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Chronique «le Fil vert»

«Il y a une volonté, y compris de la profession agricole, de redimensionner l’élevage»

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Le Conseil économique, social et environnemental a adopté un avis réclamant une meilleure prise en compte du bien-être animal et du bien être des salariés dans les filières d'élevage.
par Aurélie Delmas
publié le 3 décembre 2019 à 6h21

 Tous les jours, retrouvez le Fil vert, le rendez-vous environnement de Libération. Aujourd’hui, quatre questions pour décrypter des enjeux environnementaux.

Le 27 novembre, le Conseil économique, social et environnemental (Cese), a largement adopté un avis sur conditions d'élevage, de transport et d'abattage des animaux (156 voix pour, 3 voix contre et 1 abstention). Le Cese s'est lui-même saisi de cette problématique en octobre 2018 et a mené de nombreuses auditions pendant un an : associations animalistes (CIWF, OABA, L214), professionnels (éleveurs, vétérinaires salariés d'abattoirs), élus mais aussi la philosophe Corine Pelluchon ou la sociologue Jocelyne Porcher. Cette chambre parlementaire n'a qu'un rôle consultatif, mais les 21 préconisations émises sont transmises aux ministères concernés qui devraient se prononcer sur les questions abordées. Corapporteure de l'avis avec l'éleveuse Marie-Noëlle Orain, Anne Garreta, vice-présidente de la section de l'Agriculture de l'alimentation et de la pêche au Cese et membre de la direction nationale de la CGT, explique à Libé en quoi cet avis est important.

L’avis qui a été adopté se prononce pour une transition de l’élevage, comment cela se traduit-il ?

On dénonce l'intensification qui amène une spécialisation progressive des territoires, une concentration des élevages et des abattoirs. Nous demandons que le bien-être animal soit pris en compte dans la conditionnalité des aides de la politique agricole commune (PAC), qui paie actuellement à l'hectare et finance plus les grosses exploitations. Et d'autre part à ce que les conditions de travail et d'emploi soient intégrées dans cette conditionnalité des aides. Les subventions aux exploitations ne respectant pas les normes du bien-être animal doivent être supprimées et des dispositifs de paiement pour services environnementaux doivent voir le jour, pour reconnaître financièrement le respect du bien-être animal.

Nous nous prononçons aussi contre la ratification des traités de libre-échange, qui n'incluent pas du tout la dimension du bien être animal. Pour réorienter la production vers le marché intérieur nous souhaitons une interdiction des importations depuis les pays qui ne respectent pas la réglementation européenne sur le bien-être animal. Pour ce qui est des normes, nous réclamons une meilleure application en France de cette réglementation, car on est largement à la traîne : certains pays n'ont déjà plus recours à la caudectomie [ablation de la queue, ndlr], à la castration sans anesthésie, au débecquage ou à l'écornage des bovins.

Après nous avons d'autres préconisations concernant plus directement les animaux, bien conscients que cette transition ne va pas pouvoir se faire du jour au lendemain: l'interdiction de construire des bâtiments en caillebotis intégral ou l'étourdissement même pour l'abattage rituel, par exemple. Nous réclamons aussi l'interdiction, avec une période de transition et un accompagnement, de tuer sans les consommer tous les animaux qui sont des sous-produits, les «non-valeur économique». On connaît par exemple la question du broyage des poussins.

Par ailleurs, le Cese demande un développement des races mixtes et locales, plus rustiques, et qu'on arrête de créer des races destinées à répondre à toujours plus de production. Par exemple, aujourd'hui la sélection génétique a permis de générer des animaux capables d'atteindre le poids de 1,5 kilo en trente jours alors qu'avant il fallait 120 jours. Vous imaginez ce qu'on a fait de ces animaux-là ? En fait, on est passé de l'élevage à la production de viande. Cela amène à des aberrations.

L’avis insiste particulièrement sur la nécessité de bien traiter celles et ceux qui travaillent dans la filière de l’élevage…

Nous avons constaté que les travailleurs étaient systématiquement sortis de la question du bien-être animal. Sauf pour être stigmatisés. L'axe principal de notre avis est le travail. On estime qu'il ne peut pas y avoir de bon traitement des animaux s'il n'y a pas de bonnes conditions de travail.

C'est très compliqué pour les petits éleveurs on le sait. Et les salariés des abattoirs doivent parfois tuer un bovin à la minute, ou 8 moutons, 10 porcs ou 225 volailles ! On est rentrés dans une intensification du travail et des cadences faramineuses. Les trois quarts des salariés des abattoirs souffrent de troubles musculo-squelettiques (TMS). Sans compter le rapport permanent à la mort, le fait qu'ils n'ont pas le temps de s'occuper correctement des animaux… Concrètement, il faut des embauches, la réduction des cadences, une diminution du temps de travail, une meilleure rémunération et la reconnaissance de la pénibilité dans les conventions collectives et accords de branche.

L’avis est opposé à la généralisation des caméras dans les abattoirs ?

Tout à fait, c'est un sujet qui a fait débat. Mais nous estimons que les caméras se peuvent en aucune façon substituer aux vétérinaires ante mortem, à l'inspection du vivant. On sait que la loi Falorni est en train de mettre en place une expérimentation sur les caméras, mais cela crée des pressions énormes sur les salariés. D'autant que si les caméras arrivent dans les abattoirs, demain elles peuvent arriver dans les élevages. On réclame des inspections de vétérinaires, des responsables de la protection animale (RPA) et qu'il y ait un meilleur dialogue entre salariés, éleveurs et vétérinaires. Conformément à une proposition de la cour des comptes, nous en appelons à ce qu'il y ait une redevance sanitaire, financée par les gros éleveurs et les groupes agroalimentaires, pour renforcer les contrôles sanitaires.

Au sujet des abattoirs, il faut aussi mettre un terme à la concentration qui rallonge le temps de transports des hommes et des animaux : de 1 200 (dont 85% de publics), on est passé à 260 abattoirs pour les gros animaux. Et il faut des abattoirs publics parce qu'ils ne sont jamais rentables en soi s'il n'y a pas une activité de transformation derrière.

A quoi cet avis servira-t-il ?

A la base c'est un sujet qui pouvait être très clivant […] et qui a obtenu une large approbation. Il y a une volonté y compris de la profession agricole de redimensionner l'élevage qui fait face à des contradictions au niveau de l'intensification. On est tombé d'accord sur un constat : on est en train de sacrifier notre élevage. On a replacé les éleveurs et les salariés dans ce concept du bien-être animal c'est le fil conducteur de cet avis qui a fait qu'on a pu avoir un tel vote. Pour nous, on a besoin d'élevage, on ne va pas éradiquer demain toutes les productions. Simplement il ne faut plus d'élevage intensif tel que conçu dans certaines régions, et les animaux doivent avoir accès au plein air.

Nous espérons que le gouvernement va être attentif et que l'on sera reçus par le ministère de l'Agriculture sur ces questions. Le gouvernement suit nos travaux et pourra ensuite faire des propositions de loi. Cela a commencé sur la fin du broyage des poussins, une de nos préconisations, ou la castration à vif des porcelets.

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