C’était un de nos derniers monstres sacrés, un comédien adulé par les amateurs de théâtre, qui a porté son art jusqu’à un point d’incandescence rarement atteint : Serge Merlin est mort, samedi 16 février, à l’âge de 86 ans. Il a rejoint Samuel Beckett, Thomas Bernhard et Antonin Artaud, ses dieux, ses doubles, au pays du souvenir, où ses mots, leurs mots, incendiés par son engagement d’acteur, brûleront longtemps encore.
« Je préfère qu’on ne parle pas de mes origines, je les ai déchiquetées moi-même », avait-il prévenu d’emblée, de sa voix de caverne, un jour de juin 2011 où l’on était allée à sa rencontre – une rencontre qui n’avait ressemblé à nulle autre que l’on a pu vivre dans ce métier. Serge Merlin était un insoumis, un vrai, un asocial, avec qui il était hors de question de se prêter au jeu classique de l’interview.
Il était né, sous le nom de Serge Merle, le 29 décembre 1932 à Sainte-Barbe-du-Tlélat, en Algérie, dans une famille dont il dira juste : « J’ai rejeté des monstres. Je n’ai pas voulu appartenir à cette race. » L’adolescent se réfugie chez les « pères blancs », où il « mange de la parole ». Un jour de ses 15 ans, il assiste à la représentation d’un cirque tzigane. « Choc immense. » Quelques jours plus tard, il s’enfuit à bord d’un bateau pour la France. Il se retrouve dans le Paris de la fin 1947, dans une solitude et une misère noires, absolues. Il sera clochard, longtemps. Avec son compagnon de rue, ils font griller des patates sur le poêle de la salle du Collège de France où Gaston Bachelard donne ses cours, puis vont boire des coups avec le philosophe.
« Je refusais d’être enseigné »
Le théâtre est venu comme un mystère, un appel. Serge Merlin s’est « retrouvé avec des jeunes gens qui parlaient théâtre ». Il les accompagne au cours de René Simon, dont le secrétaire prend sous son aile cet oiseau noir et vagabond, qui s’envolera vite : « Je refusais d’être enseigné. Je ne pouvais pas m’accommoder, avec rien. Je n’étais même pas un personnage à la Genet. Infumable, totalement. »
Dès ces années 1950, sa réputation est faite. On évoque à son sujet Antonin Artaud, et pas seulement à cause de son visage aux joues creuses et aux yeux de braise. Le théâtre doit brûler, sinon il n’est pas digne d’être vécu. Serge Merlin fascine et fait peur. Son parcours sera fait de plongées dans la nuit et de renaissances : « J’ai été à la mort, à la fin, un certain nombre de fois. Je suis un condamné kafkaïen. »
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