« Ainsi, s’extrayant du mouvement,/Demeurant sur le bas-côté,/Il contemple l’éclat de l’instant/Et les liens secrets des destins », écrivait Nicolas Bokov dans Contemplations et soupirs (éditions de la Caverne, 2015). Exilé en France depuis 1975, le poète et prosateur russe est mort, lundi 2 décembre, dans un hôpital parisien. Il était âgé de 74 ans.
Sa trajectoire étonne et interpelle. Né le 7 juillet 1945 à Moscou, Nicolas Bokov fait des études de philosophie – marxiste-léniniste, il va de soi, la seule reconnue comme telle en Union soviétique. Puis il commence une thèse. C’est alors qu’il est expulsé de l’université. A côté de cette existence officielle, Nicolas Bokov est accusé de se livrer, dans les années 1960, à des activités qualifiées par le code pénal d’« antisoviétiques ». En l’occurrence, la diffusion de samizdat, c’est-à-dire d’œuvres interdites, et la publication à l’étranger d’écrits critiques à l’égard du régime. Le KGB s’intéresse à lui, se met à le harceler, l’accusant de délits qu’il n’a pas toujours commis, et finit par le pousser à émigrer.
Crise spirituelle
Ce que les services secrets ignorent, c’est qu’il est l’auteur d’un autre « délit », bien réel celui-là, un véritable brûlot intitulé La Tête de Lénine (Robert Laffont, 1982, rééditions Noir sur Blanc, 2017 et Libretto, 2019). Mordant et burlesque, ce texte raconte que, dans son mausolée sur la Place Rouge, la tête de Lénine, un jour, a disparu. Commis par un petit larron qui voudrait vendre la relique au plus offrant, ce vol secoue les fondements mêmes de l’Etat. Le pays est sens dessus dessous, des épisodes rocambolesques s’enchaînent… On est alors en 1970, en pleine célébration du centenaire de la naissance de « l’immortel guide du prolétariat mondial ». Le texte circule en samizdat, on le fait passer en Occident, où il est traduit et édité en plusieurs langues (sans nom d’auteur) et où il rencontre un franc succès. Tout le monde rit, excepté bien sûr le KGB.
Installé en France, Nicolas Bokov écrit, travaille comme journaliste pour la presse de l’émigration russophone et édite une revue. C’est ce que font beaucoup de dissidents russes en exil. Mais cela ne le satisfait pas : au bout de quelques années, en 1982, alors qu’il traverse une crise spirituelle, il décide de tout abandonner et s’en va. A pied ou en autostop, il gagne le mont Athos, le monastère orthodoxe grec réservé aux hommes et, de là, rejoint la Palestine… De retour en France en 1988, il partage pendant quelques années l’existence des SDF de la capitale et mène une vie d’ermite dans une grotte proche de Paris.
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