Elevage : des prés de l’Aveyron aux rayons de la grande distribution

Depuis vingt ans, Auchan a noué un partenariat avec des éleveurs de l’Aveyron. Mieux rémunérés, ils s’engagent à fournir des bêtes élevées sans OGM ni antibiotiques.

 Cet élevage de Rieupeyroux (Aveyron) a conclu un partenariat innovant avec le distributeur Auchan et les abattoirs Bigard à Castres (Tarn).
Cet élevage de Rieupeyroux (Aveyron) a conclu un partenariat innovant avec le distributeur Auchan et les abattoirs Bigard à Castres (Tarn). LP/Lilian Cazabet

    Les lourdes portes du hangar s'ouvrent, et les quelque 70 veaux qui ont brouté dans les prairies cet après-midi se précipitent à l'intérieur, en meuglant à cœur joie. Chacun cherche sa mère. S'ensuit un long silence dès que la tétée a commencé, dans ce bâtiment où de la paille est ajoutée tous les trois jours - « non par obligation, juste pour que les animaux restent propres », précise le jeune patron de la ferme, Romain Bastide - et où des tue-mouches électriques (on les appelle les grille-pains) remplacent les anti-mouches chimiques, qui étaient auparavant mis sous la litière.

    Un label qui réunit 300 éleveurs

    Un peu d'air circule, mais tout est fait pour éviter les courants d'air. Et pour cause : dans cette ferme tenue depuis quatre générations par les Bastide, on s'est engagé à limiter au strict minimum les antibiotiques. Et pour ce faire, le plus sûr moyen est de tout faire pour que les bêtes, des vaches limousines, ne tombent pas malades. Une caméra de surveillance reliée à un iPhone permet de vérifier que tout se passe bien quand l'agriculteur n'est pas là.

    Voilà plus de vingt ans maintenant que Pierre Bastide, qui a cédé le flambeau à son fils en 2013, a conclu un partenariat innovant avec le distributeur Auchan et les abattoirs de Bigard à Castres (Tarn). Lui et les 300 éleveurs du label « veau de l'Aveyron et du Ségala », regroupés dans la société SA 4R - pour Responsabilité, Rigueur, Régularité, Réussite - fournissent chaque année entre 11 et 12 000 veaux à Auchan. L'idée de départ, qui depuis a fait école, était de faire en sorte que chacun soit rémunéré à sa juste valeur.

    Des bêtes achetées 15 % plus cher

    Un accord gagnant-gagnant, qui n'a cessé de faire ses preuves, où chacun respecte des engagements forts. Auchan s'engage, chaque fin d'année, sur des prix et des volumes pour l'année suivante. Le veau est vendu entre 1300 et 1400 euros à Bigard, qui revend ensuite les bêtes désossées à l'enseigne.

    Et s'il n'y avait pas de filière privilégiée, combien gagneraient les éleveurs ? Compliqué à savoir, mais les mêmes veaux vendus en Italie se négocient actuellement environ 15 % moins cher. « Le prix versé aux éleveurs tient compte du fait que cela doit faire vivre l'éleveur et sa famille », rappelle Christophe Brossault, en charge des filières responsables pour Auchan.

    Pierre Bastide se réjouit que ses partenaires, Auchan et Bigard,  «n’ont jamais baissé leurs tarifs», «même les années difficiles». LP/Lilian Cazabet
    Pierre Bastide se réjouit que ses partenaires, Auchan et Bigard, «n’ont jamais baissé leurs tarifs», «même les années difficiles». LP/Lilian Cazabet LP/Lilian Cazabet

    Tout autant que le prix, c'est la visibilité sur une année pleine que les éleveurs apprécient. « Même les années difficiles, ils n'ont jamais baissé leurs tarifs », souligne le volubile Pierre Bastide. Auchan, enfin, s'engage sur un « objectif matière » : c'est tout le veau qui est acheté, à charge ensuite pour le distributeur de commercialiser telle ou telle partie. Récemment, ils ont ainsi lancé une blanquette de veau, congelée par Bigard pour être vendue plus tard.

    Les veaux broutent en plein air

    Les éleveurs, eux aussi, s'engagent. D'abord sur la qualité du produit : un veau fermier, né et élevé sur la ferme, nourri au lait, aux céréales ou avec du foin. Aucun OGM, bien évidemment.

    La viande est estampillée Label Rouge et IGP (Indication géographique protégée). Le respect de l'environnement est aussi au menu : le fait que les vaches broutent permet de dessiner un paysage de vallons et de prairies entretenues.

    On estime qu'en moyenne, un veau et sa mère permettent d'entretenir un hectare. « Sans cela, les ronces envahiraient tout, et les incendies seraient plus fréquents », rappelle Romain, 33 ans, qui a choisi de reprendre l'exploitation de 90 ha après un master de commerce.

    Les éleveurs rencontrent les consommateurs

    Enfin, depuis des années, chaque agriculteur de SA 4R va deux fois par an à la rencontre des consommateurs Auchan, souvent surpris de les voir déambuler dans les rayons. La pédagogie joue dans les deux sens : « Nous devons leur expliquer pourquoi notre viande est naturellement plus rouge que le veau blanc, afin de lever leurs préventions », rappelle Pierre Bastide, qui leur donne aussi des conseils sur la façon de le cuisiner (le saisir plutôt que le cuire, à l'instar du bœuf).

    À l'inverse, quand les producteurs entendent les clients d'Auchan parler de leurs soucis de pouvoir d'achat, ils se montrent ensuite plus raisonnables dans leurs demandes tarifaires…

    Avec le temps, les liens entre les uns et les autres se sont resserrés. Pierre Bastide et Christophe Brossault se voient, ou se parlent, tous les mois. Christophe connaît bien Minus, l'immense berger allemand, ainsi que tous les membres de la famille. « Et puis, chaque année, nous passons dix jours et dix nuits sur le Salon de l'agriculture ensemble, ça resserre les liens », rigolent-ils de concert. Les Bastide, père et fils, en sont convaincus : face à la baisse actuelle de la consommation de viande, les filières de qualité sont une réponse à la crise.