Dans les Deux-Sèvres, la difficile lutte contre les sécheresses

Dans les Deux-Sèvres, 16 retenues d'eau ont été autorisées pour les agriculteurs. ©AFP - Alain Jocard
Dans les Deux-Sèvres, 16 retenues d'eau ont été autorisées pour les agriculteurs. ©AFP - Alain Jocard
Dans les Deux-Sèvres, 16 retenues d'eau ont été autorisées pour les agriculteurs. ©AFP - Alain Jocard
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Ils les appellent des retenues d'eau ou des bassines, selon qu'ils sont pour ou contre. Dans le département des Deux-Sèvres, régulièrement touché par la sécheresse, agriculteurs et naturalistes ont signé un protocole pour tenter d'apaiser les conflits autour de l'usage de l'eau...mais non sans mal.

À Amuré, dans la Sèvre Niortaise, Thierry Boudaud cultive du tabac. Avec son système d'irrigation au goutte à goutte, il a besoin de 2.000 mètres cubes d'eau par hectare. Mais dans cette partie du Marais Poitevin, l'eau vient désormais à manquer presque chaque année et les restrictions sont monnaie courante, comme cet été.

Les agriculteurs qui irriguent (environ 25% des exploitations agricoles au total) réclament depuis des années la construction de retenues. En décembre dernier, après des années de conflit, des agriculteurs du Bassin Sèvre Niortaise-Mignon et des associations de défense de l'environnement ont signé un protocole d'accord avec l'État et les collectivités locales. 

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Stocker l'eau en hiver pour diminuer les prélèvements l'été 

Le projet initial a été revu à la baisse. Il autorise la construction de 16 retenues d'eau au lieu des 19 prévues.  Mais surtout, pour avoir accès à l'eau, les agriculteurs irrigants doivent s'engager à modifier leurs pratiques agricoles.

"Avant, un agriculteur faisait un forage : il trouvait de l'eau et c'était à lui. Il n'avait pas de comptes à rendre. On a changé de paradigme."

Une petite révolution culturelle, estime Thierry Boudaud, président de la COOP de l'eau, la coopérative à laquelle les agriculteurs doivent  obligatoirement adhérer pour accéder à une ressource mutualisée  : "On part du principe que l'agriculteur a accès à l'eau à condition qu'il évolue dans ses pratiques avec des indicateurs clairs. Quand il rentre dans le projet il fait un diagnostic de son exploitation de ses pratiques. Puis il prend des engagements en terme de biodiversité. Planter des haies, avoir des réflexions collectives sur des trames vertes et des corridors écologiques et avec un volet précis sur les pratiques et un engagement de baisser la consommation de produits phytosanitaires pour ceux qui sont en conventionnel et pour un certain nombre d'agriculteurs il y a le choix de passer en agriculture biologique."

Thierry Boudaud affirme qu'il a réduit de 30% sa consommation d'eau pour faire pousser du tabac.
Thierry Boudaud affirme qu'il a réduit de 30% sa consommation d'eau pour faire pousser du tabac.
© Radio France - Sandy Dauphin

220 fermes sont concernées, elles devraient voir le coût de l'eau augmenter à 17 centimes le mètre cube (contre 8 à10 centimes), reconnait la COOP de l'eau mais "c'est le prix à payer pour avoir un accès sécurisé à l'eau".

Des retenues d'eau conditionnées à des pratiques agricoles plus durables

"Pendant des dizaines d'années, on n'a pas réussi à travailler ensemble. D'un côté les écolo et de l'autre les agriculteurs intensifs et au milieu le champ de maïs. On se regarde, on se jette des cailloux, et rien d'autre ! J'espère que c'est fini."

Pendant des années, l'association Deux-Sèvres nature environnement a bataillé contre les retenues d'eau, avant d'accepter de s'asseoir autour d'une table avec les "irrigants" Son président Yannick Maufras explique : "Nous avons changé parce que le projet a changé. Nous avons maintenant un projet pour une agriculture durable où nous, associations de défense de l'environnement, nous avons notre place et même le pouvoir d'impulser de nouvelles choses."

La coordination pour la défense du marais Poitevin estime elle aussi avoir obtenu suffisamment de garanties pour signer le protocole. "Ça ne veut pas dire qu'on ne conteste pas des projets de retenues surdimensionnées ailleurs", s'empresse de préciser son vice-président François-Marie Pellerin mais dans les Deux-Sèvres, l'assurance d'une gouvernance collégiale - la gestion de l'eau est confié à un établissement public - est, dit-il, de nature à le rassurer.

"On surexploitait la ressource l'été, et ça, il y a 15 ans les agriculteurs refusaient de l'admettre. Ce n'est plus le cas. Maintenant est-ce qu'on ne va pas transférer le problème à l'hiver  ?" C'est une vraie question, reconnait François-Marie Pellerin, hydrologue de formation : "Toute la difficulté, et ce sera encore un rapport de force et on est là pour ça, sera que ces prélèvements n'impactent pas trop le milieu naturel l'hiver". Car l'hiver, les crues sont vitales pour nettoyer les rivières et regénérer le Marais Poitevin. 

Scission au sein du camp des opposants 

Mais sur le terrain, malgré les défections, l'opposition continue. Le collectif "Bassines non merci" a installé son QG sur le terrain d'un conseiller municipal de Mauzé-sur-le-Mignon. "je suis convaincu qu'on n'arrivera même pas à les remplir" se désole Jean-Jacques Guillet ancien maire d'Amuré où doit se construire l'une des plus grosses réserves, 15 hectares. "depuis des années les prélèvements pour l'arrosage sont supérieurs à ce que peut fournir le milieu" . Le bassin versant est en effet situé en Zone de répartition des eaux (ZRE). En jardon administratif, ca veut dire qu'il y a un déséquilibre quantitatif entre les ressources disponibles et la consommation pour l'irrigation, l'eau potable et l'industrie.  

Les opposants ont implanté "un camp de la résistance" à Mauzé-sur-le-Mignon.
Les opposants ont implanté "un camp de la résistance" à Mauzé-sur-le-Mignon.
© Radio France - Sandy Dauphin

Le protocole va autoriser le prélèvement de 12,7 millions de mètres cube par an, dont près de 7 millions seront stockés l'hiver. C'est moins que ce que prévoyait première mouture du projet, mais c'est toujours trop, selon les opposants qui dénoncent une fuite en avant du modèle agricole intensif. "On est dans le même délire que les Shadoks, on pompe toujours plus" affirme Jean-Jacques Guillet.

La construction des retenues doit débuter au printemps 2020. D'ici là, les anti ont prévu de nouvelles mobilisations.  

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