit la tournée des Rolling Stones en voyageant dans leur avion et voit l'écrivain abandonner petit à petit son récit.

Si sa biographie est émaillée de noms célèbres et clinquants, le «socialite» Peter Beard a aussi bravé quelques infortunes. Jeune, il réchappe d'un accident de moto à 130 kilomètres heure. En 1987, sa maison américaine – il vivait aussi au Kenya – part en fumée, réduisant en cendre tous ses «diaries» (journaux intimes). En 1996, il est grièvement blessé par une éléphante à la frontière tanzanienne. Avec ses défenses, l'animal broie sa cuisse, écrase ses côtes et défonce son bassin. Le photographe aurait déclaré «pour la baise, c'est fini» avant d'être transporté à l'hôpital de Nairobi. De cet affrontement avec le pachyderme en colère, il gardera des séquelles à vie.

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