Ophtalmologue champion de la démocratisation de la chirurgie et humaniste brillant, Yves Pouliquen, membre de l’Académie française, est mort à Paris le 5 février, à quelques jours de son 89e anniversaire.
Yves Pouliquen est né dans un village de la Manche, Mortain, le 17 février 1931. Issu d’un milieu modeste qui lui offre toutefois une enfance insouciante – il chante, joue de la clarinette, se consacre à l’aquarelle –, ce fils d’instituteur est très attaché à ses parents – il tiendra à faire figurer sur son épée d’académicien les initiales de ceux-ci, Jean et Renée – mais perd très tôt son père, mobilisé qui ne revint pas de la guerre. Il est pupille de la nation à 13 ans.
Avec ses deux frères, il déménage alors à Avranches où sa mère, avec le soutien du sénateur de la Manche, prend en main un pensionnat détruit lors du conflit. Elle y accueille des jeunes filles tandis que la fratrie fréquente le lycée Emile-Littré. Obsédé par l’imminence de la mort, Yves s’abîme dans la musique, Gustav Mahler notamment, dont il admire l’expression du pathétique de la destinée humaine. A l’occasion d’une visite dans le golfe du Morbihan, chez des amis de sa mère à l’Ile-aux-Moines (Morbihan), l’adolescent rencontre un médecin biologiste, Albert Delaunay (1910-1993), futur chef de service à l’Institut Pasteur, dont les récits et le témoignage le fascinent. Naissance d’une vocation.
Guerre à la cécité
Si, bac en poche et boursier d’Etat, Yves Pouliquen s’inscrit en maths sup au lycée Louis-le-Grand à Paris à l’automne 1949, il déchante vite devant les « matheux » et abandonne deux mois plus tard pour s’inscrire en médecine. Là, il croise Jacqueline Brevet, la fille d’un ophtalmologiste, dont il s’éprend. Prémices d’une spécialisation, puisqu’il épouse sa belle en 1952. S’il réussit l’externat (1952), puis l’internat (1954), il découvre, mobilisé pour un service de trente mois, au Val-de-Grâce les dégâts ophtalmiques causés par le conflit algérien sur les appelés. Sous la houlette du professeur Paul Payrau (1911-1999), chef du service d’ophtalmologie, il s’initie en disciple zélé aux greffes de cornée et planche sur l’immunologie de la rétine.
Combattant en chercheur, avec les armes du chirurgien, la cataracte, Yves Pouliquen, sitôt docteur (1963) puis agrégé de médecine (1966), fait la guerre à la cécité qui menace. Mais pour greffer des cornées, il faut des donneurs. On en manque. « Littérateur amateur » de son propre aveu, le savant qui vénère Proust et Camus choisit le roman pour sensibiliser à la cause de la Banque française des yeux, association fondée dès 1948 qu’il présida entre 1985 et 1998 : Les Yeux de l’autre paraît en 1995, tranchant sur l’austérité professionnelle de ses publications antérieures. Le projet littéraire du savant se précise.
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