Faites-vous le constat d’un mouvement de transition écologique qui s’est engagé dans tous les territoires, ou de celui d’une France à deux vitesses ?
Des territoires et des élus qui veulent agir, il y en a de plus en plus. Mais les moyens engagés sont plus ou moins importants, et c’est bien ça la question. Le moment est propice avec les élections municipales à venir et le renouvellement des intercommunalités. On sent bien que la dimension écologique va y jouer un rôle important et que cette thématique est devenue très prégnante, comme le confirment les derniers sondages où l’environnement est au même niveau que la sécurité. Ce qui est une bonne chose au regard de l’urgence de la situation. C’est le message que nous essayons de faire passer avec les vingt fiches « Demain mon territoire » que l’Ademe a sorties pour ces élections. Ce sont des recettes éprouvées pour aller vers des territoires durables et résilients, et qui peuvent être mises en œuvre à un coût raisonnable et pour toute taille de collectivités. Le prochain mandat (2020-2026) est crucial pour la transition : c’est celui où il faut agir, et surtout accélérer. Car 2026, c’est juste quatre ans avant 2030, qui est une date phare sur la trajectoire de la neutralité carbone (prévue pour 2050, ndlr).
Qu’il s’agisse de la neutralité carbone en 2050, ou de la fin des plastiques à usage unique en 2040, est-ce facile de mobiliser sur des objectifs à aussi long terme ?
C’est ça le sujet de la transition. Elle implique des changements profonds de nos modes de production et de consommation. Ça ne peut pas être une révolution car il s’agit d’embarquer l’ensemble des parties prenantes de la société, de proposer des alternatives, d’anticiper les mutations. A quel rythme ? C’est un vrai débat. Si l’on prend l’exemple des centrales à charbon que l’Etat s’est engagé à fermer d’ici à 2022, sur les territoires concernés, il faut trouver de nouvelles activités, un nouveau récit, afin de ne pas apeurer la population. Et tout cela se fait avec un passif lié aux années 1990, où l’Etat a décidé d’arrêter des activités industrielles (fonderies, textile, mines&hellip) sans l’expliquer aux personnes. Dans ces endroits qui ressortent à peine la tête de l’eau, remettre un coup de lame est compliqué. De plus, il est vrai que l’on a un problème à parler du long terme, 2050 paraissant complètement délirant pour les gens. Même 2030, qui semble loin, ce n’est rien par rapport aux logiques de la transition et des investissements industriels.
On peut trouver, par exemple, que sortir des plastiques à usage unique en vingt ans, ce n’est pas assez ambitieux. Pour beaucoup d’usages, on peut se passer du plastique jetable, c’est une question de comportement ; pour d’autres, il faut proposer des alternatives mais ça ne se fait pas en un jour. Il faut aussi avoir en tête que le facteur prix est prépondérant actuellement, la matière plastique recyclée étant encore trop chère par rapport à la matière vierge. On ne va pas basculer du jour au lendemain dans l’économie circulaire mais on s’est fixé un cap, des objectifs et une feuille de route pour y arriver.
On a aussi réussi à faire un glissement sémantique, car l’économie circulaire a longtemps été associée à la question des déchets. Maintenant c’est un enjeu de gestion de la ressource, à différents degrés. Même la ressource la moins valorisable, recyclable, réemployable, peut être potentiellement valorisée énergétiquement, avec les CSR (combustibles solides de récupération).
Même si aujourd’hui l’incinération n’a plus trop le vent en poupe …
Justement, le CSR ce n’est pas du tout l’incinération classique. C’est un combustible préparé et ce ne sont pas du tout les mêmes fours et équipements. L’enjeu, c’est de faire comprendre que le CSR n’est pas une manière de déguiser l’incinération dont on est en train de sortir.
Ce type de projet est-il en développement, et sont-ils bien acceptés ?
Pour l’instant, ils ne sont pas trop victimes du « Nimby » (rejet local de projets, NDLR), mais cela arrivera peut-être car ce type de site génère du trafic de camions. On voit parfois s’exprimer des craintes liées essentiellement à des préoccupations de qualité de l’air, mais le vrai sujet, c’est plutôt la construction de l’acceptabilité.
L’autre point sensible pour ce type d’installations, c’est qu’elles sont adossées à des projets industriels avec un partenariat sur 10, 15 ou 20 ans afin de rentabiliser ces investissements. Ce n’est pas simple de trouver des partenaires prêts à s’engager sur une telle durée. Mais l’enjeu est bien réel, car il s’agit de valoriser des déchets non recyclables en chaleur pour des sites industriels qui en consomment beaucoup. On peut aussi alimenter des quartiers par le biais d’opérations de remembrement, mais c’est vrai que ce ne sont pas des projets simples.
Le contexte fiscal va évoluer dans le domaine des déchets, avec une future hausse de la taxe générale sur les activités polluantes. Pensez-vous que cela va changer la donne ?
En effet, il va devenir très onéreux de faire de l’enfouissement, mais aussi on va manquer d’espaces. Par ailleurs, toute une génération d’incinérateurs arrive en fin de vie. L’idée, par ce biais fiscal, est de faire changer les comportements, à aller vers plus de valorisation, à travailler au recyclage et au réemploi.
Les collectivités semblent inquiètes à ce sujet …
Entre ces évolutions fiscales et la loi sur l’économie circulaire, qui est assez large, nous sommes dans une phase de transition. Et après la promulgation de cette loi, un temps sera nécessaire pour la rédaction des décrets et ordonnances. Il y a une période d’attente sur certains points, comme la consigne, alors que l’on a validé l’extension des consignes de tri. On observe ce petit ralentissement par rapport aux projets déposés sur le fonds « déchets » (géré par l’Ademe, ndlr). On peut le comprendre, ces projets constituent des dizaines de millions d’euros, et ils vont peut-être devoir évoluer. Mais il ne faut pas trop attendre.
Dans ce projet de loi, il est prévu de donner à l’Ademe un rôle d’autorité de contrôle des filières à responsabilité élargie des producteurs. Comment l’accueillez-vous ?
C’est déjà une belle reconnaissance pour l’Ademe, qui a été aux côtés du gouvernement dès le début de la feuille de route pour l’économie circulaire et qui est son bras armé. On a un vrai enjeu d’instance de régulation, de contrôle et de dialogue au regard du nombre de filières existantes et à venir. J’ai accueilli avec satisfaction les propos de la ministre indiquant clairement que l’Ademe aurait les moyens humains et financiers pour réaliser cette mission.
Ce qui est un fait plutôt rare …
En effet, mais cela montre qu’il existe une vraie attente du côté de l’État pour que nous puissions exercer cette mission correctement. On le voit au moment des périodes de réagrément des éco-organismes, les négociations avec les acteurs peuvent être compliquées. Il faut arriver à fluidifier tout cela et, surtout, à intégrer les enjeux de l’écoconception, le recyclage, la réutilisation. C’est, à mon avis, un point essentiel du projet de loi. Pour que ça marche, il faut vraiment arriver à avoir un rapport symétrique avec les opérateurs, au bénéfice de tous. Et comme nous traiterons l’ensemble des filières, nous pourrons aussi travailler sur les relations entre ces filières.
De quels moyens avez-vous besoin ?
L’idée n’est pas de faire une instance indépendante de régulation comme l’Autorité de régulation des transports (ART) ou la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Ça doit représenter autour de 20 ETP (équivalent temps plein) pour commencer, peut-être plus après. La mission de préfiguration de la filière REP pour le BTP qui nous est actuellement confiée va demander beaucoup de ressources, et s’il faut la réguler, ça sera vraiment conséquent.
Le point positif, c’est que la règlementation européenne permet que ce système soit financé par les éco-organismes, ça se fera donc à budget neutre pour l’Etat. Les éco-organismes avec qui les discussions ont déjà commencé sont d’ailleurs d’accord, et ils sont demandeurs d’avoir un interlocuteur dédié pour répondre à leurs questions. Mais la décision politique restera au niveau du ministère.
Que pensez-vous de la polémique sur le sujet de la consigne pour recyclage des bouteilles plastique ?
Ce qui est un peu dommage dans cette affaire, c’est que tout le monde partage la même ambition … En matière d’économie circulaire, les collectivités ont un rôle clé à jouer pour animer ce nouvel écosystème, car c’est très important d’arriver à mettre tous les acteurs en relation. C’est ce que l’on voit dans nos programmes d’écologie industrielle territoriale, en travaillant par exemple à l’échelle d’une zone industrielle.
Retrouvez ici la deuxième partie de cette interview qui est consacrée aux politiques énergie-climat territoriales.
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