Paysans-chercheurs : ils régénèrent l'agriculture

Blés issus de semences paysannes ©Radio France - Anne-Laure Chouin
Blés issus de semences paysannes ©Radio France - Anne-Laure Chouin
Blés issus de semences paysannes ©Radio France - Anne-Laure Chouin
Publicité

Ils travaillent sur les semences paysannes, l'agro-foresterie ou les associations de culture. Ils ne veulent plus qu'on leur dise comment nourrir leurs bêtes ou quoi planter, mais ils cherchent à se réapproprier leur métier. Rencontre avec ces semeurs de biodiversité : les paysans-chercheurs.

Avec
  • Félix Noblia Paysan chercheur au Pays basque

Ils participent activement à la transformation des pratiques agricoles. Mais ils le font selon leurs besoins, à leur manière et surtout avec un objectif : concilier un revenu décent et une agriculture respectueuse de la biodiversité, des sols, des paysans eux-mêmes ; bref : de la planète. Ils sont issus de la lutte anti-OGM ou ont vu leurs champs s'éroder, leurs cultures griller. Ils ont été pionniers de l'agriculture biologique ou n'ont simplement plus voulu travailler comme leurs parents. Une chose en tout cas les rassemble : ils estiment qu'ils doivent être au centre de la recherche en agronomie, et non pas simplement appliquer des recettes élaborées en laboratoires. Car qui connaît leurs terres mieux qu'eux ? 

Ces paysans-chercheurs ont donc arrêté le labour, planté des arbres dans leurs champs, associé plusieurs cultures dans une même parcelle, ou tout simplement replanté leurs propres semences. Ils l'ont fait en commun, avec l'aide de réseaux, de chercheurs, d'instituts. Ils ont expérimenté, tâtonné, échoué parfois, mais aucun d'eux ne reviendrait en arrière. Souvent, ils sont retournés à des pratiques pas si anciennes, que le modèle agricole productiviste d'aujourd'hui a oublié, voire a cherché à éliminer. Mais ils ne sont pas réactionnaires, au contraire. Ils innovent. Rencontre avec ces paysans-chercheurs qui ont repris en main leur métier.

Publicité

Dans le Lot-et-Garonne, éleveurs de chèvres et d'herbe

Elevage de chèvres à l'herbe en Lot et Garonne
Elevage de chèvres à l'herbe en Lot et Garonne
© Radio France - Anne-Laure Chouin

Xavier et Séverine Noulhianne sont installés à Montpezat d'Agenais, ils élèvent 70 chèvres et 30 brebis et fabriquent à la ferme le fromage issu de leur lait. Depuis quelques années, leur troupeau n'est plus nourri que de l'herbe qui pousse sur leurs 14 hectares de prairie. C'est inhabituel, car même les chèvres dites "nourries à l'herbe" sont en réalité nourries avec une ration quotidienne de céréales. Pas chez Séverine et Xavier, qui ont entamé voilà quelques années un travail très spécifique sur l'herbe justement : pour apprendre quelle espèce d'herbe est la mieux adaptée, à quel moment les animaux doivent la pâturer, avec quel incidence sur le lait, quels résultats sur la santé des animaux, etc. Un travail long et minutieux, mené en partenariat avec un ingénieur de l'INRA de Toulouse, Vladimir Goutiers, agronome en systèmes fourragers. 

Xavier Noulhianne, paysan chercheur
Xavier Noulhianne, paysan chercheur
© Radio France - Anne-Laure Chouin

"On a baissé nos charges, car l'herbe c'est ce qu'il y a de moins cher à produire"

3 min

C'est un nouveau métier, qui implique de nouvelles manières de travailler. Je suis allé trouver des informations là où elles existent, chez les scientifiques. On a commencé rapidement à s'orienter vers des prairies avec des mélanges de variétés. Mais quelles variétés ? C'est là qu'on a rencontré Vladimir de l'INRA, qui travaille sur les mélanges de variétés d'herbes.

Éleveur "non issu du monde agricole", Xavier s'est longuement interrogé sur l'histoire, justement, de ce monde agricole. Il en a fait un livre, Le ménage des champs (voir la bibliographie) et sa pratique du métier en est aussi le reflet. Mais sont but "est avant tout de fournir un revenu à [sa] famille", dit-il. Avec ce système herbager mis au point au bout de quelques années, il a fortement diminué ses charges, et cela lui a permis de ne pas augmenter le prix de son fromage à l'étal. Mais il ne compte pas s’arrêter là : il voudrait implanter des arbustes dans ses prairies, pour drainer les sols, mieux affronter la sécheresse et nourrir voire soigner son troupeau. "Il faut que d'ici quelques années, la ferme soit totalement gérable par des personnes plus âgées, c'est-à-dire ma femme et moi quand nous aurons 65 ans." 

Dans le Gers, des céréales en agro-foresterie

Champs de maïs en agroforesterie, Gers
Champs de maïs en agroforesterie, Gers
© Radio France - Anne-Laure Chouin

Le Gers est le département où siège l’association française d'agroforesterie , plateforme d'échanges et de partenariats entre agriculteurs, chercheurs, décideurs ou encore collectivités. Avec pour but de redonner leur place aux arbres dans les fermes, après des années d'élimination des haies, arbres, arbustes, et autres futaies par les agriculteurs. Et de fait, même s'il restent minoritaires, ils sont de plus en plus nombreux, notamment dans ce département très agricole du Sud-Ouest, à replanter dans leurs champs ces arbres qui stabilisent les sols, les drainent, les irriguent, accueillent des oiseaux, des champignons, des insectes, et font de l'ombre aux animaux d’élevage. Sans compter leur potentiel productif : fruits, bois, biomasse. 

Fabien Balaguer est le directeur de cette association basée à Auch, il accompagne la mise en oeuvre de plusieurs expérimentations agroforestières dans les exploitations :

Fabien Balaguer, directeur de l'association française d'agroforesterie

3 min

Le terme "agroforesterie" est nouveau, mais les pratiques ont toujours existé, l'arbre et l'agriculture ont toujours été liés. Il est démontré aujourd'hui qu'il n'y a pas d'agriculture durable sans arbres. Mais depuis seulement deux ou trois générations, l'industrialisation de l’agriculture a éradiqué l'arbre. Et le problème est qu'aujourd'hui on a oublié les savoir-faire. Du coup, il n'y a ni manuel, ni recette, tout s'expérimente sur le terrain. 

Ces expériences menées en commun, François Coutant commence à en avoir une certaine habitude. Installé à Ricourt, près de Marciac, il mène depuis plusieurs années une transformation complète de ses pratiques, avec ses deux frères et deux autres collègues agriculteurs installés à proximité. Après l'abandon du labour (il cultive des céréales et élève des brebis et des volailles), il est passé au bio, et désormais donc, à l'agroforesterie. Le fruit d'années d'échanges et de travail en commun avec des ingénieurs agronomes dans un CETA, un Centre d'Etude de Techniques Agricoles. Son principal défi aujourd'hui : mener de front l'agriculture biologique et l'agriculture de conservation. La première nécessite de labourer, la seconde cherche à éviter de le faire. Pour trouver la solution, il expérimente, encore et toujours. Dernière trouvaille : une machine qui permet de hacher les plantes dites de "couvert" pour éviter qu'elles n'étouffent son soja, sans pour autant trop travailler la terre, le "Roll'N Sem".

Dans ses champs de maïs biologiques cultivés à flancs de coteaux (une rareté, en soi), on trouve des arbres à intervalles réguliers. Merisiers, poiriers, noyers, tilleuls ou frênes, qui ont permis d'éviter que la céréale ne grille cette année. Alors qu'aux alentours, toutes les prairies et les champs de céréales ont souffert de la sécheresse. Pour François Coutant, qui accepte sans rechigner l'appellation de "paysan-chercheur", c'est le travail en commun qui permet d'avancer. Sans cela dit-il, "il est presqu'impossible de remettre en causes ses pratiques". 

Fabien Balaguer et François Coutant
Fabien Balaguer et François Coutant
© Radio France - Anne-Laure Chouin

"C'est dans la difficulté qu'on avance, à condition de ne pas être isolé"

33 sec

Si on veut durer, il faut se retrouver entre nous, et ne pas attendre que le technicien agricole arrive et dise : il faut faire comme ci ou comme ça. C'est ce qui s'est passé pendant vingt ans, on a décidé de tout pour nous. Et quand vous n'avez décidé de rien pendant vingt ans, c'est difficile de prendre des décisions, comme passer en bio.

Dans la Vienne, des association de cultures et d'agriculteurs

Ils ont reçu ensemble le grand prix de la démarche collective aux Trophée de l'Agroécologie 2019 : huit paysans des alentours de Châtellerault, qui ont participé au projet APACh, comme "Association de plantes en agro-écologie dans le Châtelleraudais". 

Réunis au sein du CIVAM, qui depuis plusieurs dizaines d'années promeut le partage d'expériences entre agriculteurs pour une "agriculture plus autonome et plus économe", Claude Souriau, François Michaud, et Bruno Joly (entre autres) ont fait des essais d’associations de cultures, principalement céréales et protéagineux, pour voir de quelle manière ces associations pouvaient stabiliser les rendements face aux aléas climatiques, réduire les apports d'engrais, les maladies et le travail du sol, et diminuer in fine les intrants, tout en préservant l'environnement de leur territoire. Un projet mené en partenariat avec de nombreux réseaux, notamment l’association "Cultivons la bio-diversité en Poitou-Charentes" (membre du Réseau Semences Paysannes), le laboratoire d’Écologie et biologie des interactions (EBI) de l’Université de Poitiers, ou encore l'équipe mixte INRA-ITAB “biodiversité cultivée et recherche participative”. 

Cette multiplicité d'acteurs est à l'image de la bio diversité que cherchent à promouvoir ces paysans chercheurs du Châtelleraudais. Car en associant les cultures, ils ont attiré dans leurs sols, sur leurs terres et dans leurs plantes une multiplicité d'êtres vivants, insectes (notamment les carabes ) ou champignons, dont l'action permet notamment de se passer de phytosanitaires. 

Les agriculteurs et chercheurs du projet APACh
Les agriculteurs et chercheurs du projet APACh
© Radio France - Anne-Laure Chouin

Bruno Joly, paysan chercheur

1 min

Notre point commun dans cette expérience était de chercher à avoir des cultures avec plus de rendements et de régularité. C'était une grosse remise en cause, un challenge aussi. Mais on a besoin de se donner des défis, et se retrouver à échanger avec des collègues et des chercheurs, c'était extrêmement enrichissant.  

En ligne de mire, il y a aussi le besoin de s'assurer un revenu avec ses productions dans un contexte de changement climatique : des sécheresses de plus en plus fréquentes, des sols épuisés, etc. Or cette expérimentation, à présent terminée, a infusé les terres et les esprits. François Michaud par exemple, qui a par ailleurs obtenu un prix individuel pour ses travaux d'agroforesterie, continue de mener des essais d’association dans ses parcelles. Il a planté du sorgho, dont il estime qu'il s'adaptera plus facilement aux températures de demain, avec du soja. Sans grand succès dans un premier temps, mais qui cherche n'est jamais assuré de toujours trouver. 

En Bretagne, du maraîchage en semences paysannes

S'il est un domaine où la recherche en agronomie a toujours été active, c'est celui des semences. Leur marché est très réglementé, pour pouvoir être commercialisées, elles doivent être inscrites dans un catalogue. Cette inscription nécessite plusieurs critères, ce qui donne des semences standards, homogénéisées, qu'achètent l'immense majorité des agriculteurs cultivateurs. Si ces semences s'adaptent parfaitement à l’agriculture conventionnelle (apport de phytosanitaires et d'engrais notamment), elles ne sont pas compatibles avec l'agriculture biologique et son cahier des charges. C'est donc parmi ces agriculteurs bio qu'ont commencé à circuler les semences paysannes, et c'est avec eux que se sont mis à travailler des chercheuses de l'INRA et de l'ITAB

Ces semences "hors la loi", c'est-à-dire non homologuées dans un catalogue de semences, se révèlent pourtant plus variées et plus adaptables à leur environnement. Elles proviennent directement des graines mises de côté par les agriculteurs eux mêmes avant que tout ne soit sélectionné en laboratoire. Comment ces semences paysannes s'adaptent-elles, comment évoluent-elles selon les saisons, les terroirs, ou le moment de plantation etc. ? C'est tout cela qu'observent en commun Véronique Chable de l'INRA, Estelle Serpolay de l'ITAB,  et le maraîcher bio Jean-Martial Morel, dans la région de Rennes, dans la ferme de Jean-Martial, qui travaille au sein d'une AMAP

Jean-Martial Morel et Estelle Serpolay, agriculteur et chercheuse
Jean-Martial Morel et Estelle Serpolay, agriculteur et chercheuse
© Radio France - Anne-Laure Chouin

Parmi ses carottes, choux, radis, tomates ou haricots, il a sélectionné quelques rangs de terre où il sème des dizaines et des dizaines de variétés différentes d'un légume (en ce moment c'est la carotte), et il observe lesquelles réagissent le mieux, pour en récolter ensuite les graines et les échanger ou les vendre au sein de son réseau de semences, Kaol Kozh ("vieux chou", en breton). C'est ainsi qu'il a par exemple "créé" une nouvelle variété de haricots, qu'il a nommé "ZAD", car "la semence paysanne, dit-il, est une zone à défendre". C'est un haricot cultivable au printemps et à l'automne, dont la plante fait peu de feuilles, un légume long, gros mais sans fil "qui se mange comme une frite" selon Estelle Serpolay, spécialiste de bio diversité cultivée, qui fait de la recherche participative et assure le suivi scientifique de ces maraîchers-chercheurs au cours de leurs expérimentations. 

Cette nouvelle variété n'a pas été obtenue via une manipulation génétique en laboratoire, elle pousse sans qu'on l'irrigue, et bien sûr sans pesticides. Pour Jean-Martial, les agriculteurs, et plus encore les maraîchers, doivent donc reprendre le contrôle sur cette dimension de leur travail. 

"Avant, les maraîchers produisaient eux-mêmes leurs semences"

46 sec

Si on ne veut pas laisser les variétés hybrides ou OGM prendre le dessus, il faut se réapproprier ce savoir faire de production de semences. Il y a quelques années c'était les maraîchers qui faisaient leurs semences eux mêmes, c'était le maraîcher qui était le sélectionneur. On a perdu ce métier là.

Mais il y a encore loin de la diversité aux champs à la diversité dans l'assiette. En rayon, ce sont souvent les mêmes variétés de fruits et de légumes qui sont proposés, et même si le métier de paysan-boulanger_ qui font un gros travail sur les variétés paysannes de blé_ est en plein essor, la façon de nous nourrir s'est beaucoup standardisée. C'est ce nouveau combat qu'il faut mener selon Véronique Chable, de l'INRA de Rennes.

"La diversité n'a pas encore trouvé sa place sur les marchés"

1 min

"Pour avoir de la diversité dans nos micro-biotes intestinaux, il faut aussi de la diversité dans les sols. Et c'est cela que nous devons apprendre à celui qui mange, même dans les centres villes : Il est lié au sol de son pays."

Des liens pour aller plus loin

En septembre 2020 le Congrès Mondial de la bio aura lieu à Rennes :  owc.ifoam.bio

Faut-il reconnaître un statut aux paysans chercheurs?   Le blog Graines de Mane

L'association française d'agroforesterie : www.agroforesterie.fr

Le travail en agroforesterie, fermes pilotes dans le sud-ouest: Le projet Agr'eau

Le Réseau Semences Paysannes

Le réseau CIVAM, qui fédère agriculteurs et expériences en agriculture : campagnes vivantes

InPact, un collectif d'associations qui défendent l'agriculture paysanne familiale.

L'équipe