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Disparition

Mort de l'activiste tunisienne Lina Ben Mhenni : «Elle courait partout pour dire la vérité»

Des funérailles officielles étaient organisées ce mardi pour la cyberactiviste. Morte lundi des suites d'une maladie, elle avait chroniqué la révolution de 2011 en Tunisie sur son blog.
par Mathieu Galtier, Correspondant à Tunis
publié le 28 janvier 2020 à 19h59

Des femmes portant le cercueil et présentes dans le cimetière, des slogans tel «Manich msamah» («je ne pardonnerai pas») pour dénoncer la corruption, des Mercedes rutilantes de responsables relégués au second rang : les funérailles officielles de l'activiste Lina Ben Mhenni, morte lundi à 36 ans avaient comme un goût de revanche pour les militants de gauche présents, qui déplorent depuis 2011 la confiscation de la révolution.

«Son combat continue»

Drapeau tunisien sur les épaules, Haïfa, la vingtaine, attend sur un rond-point le passage du cortège à Ezzahra, ville de la famille Ben Mhenni, à 15 kilomètres au sud-est de Tunis, pour rendre hommage à celle qui lui a ouvert les yeux sur la dictature : «Lina nous a transmis les images de ce qui se passait réellement dans les régions intérieures, comme à Sidi Bouzid [d'où est partie la révolution, ndlr]. Malgré sa petite taille, sa maigreur, elle courait partout pour dire la vérité.»

Atteinte d'une maladie auto-immune qui l'a emportée, la jeune femme était l'une des premières à se rendre dans le berceau de la contestation qui allait emporter le régime autocratique de Ben Ali. Pour diffuser ses images de la répression policière, Lina Ben Mhenni a dû se battre contre la censure d'alors. Elle a ainsi été cataloguée comme cyberactiviste et invitée comme telle à faire le tour des plateaux télé. «Mais Lina, c'était plus que ça. Elle était de tous les combats : contre l'islamisme, contre la corruption, contre l'effondrement des services publics. Elle était la première témoin de la dégradation des hôpitaux. Lina, c'est un mythe et son combat continue», tient à souligner une amie proche au moment où le cercueil est hissé dans une fourgonnette en direction du cimetière du Jellaz où reposent les figures tunisiennes de Béji Caïd Essebsi, l'ancien président, l'ancien président, mort l'été dernier, à Chokri Belaïd, dirigeant politique assassiné par des islamistes en 2013. Depuis cette date, d'ailleurs, Lina Ben Mhenni faisait l'objet d'une protection policière, ce qui l'agaçait, exigeant de ses gardes du corps de s'installer le plus loin possible quand elle rencontrait des journalistes.

Visite du président à la famille

Si la blogueuse considérait la révolution comme perdue depuis la fin des mouvements de la Kasbah» en 2011 – mouvements populaires débouchant sur la mise en place d'une constituante –, elle refusait de baisser les bras, en adepte de l'endurance qu'elle était (deux fois médaillée d'argent aux jeux mondiaux des transplantés en 2007 et 2009). Fille d'un militant du mouvement de gauche Perspective, elle était impliquée notamment dans l'édification de bibliothèques dans les prisons.

Qu’aurait-elle pensé de ces obsèques officielles où au moins 2 000 Tunisiens se sont pressés et de la visite, la veille, du président, Kaïs Saïed, à la famille endeuillée ?

«Pour le Président, c’est normal, il porte le flambeau de la révolution, c’est pour cela que nous l’avons élu»,

justifie l’amie de Lina. La famille avait explicitement demandé aux groupes islamistes, dont le parti majoritaire à l’assemblée Ennahdha, de ne pas venir. Pour le reste :

«Les politiques qui insultent la révolution depuis neuf ans devraient nous épargner leur hypocrisie aujourd’hui. Lina était tout ce qu’ils ne sont pas : le refus de la compromission»,

s’emporte l’activiste politique Ahlem Hachicha Chaker.

«C’était une personne vraie, tout simplement»,

résume Skander Ben Hamda, lui aussi propulsé cyberactiviste en 2011 et devenu depuis l’un de ses plus proches amis.

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