L'appel à la société civile, un putsch contre la démocratie ?
- Publié le 25-06-2019 à 09h41
- Mis à jour le 25-06-2019 à 10h40
L'appel du 17 juin fut lancé par Jean-Marc Nollet, coprésident d'Ecolo. Il propose pour le gouvernement wallon une coalition Coquelicot, soit un gouvernement minoritaire Ecolo et PS ouvert à la société civile.
Oui pour Marcel Sel, observateur, chroniqueur - Un blog de Sel ("je pense, donc je ne suis personne")
L’appel à ce gouvernement Coquelicot est un leurre qui veut consacrer une société civile usurpée. L’opération semble ouverte, spontanée et transparente, mais cache une manœuvre bien préparée pour légitimer le monde associatif de la gauche radicale.
Une de vos chroniques (1) avance que le Coquelicot d’Écolo est un putsch. Expliquez-nous.
J’utilise à dessein des mots forts sur mon blog, pour être bien entendu. Et n’étant pas un média traditionnel, je me permets d’être plus sarcastique. Il ne s’agit évidemment pas ici d’un putsch avec des militaires mais d’un putsch - bien préparé - qui consacre une société civile usurpée. L’appel à ce gouvernement Coquelicot (NdlR : un gouvernement minoritaire Écolo et PS ouvert à la société civile) met à mal notre démocratie pour quatre raisons. Un, l’électeur s’étant déjà exprimé, l’opération contourne le résultat des urnes et donne une apparence de majorité à une minorité. Deux, le terme "société civile" utilisé par Écolo est un leurre. Il serait temps que ses opérateurs - et les journalistes - le remplacent par "la société civile autoproclamée" ou "le monde associatif de gauche radicale". Trois : alors que pour la première fois Écolo essaye de mettre une idée de participation citoyenne en pratique, elle ne s’appuie pas sur les citoyens (tirés au sort ?) mais bien sur une prétendue représentation ultra-politisée et non diversifiée. Quatre : tout cela semble ouvert, spontané et transparent mais s’avère opaque et cache une manœuvre bien préparée. Plusieurs organisations à la gauche de la gauche et qui se disent représentatives de la société civile ont lancé le 11 juin, à travers la plate-forme lacoordination.org, une "déclaration non gouvernementale" avec 10 priorités. Six jours plus tard, Nollet en appelle à un gouvernement minoritaire ouvert à la société civile. Quelle coïncidence.
Pourquoi considérez-vous que le terme "société civile" utilisé par Jean-Marc Nollet, co-président d’Écolo, est usurpé ?
Parce que la plupart des personnalités visées sont surtout des activistes politiques. Or, dans son sens premier, la société civile fait référence à l’ensemble de la société belge ; civile, par opposition à militaire, commerciale, administrative et surtout à politique. Certains l’étendent ou pas, aux syndicats. Mais depuis quelques années, une partie du milieu associatif, très politisée, a pris l’habitude de s’autoproclamer "société civile". Parallèlement, on a assisté à la mainmise progressive de partis politiques dans ces associations. Ensuite, plutôt que de récupérer des associations de citoyens, le politique s’est mis à créer ses propres associations prétendument citoyennes. Ainsi en est-il de l’association "Tout autre Chose", lancé à l’origine par le PTB et initiatrice de la campagne Tam-Tam présentée comme indépendante ! Subtilement, on ne trouve aucun politique dans la liste des 111 premiers signataires affichés en une du site. C’est quand on pousse plus loin qu’on trouve ceux qui ont noyauté l’association dès le début, les Hedebouw, Pestiau et Van Hees du PTB et les Muriel Gerkens, Zoé Genot et Jean-Marc Nollet d’Écolo. La voilà la "société civile" à laquelle fait appel Jean-Marc Nollet, et maintenant le PS. Elle est militante et au service des idées de la gauche radicale. L’ouverture ne s’adresse pas aux milliers d’associations du pays, non, mais à une quarantaine, bien profilées, toujours les mêmes. Plus loin, faire appel à la société civile, tous les gouvernements le font en permanence. Là aussi il y a une arnaque.
Vous regrettez cette façon détournée - opaque, dites-vous - de faire participer la gauche de la gauche à un gouvernement minoritaire. Mais n’est-ce pas respecter la démocratie puisque le PTB a bien progressé en Francophonie ?
La seule majorité démocratique est celle qui parvient à rassembler une majorité parlementaire. Ce n’est pas parce que tout à coup, le PTB a 10 sièges qu’il y a un devoir de respecter les électeurs du PTB davantage que les autres. Comparons avec la Flandre. Tout gouvernement flamand devrait-il intégrer les idées du Vlaams Belang - directement ou indirectement via l’ouverture à des associations comme Schild&Vrienden par exemple - parce que ce parti a fortement progressé ? Non. Attention, je ne compare pas exactement le Vlaams Belang au PTB, l’un est raciste, l’autre pas, mais ce sont deux partis liberticides et antidémocratiques.
Entretien Thierry Boutte
http://blog.marcelsel.com/2019/06/18/le-coquelicot-decolo-ceci-est-un-putsch/
Pas très créatif, pour Marie-Hélène Ska
Société civile et engagement. "On est à côté de la plaque" , a déclaré samedi matin sur les ondes de la Première Marie-Hélène Ska, invitée du Grand oral . " Ce n’est pas très créatif ", a continué la secrétaire générale de la CSC. " La société civile, cela fait des lustres qu’elle est engagée. L’idée n’est pas neuve. Par définition, si on s’engage dans une organisation syndicale, patronale, mutuelliste, associative, c’est qu’on a envie de faire entendre sa voix."
Non pour Brieuc Wathelet, coordinateur de Tam Tam
Affirmer que la société civile est partisane, c’est méconnaître la diversité des associations qui la constituent. Gouvernement minoritaire ou pas, elle sera toujours le contre-pouvoir des politiques. C’est une raison pour laquelle il ne faut pas lui proposer de postes ministériels.
Un gouvernement minoritaire qui s’appuie sur la société civile délégitimise-t-il la démocratie parlementaire ?
Non. Qu’on s’appuie sur la démocratie civile ou pas, le gouvernement qui sera présenté devra avoir la confiance d’une majorité du Parlement. Cela ne déforce donc pas du tout le principe de la confiance accordée au gouvernement. Ensuite, tous les projets de décrets qui vont être amenés en Région wallonne devront également obtenir une majorité au sein du Parlement. Cela ne change donc structurellement rien au fonctionnement de la démocratie représentative.
Estimez-vous que la société civile évoquée par Jean-Marc Nollet est noyautée par des partis ou des mouvements étiquetés à gauche ?
Non. À l’intérieur des structures comme les organisations syndicales ou les organisations non gouvernementales qui composent la société civile, la grande majorité des individus n’ont pas de carte de parti. Et, s’ils en ont une, ils n’ont aucun rôle à jouer dans le parti auquel ils appartiennent. La société civile est donc composée d’une multitude d’acteurs qui tiennent des positions diverses. Notre travail, avec Tam Tam, est d’essayer d’aller vers un décloisonnement entre les grands piliers qui la composent : la FGTB et la CSC, entre les organisations comme le CNCD, Médecins du monde, la Ligue des droits de l’homme entre autres. Affirmer que la société civile est partisane, c’est donc méconnaître la diversité et la pluralité des associations qui la constituent. Je tiens également à souligner que, gouvernement minoritaire ou pas, la société civile sera toujours le contre-pouvoir des politiques. Il faut donc lui garantir son indépendance et son autonomie. Elle doit conserver sa capacité à pouvoir faire la critique des politiques publiques, indépendamment des partis qui sont au pouvoir. C’est une raison de plus pour ne pas entrer dans le jeu qui consiste à proposer des postes ministériels à des personnalités issues de la société civile, comme le propose Écolo. Nous, les postes, on s’en moque. Ce qu’on veut, c’est peser sur le fond et pouvoir répondre aux trois urgences qui traversent tous les clivages : l’urgence climatique, sociale et démocratique. La dernière illustre le fait que les citoyens ne se sentent plus représentés dans les arcanes du pouvoir, et qu’un gouffre énorme est en train de se créer entre les élus et les ministres d’un côté, et les citoyens de l’autre.
Il suffit d’ailleurs d’observer le mouvement des "Gilets jaunes" en Wallonie. Si ces derniers ne se sentent pas représentés et ont l’impression d’être oubliés par les institutions classiques, c’est aussi parce que pendant plus de cinq ans leurs conditions sociales ont été fortement dégradées par un saut d’index, le gel des salaires, des coupes dans la sécurité sociale, des exclusions du chômage, etc.
Justement, que pensez-vous de l’idée de tirer des citoyens au sort pour contrer cette crise démocratique ?
Le tirage au sort de citoyens et le décumul intégral des politiques sont en effet des éléments de réponse qui peuvent diminuer ce gouffre. Cependant, ce n’est pas avec une seule mesure clef qu’on y arrivera. À Bruxelles, le parti Agora a obtenu un siège. Il vise précisément à tirer au sort une série de citoyens bruxellois pour qu’ils donnent la ligne directrice du député qui siégera.
Entretien : Louise Vanderkelen
"Cela n’a rien d’un déni de démocratie"
Un observateur important issu d’une institution publique commente "[…] la tentative de constituer une majorité autour du PS et d’Écolo en Région wallonne n’est pas une tentative de constituer un gouvernement minoritaire car il est constitutionnellement impossible d’en former un dans une entité fédérée. Un gouvernement est élu par le Parlement et, de ce fait, devient ipso facto un gouvernement majoritaire. La voie choisie par le PS et Écolo est sans doute inédite mais n’a rien d’un déni de démocratie ou d’un contournement des résultats des élections. Tant que le gouvernement est élu, qu’il n’est pas renversé par une motion de méfiance constructive et que son budget est voté par le Parlement, il est majoritaire. Ce n’est pas le cas, rappelons-le, du gouvernement fédéral qui n’a pas de majorité parlementaire, qui est en affaires courantes et qui continue, sans que cela ne dérange personne visiblement, à exécuter des affaires parfois non courantes par voie d’arrêtés royaux. Bref, c’est la paille et la poutre […]".