Un docteur qui rend pop la psy

Difficile en France d’aborder le sujet de la santé mentale sans avoir en tête certains clichés qui sont associés au monde psychiatrique. Le nom de plusieurs maladies sont devenues des expressions courantes au point de devenir au mieux l’expression un défaut passager et au pire une insulte. En résulte une grande souffrance des personnes concernées qui subissent en plus de leurs symptômes des situations de psychophobie.

Quand on pense représentation de la folie dans l’art, on pense plus facilement au cri de Munch ou à la mélancholie de Dürer qu’à Black Swan ou Melancholia.

Pourquoi parler de santé mentale?

La question se pose dans les colonnes de ce blog. En effet, dans le cadre de la légothèque, nous n’interrogeons pas habituellement cet aspect du « soi ». Pourtant, il a été montré par de nombreuses études scientifiques et sociologiques que les discriminations et la stigmatisation de personnes parfois en situation de précarité (comme les migrant.e.s ou les personnes LGBT le sont souvent) sont des facteurs de l’apparition de détresses psychologiques. Et cela devient un sujet de santé publique lorsque l’on sait que « les homosexuels/bisexuels masculins présentent de 2 à 7 fois plus de risque d’avoir fait une tentative de suicide que les hommes hétérosexuels exclusifs ; les femmes homo/bisexuelles présentent de 1,4 à 2,7 fois plus de risque par rapport aux femmes hétérosexuelles[1] ».

Au regard de ce constat glaçant, il est intéressant de se demander pourquoi il semble si difficile de traiter le la question alors que depuis plusieurs années de nombreuses figures de la pop culture prennent positions et décident de témoigner.

Et les bibliothèques?

Quand on s’intéresse au sujet des troubles mentaux, on retrouve souvent des ouvrages médicaux ou encore ce sont les collections de développement personnel que nous retrouvons le plus souvent dans les bibliothèques. Il est alors difficile de trouver des ressources permettant de déstigmatiser les personnes concernées et de leur permettre une forme d’identification. Pourtant la fiction est friande de représentations parfois hyperboliques de la « folie », à l’image du dernier film de Todd Phillips, Joker, au succès retentissant au point que Joachim Phenix obtienne récemment l’oscar du meilleur acteur. Pourtant de l’avis du psychiatre Jean Victor Blanc[2], le personnage du Joker est justement un ensemble de troubles psychiatriques qui ne sont pas propre à une maladie en particulier.

Tag représentant Heath Ledger dans la peau du Joker. Source: Wikimédia Commons

Une histoire de la folie à l’âge moderne

Le psychiatre Jean Victor Blanc souhaite dans son livre Pop & Psy (Plon, 2019) vulgariser les connaissances de la psychiatrie sur les troubles mentaux. Dans son livre, il illustre et explique les symptômes de ces troubles et les compare aux représentations que nous retrouvons dans l’imaginaire de la pop culture. L’auteur explique les troubles psychiatriques comme la bipolarité, la schizophrénie ou la dépression (plus de 300 millions de personnes touchées au monde selon l’OMS ! ) au prisme de films qui ont reçu un accueil souvent triomphal de la part du public et de la critique.

S’intéressant aux célébrités et à des figures de fictions, il souhaite démystifier des représentations désormais ancrées. C’est également l’occasion d’expliquer l’évolution des traitements psychiatriques : le traitement aux électrochocs du film Vol au-dessus d’un nid de coucou (1975) existe mais il a grandement évolué et concerne un cas spécifique de traitement contre la dépression. Pour le médecin, expliquer les avancées de cette discipline, c’est faire reculer la peur des traitements encore emprunts de nombreux préjugés.

Angelina Jolie Effect

L’approche de la vulgarisation, mêlant souvenirs d’un médecin et réminiscences de filmographies ou de revue people permet de toucher un vaste public, bien plus large que celui des personnes concernées. Cela permet une meilleure connaissance de maladies de plus en plus présentes autour de nous et parfois invisibles. L’auteur organise d’ailleurs des conférences – cinéma où il prend le temps d’analyser un film en particulier.

En tant que personne concernée, j’ai également apprécié ce rapport à la fiction : si les figures identificatrices sont importantes pour se construire une identité, la lecture critique et médicale sur des exemples que nous connaissons permet de comprendre la complexité de ce type de maladies.

Jean Victor Blanc souligne que trop souvent, les figures qui évoquent la folie sont négatives : « Alors que très souvent la figure de l’artiste atteint de maladie mentale est incarnée par Camille Claudel ou Antonin Artaud, pourquoi ne pas évoquer plus souvent l’incroyable destin de Niki de Saint Phalle ? Hospitalisée à 22 ans et traitée par une cure d’électroconvulsivothérapie, elle démarre sa carrière d’artiste et elle crée jusqu’à son décès, à 71 ans. » Pourquoi dès lors ne pas regarder vers de nouvelles figures populaires ?

Quelques points négatifs : des références très marquées par la culture américaine, et peut être un manque de références littéraires. Pour autant, Jean Victor Blanc réussit à initier un travail de déstigmatisation grâce à la vulgarisation scientifique.

Et vous, quelles œuvres ont bousculé votre vision sur ce sujet ?


[1] Beck, François, et al. « Risques suicidaires et minorités sexuelles : une problématique récente », Agora débats/jeunesses, vol. 58, no. 2, 2011, pp. 33-46.

[2] Il explique son point de vue sur le film dans une interview auprès de Kombini : https://www.konbini.com/fr/cinema/joker-video-les-vrais-savent-psychiatre

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