« Si on travaille simplement sur les textes avec un esprit ouvert, on arrive à saisir les concepts mais pas le “dawq” (saveur). Selon une image qu’emploient les soufis : lorsque vous décrivez le miel à quelqu’un qui n’en a jamais goûté, vous avez beau user de tous les instruments nécessaires pour vous exprimer, vous n’arriverez jamais à lui faire sentir ce qu’est le goût du miel. » Cet extrait d’une conférence sur l’influence du soufisme dans la pensée occidentale donnée à l’Institut du monde arabe en 1990 illustre les préoccupations du philosophe Michel Chodkiewicz, mort mardi 31 mars, à l’âge de 90 ans.
Grande figure intellectuelle, spécialiste incontesté du soufisme, Michel Chodkiewicz, né le 13 mai 1929, à Paris, a fondé les revues La Recherche et L’Histoire et présidé les éditions du Seuil de 1979 à 1989, avant d’être directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), où il a poursuivi ses recherches sur la pensée d’Ibn Arabi, théologien et philosophe musulman du XIIIe siècle.
« Passionné de littérature étrangère »
La famille de Michel Chodkiewicz, issue de l’aristocratie polonaise catholique, est établie en France depuis 1832. Lors d’un voyage dans les pays arabes, il découvre très jeune le soufisme et se convertit à l’âge de 17 ans à l’islam dont il étudie les grands textes à son retour.
En vendant des livres dans un grand magasin parisien, il rencontre Paul Flamand, le cofondateur du Seuil avec Jean Bardet. Michel Chodkiewicz rédige d’abord des notes pour le comité de lecture avant d’intégrer la maison comme lecteur au début des années 1950. Il dirige la collection de poche « Le Temps qui court » en 1957, puis, en 1959, « Sources orientales ». Paul Flamand lui confie la direction générale en 1977, avant de le choisir comme successeur.
« Michel Chodkiewicz était un excellent lecteur, passionné de littérature étrangère », souligne Jean-Marie Borzeix, alors directeur littéraire du Seuil. Le nouveau PDG crée plusieurs collections dont « Faire l’Europe ». Il permet surtout à Maurice Olender de démarrer l’aventure de « La Librairie du XXe siècle ». Et, se souvient ce dernier, il sauve aussi Le Genre humain dont le numéro de février 1988 était cosigné par Raymond Aron, Jean Pouillon ou Michel Pastoureau.
Le Seuil décroche deux Goncourt. Tahar Ben Jelloun l’obtient en 1987 pour La Nuit sacrée, une suite à L’Enfant de sable. A ses yeux, Michel Chodkiewicz reste « un excellent gérant de la maison d’édition et un très grand spécialiste du soufisme ». Un patron « très sec, direct, qui ne faisait jamais un compliment, mais toujours fiable ». Ses déjeuners d’affaires ne duraient jamais plus de quarante-cinq minutes.
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