Menu
Libération
Disparition

Gilbert Hottois, mort d'un philosophe des techno-sciences

Le penseur belge, qui s'est éteint samedi à 73 ans, est notamment l'auteur du «Signe et la technique», préfacé par Jacques Ellul, en 1984.
par Robert Maggiori
publié le 18 mars 2019 à 12h56

C'est un philosophe notable qui vient a disparu samedi, dont on peut deviner l'importance si simplement songe qu'on lui doit le néologisme de «technosciences» aujourd'hui employé par tous et qu'il fut l'un des premiers à utiliser la notion de «bioéthique», entendue comme l'«ensemble des recherches, des discours et des pratiques multidisciplinaires, ayant pour objet la clarification ou la résolution de questions de caractère éthique suscitées par l'avancée et l'application des techno sciences biomédicales».

Né à Bruxelles le 29 mars 1946, Gilbert Hottois est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages, et en a dirigé ou édité autant (entre autres chez Vrin et De Boeck). Professeur émérite de l’université libre de Bruxelles, membre de l’Académie royale de Belgique, souvent consulté comme expert dans les instances internationales, il a enseigné aux universités Laval de Montréal, d’Abidjan et d’El Bosque (Colombie). Il a reçu tous les honneurs académiques, mais son nom est resté pudiquement caché derrière son œuvre. Celle-ci a, pour simplifier, trois volets: philologique, philosophique et bioéthique. C’est en effet par les humanités gréco-latines et la philologie romane qu’il a commencé, avant de questionner en philosophe la conception du langage de Ludwig Wittgenstein.

L'intérêt de la philosophie du XXe siècle pour le langage, sinon l'Inflation du langage dans la philosophie contemporaine, pour reprendre le titre de son livre de 1979 – inflation qu'il étudie dans la philosophie analytique anglo-saxonne mais aussi chez Heidegger, Gadamer, Merleau-Ponty ou Derrida – a été pour Gilbert Hottois source d'un profond «étonnement»: il l'interprétait comme une «réaction», voire une fuite ou une dénégation – dont la cause originelle serait sans doute la fameuse et mécomprise formule de Heidegger «la science ne pense pas» – devant la structuration et la puissance de plus en plus marquée des techno-sciences. Rien d'étonnant, dès lors, à ce que Hottois veuille plonger lui-même dans cet univers qui semblait hypnotiser bonne part de la pensée philosophique contemporaine, ou constituer un «mystère» impénétrable (avec l'exception, notable, de Gilbert Simondon, qui sera pour Hottois un «orienteur»).

«Métaculture»

Il publie le Signe et la technique, préfacé par Jacques Ellul, en 1984, avant de proposer l'idée que seule l'éthique pourrait aider à vaincre les difficultés inhérentes à l'élaboration d'une philosophie générale des technosciences. Il publie un nombre considérable de travaux sur l'éthique et la bioéthique, et devient l'un des spécialistes les plus consultés par les comités belges et internationaux, posant, de façon pionnière, la question du «futur lointain», de l'humanité que l'humanité présente sera capable de laisser en héritage aux générations à venir, et en entamant un dialogue avec le philosophe de l'«éthique de la responsabilité», Hans Jonas. La position de Hottois n'est ni technophobe ni technophile, autrement dit il ne pense pas que les techno-sciences et les nouvelles technologies bio-médicales vont sauver le monde ni qu'elles signent son arrêt de mort en transgressant l'essence humaine et sa dignité ; il considère plutôt que les méfaits que peuvent introduire les techno-sciences, ou les atteintes à ce qui constitue l'essence de l'homme, peuvent être atténués par la technique et la bio-éthique elles-mêmes, dans leur fidélité à la caractéristique «technique» qui, depuis l'homo faber, a accompagné l'espèce humaine. Mais cela exige forcément des transformations dans l'économie, la politique, le social, la culture.

Autrement dit la constitution et l’extension d’une «métaculture», apte à favoriser une intégration non violente de la pluralité des «modes de vie», multiculturelle donc, respectueuse de la diversité, des traditions et des mentalités, de la variété avec laquelle les hommes donnent symboliquement des significations et des valeurs à leur existence, à la façon de jouir, de pallier ou sublimer la souffrance – de telle sorte qu’ils gardent la volonté de s’autodévelopper et de «repousser les limites» dans ce qu’ils entreprennent – mais avec le souci de ne pas aller au-delà de ce qui définit la dignité intrinsèque de tout être vivant.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique