DE DRAGHI À LAGARDE, CHRONIQUE D’UN NAUFRAGE ANNONCÉ par Vincent BROUSSEAU

Lecture : 5 min

Évolution des “spreads” sur l’Italie pendant sa conférence de presse, avant et après la bourde de Lagarde.

Si une phrase, une seule, devait rester pour symboliser le mandat de huit ans de Mario Draghi à la tête de la BCE, ce serait sans conteste son fameux « whatever it takes » (« quoi qu’il en coûte »), exemple parfait de la magie du verbe du banquier central doué.

Rappelons-en le contexte : c’était en 2012. L’euro allait exploser, victime de la divergence des taux des emprunts d’État des divers pays de la zone euro.

Les “spreads”, mot anglais qui signifie “différences”, entre le taux d’un emprunt allemand et celui d’un emprunt de même durée souscrit par un autre pays, explosaient. L’Union monétaire allait finir écartelée. (Je renvoie les lecteurs à mes nombreuses analyses en ligne sur notre site upr.fr)

C’est alors que Mario Draghi parut. Et, en trois mots magiques, le président de la BCE fit comprendre aux spéculateurs que ceux qui joueraient l’écartement des spreads trouveraient en face d’eux la masse énorme de la BCE.

L’euro survécut. Draghi entra dans l’Histoire, et devint l’exemple archétypal du banquier central, qui, au sommet de son art, sauve une situation désespérée. Le symbole. La référence obligée. Le chevalier blanc des légendes d’antan.

Puis est venue Christine Lagarde, qui n’a jamais été banquière centrale de sa vie. Elle a été catapultée à la tête de la BCE par Macron, avec l’accord de Merkel, en échange de la nomination de l’Allemande Ursula von der Leyen à la tête de la Commission européenne.

Or Christine Lagarde a tenu une conférence de presse, habituelle après une réunion des instances suprêmes de la BCE, ce jeudi 12 mars 2020. Conférence qui n’est pas passée inaperçue.

Comme l’a rapporté la presse, « interrogée sur la défiance entourant la dette italienne, qui hypothèque le financement du pays au moment où il est submergé par l’épidémie, elle a répondu que la BCE n’avait pas pour « mission de réduire les spreads », soit l’écart entre le taux italien et le taux allemand de référence. » (Source : https://www.lepoint.fr/economie/coronavirus-la-bourde-de-christine-lagarde-13-03-2020-2367045_28.php)

Christine Lagarde vue par la presse financière italienne après la bourde monumentale.

La parole mythique du héros Draghi, le « whatever it takes », devint un piteux « whatever » tout court dans la bouche de Lagarde. Le message aux spéculateurs devint soudain : « chers spéculateurs, c’est “open bar” pour les spreads, vous pouvez y aller, on n’interviendra pas. »

Je ne suis pas spécialement un défenseur de l’euro. Mais tout de même ! Il faut être d’une incompétence crasse, et n’avoir rien compris à rien au métier de président de la BCE, pour proférer une telle énormité.

Les commentaires à l’intérieur de la tour de la BCE à Francfort sont, crois-je savoir, assez désabusés – chez une population qui a pourtant l’habitude d’être le petit doigt sur la couture du pantalon.

Les commentaires à l’extérieur de la tour sont publics, vous pouvez les trouver dans l’article du Point cité ci-dessus – mention spéciale à celui du ministre italien – ou bien encore ici : https://www.reuters.com/article/us-ecb-policy-italy-minister-idUSKBN20Z3DW ou n’importe où en recherchant sur Internet à partir des mots-clés “Lagarde Spreads Italy”.

Pour donner dans l’euphémisme, nous dirons que ce n’est pas exactement un concert de louanges enamourées.

Quant au service de la communication de la BCE, il rame désespérément pour tenter de faire comprendre que Lagarde a été mal interprétée.

Malheureusement, Lagarde s’est exprimée avec une clarté insoutenable, et le mal est fait.

Sachez donc que la voie est libre : si vous voulez vendre des Bons du Trésor Public italien pour acheter des Bund allemands, il n’y aura personne en face de vous à la BCE pour vous contrecarrer.

Sachez donc que la survie de l’euro n’est pas une priorité pour la cheffe de la BCE, qui a sans doute en tête d’autres ambitions plus sérieuses.

C’est un peu comme si, en avril 1945, l’Oberkommando der Wehrmacht (OKW, l’organe de commandement suprême des forces armées allemandes) avait fait benoîtement savoir à une planète interloquée que la défense de la ligne Oder-Neisse n’était pas une priorité. Et que la Wehrmacht dégageait la voie pour aller chercher des œufs de Pâques dans les vertes et riantes prairies autrichiennes. En pensant printemps, bien entendu.

Alors que l’Italie s’enfonce dans une crise sanitaire et économique sans précédent, et qu’une bonne partie des pays du sud de l’UE, Espagne et France en tête, lui emboîtent le pas à une allure effrayante, la “bourde” incommensurable de Christine Lagarde ne pouvait pas tomber plus mal pour la survie déjà précaire de l’euro.

Vincent Brousseau
15 mars 2020