Dans la 19e édition du dictionnaire Bordeaux et ses vins, de Charles Cocks (Féret, 2014), qui vaut bible dans le milieu, les Lurton occupent seize places dans l’index et quarante-quatre entrées. C’est dire l’importance de cette famille – cinq générations successives – qui, avec ses nombreuses branches et ramifications, totalise une trentaine de châteaux, parmi les plus prestigieux du Bordelais, et règne sur 1 400 hectares de vignes environ. Soit plus de 1 % de la superficie du vignoble bordelais, et sûrement un pourcentage plus élevé s’agissant du chiffre d’affaires.
S’il ne peut exister de résultat financier cumulé des membres de la famille, car leurs sociétés sont indépendantes les unes des autres, on peut imaginer que le nom vaut, dans le vin, près d’un milliard d’euros. Dans la liste des plus grandes fortunes ayant investi dans le vignoble, selon le classement 2019 du magazine Challenges, la seule branche Henri Lurton avec ses dix enfants « pèse » quelque 200 millions d’euros (180e fortune de France).
Période trouble
« Il existe d’autres empires dans le vin, comme Magrez, Castel, Moueix, mais souvent bâtis sur une personne, avance Philippe Massol, le directeur général de la Cité du vin à Bordeaux. Lurton, en revanche, est une famille tentaculaire, avec plusieurs générations. C’est un des noms qui résonnent le plus à Bordeaux. »
« Il existe d’autres empires dans le vin, mais souvent bâtis sur une personne. Lurton est une famille tentaculaire, un des noms qui résonnent le plus à Bordeaux. » Philippe Massol
Ce dernier ajoute que les Lurton sont « partout et différents » : François vous fait faire le tour du monde – il possède des domaines en Espagne, en Argentine et au Chili –, quand Bérénice, à la tête du Château Climens, un sauternes, vous parle de son terroir de Barsac. « Mais ce qui est remarquable, dit encore Philippe Massol, que ce soit à Yquem [sauternes], à Cheval blanc [1er cru classé de saint-émilion], ou dans n’importe lequel de leurs châteaux, c’est qu’ils font des vins de grande qualité, d’une finesse exceptionnelle. » Aussi, on peut dire que les Lurton constituent la plus grande famille viticole du monde, si l’on croise trois facteurs : nombre de personnes, nombre de propriétés indépendantes et qualité des vins.
Tout commence en 1650, quand une famille de meuniers, les Récapet, commence à planter de la vigne. Deux siècles plus tard, ils s’installent à Branne, en Gironde. Léonce Récapet (1858-1943) reprend la petite distillerie familiale et développe le vignoble, achetant domaines et châteaux, au gré des opportunités qu’offre une période trouble de la viticulture avec les ravages du phylloxéra. De ses trois enfants, seule Denise survit et, unique héritière, épouse en 1923 François Lurton, fils d’un avoué bordelais d’origine berrichonne. Ils s’installent au château Bonnet, dans l’entre-deux-mers, véritable point de départ de la saga Lurton.
Il vous reste 65.11% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.