Mathieu Kassovitz : « Je connais mes limites »

Il est à l’affiche du film à suspense « Le chant du loup », qui se déroule dans un sous-marin nucléaire. L’occasion de rencontrer ce comédien au talent aussi affirmé que son franc-parler.
Marie Deshayes
Mathieu Kassovitz : « Je connais mes limites » Getty Images

Pourquoi avoir accepté ce rôle ?
Mathieu Kassovitz -
Pour un garçon, tout ce qui touche au militaire ou aux services secrets en appelle à nos jeux d’enfants. Alors, quand on vous propose de jouer un général qui prend une décision pouvant sauver le monde, et que l’action se déroule dans un sous-marin, vous y allez sans hésiter. Ce film répond à l’idée même que l’on se fait du métier d’acteur quand on débute. On a tous envie d’être des super-héros.

Que connaissiez-vous de l’univers des sous-mariniers ?
Mathieu Kassovitz -
Rien. Nous sommes allés à Toulon et en Bretagne pour nous préparer. J’ai passé trois jours en mer dans un sous-marin pour comprendre le fonctionnement, la vie à bord, la hiérarchie… Comme je suis aussi passionné d’ingénierie, j’ai beaucoup parlé avec les techniciens. Une grande partie du plaisir, avec ce type de rôle, vient de l’expérience hors normes. Il fallait juste ne pas être claustrophobe.

L’ambition de ce premier film vous plaisait aussi ?
Mathieu Kassovitz -
Les films de cette envergure sont rares en France, surtout avec un scénario aussi solide. Antonin Baudry, le réalisateur, était diplomate et s’est fait connaître en écrivant la bande dessinée Quai d’Orsay. C’est un homme brillant qui comprend très vite les rouages de systèmes qui, à l’origine, ne lui étaient pas familiers.

«Je suis plus crédible en personnage énervé qu’en comique.»

Le Chant du loup, le Bureau des légendes, l’Ordre et la Morale sont des films ancrés dans des environnements militaires. Ce monde vous fascine ?
Mathieu Kassovitz -
Le domaine militaire regorge d’histoires exceptionnelles et de gens admirables qui offrent une incroyable matière au cinéma d’action ou d’espionnage. Mais ce qui m’intéresse avant tout dans mon métier d’acteur, c’est de découvrir celui des autres. Bien sûr, si je joue un violoniste, il y aura une doublure, mais j’apprendrai des bases et j’aurai la chance d’échanger avec l’artiste pour comprendre ce qu’il ressent et le véhiculer du mieux possible à mon tour. Mais on me propose plus de rôles d’hommes d’action que d’artistes, sans doute parce qu’ils correspondent à l’idée que l’on a de mon cinéma. Il sera plus facile de faire passer le Bureau des légendes avec Mathieu Kassovitz qu’avec Dany Boon. Je suis plus crédible en personnage énervé contre la société qu’en comique, et inversement. Ma spécialité, ce sont plutôt les mecs torturés.

Vous regrettez d’avoir une « spécialité » ?
Mathieu Kassovitz -
Non, il vaut mieux cela que d’être au chômage. Et je ne me sens pas prisonnier d’une étiquette. Il ne faut pas oublier que la Haine, le film qui m’a rendu célèbre, était une comédie, à mes yeux. Par ailleurs, quand on est acteur, on prend les rôles que l’on vous donne en espérant tomber sur des bons projets, quel que soit le genre… Un acteur n’est pas proactif, il dépend du désir des autres et n’est même pas toujours le premier choix ! Lorsqu’on demandait à Woody Allen comment il réunissait des castings aussi incroyables, il répondait : « Quand George Clooney refuse, je demande à Brad Pitt. S’il refuse aussi, je demande à Matt Damon, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il y en ait un qui accepte…» Autrement dit, on ne sait jamais si le réalisateur vous veut vraiment ou s’il vous choisit parce que les autres ont dit non.

Vous jouez les modestes…
Mathieu Kassovitz -
Non, je connais juste le travail de l’autre côté de la caméra. Vus de cette autre planète, les acteurs ne sont pas le centre du monde. Aussi, quand je suis choisi par d’autres, je ne l’oublie pas. Mon ego ne se situe pas là. J’ai beaucoup de respect pour tous les métiers du cinéma mais, pour moi, acteur est plus un hobby qu’un métier. Un hobby très bien payé grâce auquel les gens vous aiment. C’est très plaisant, mais vous ne m’entendrez jamais dire que je perds mon âme ou que je prends des risques pour un rôle.

Envisagez-vous un jour de faire du théâtre ?
Mathieu Kassovitz -
Je ne pense pas être assez talentueux pour tenir le choc… Je connais mes limites. Sur un plateau de cinéma, je travaille trente minutes sur huit heures de présence et je peux recommencer quand je suis à côté de la plaque. Sans pression. Sur scène, on n’a pas le droit à l’erreur et l’investissement n’est pas le même. J’essaierai sans doute un jour, mais je ne suis pas prêt. Et puis, en ce moment, ma philosophie d’acteur est la suivante : « Moins j’en fais, mieux je me porte. » Si je dois m’investir à fond, ce sera pour une réalisation. Pour le Bureau des légendes, je tourne deux mois par an et, le reste du temps, je suis chez moi avec ma famille et mes enfants. J’en suis très heureux.

Serez-vous présent dans la saison 5 ? Malotru était mal en point à la fin de la quatrième…
Mathieu Kassovitz -
Je pourrais dire oui, mais cela ne signifie pas que j’aurai survécu. Il peut y avoir plein de façons de revoir Malotru ! Plus généralement, je pense qu’on peut aller jusqu’à six saisons et qu’après, il faudra peut-être arrêter ou supprimer des personnages pour renouveler l’histoire.

Votre plaisir de jouer dans cette série ne s’étiole pas ?
Mathieu Kassovitz -
Non, même si certaines saisons sont plus plaisantes à jouer. Par exemple, j’ai préféré tourner la saison 3 au Maroc, quand mon personnage était prisonnier, plutôt que la dernière en Russie, majoritairement ancrée dans un bureau. Mais ce qui importe, dans les séries, n’est pas le plaisir personnel de l’acteur, c’est le résultat final. Et, dans ce cas précis, l’ensemble est cohérent et évolue intelligemment. J’adore regarder les épisodes en famille quand la diffusion commence. On s’assoit tous ensemble et on enchaîne. Je ne lis jamais les scènes des autres au moment du tournage pour être surpris.

Aimeriez-vous en réaliser des épisodes ?
Mathieu Kassovitz -
Pas avec Eric Rochant qui me superviserait comme il le fait avec les autres réalisateurs. C’est sa série, il en est le chef d’orchestre, et je le comprends. Moi, quand je mets en scène, je veux être le seul maître à bord.

Un nouveau projet de longmétrage, huit ans après l’Ordre et la Morale ?
Mathieu Kassovitz -
On verra bien, mais le cinéma a beaucoup changé dans son système de fabrication et de diffusion. J’ai eu la chance de vivre des expériences fortes, des succès comme des échecs, à un moment où le cinéma se faisait encore sur pellicule et était considéré comme un objet précieux. J’ai eu une jolie carrière, avec des films qu’on ne me laisserait pas tourner dans le contexte actuel. Aujourd’hui, on ne fait plus de cinéma pour informer sur le monde. Et, avec les réseaux sociaux et Netflix, on consomme plus vite, plus facilement, chez soi, un œil sur l’écran, l’autre sur son smartphone… Il n’y a plus l’aspect événementiel de la salle et l’artisanat du cinéma a disparu au profit d’effets spéciaux numériques qui brisent la magie. Résultat : le spectateur n’a plus la même implication intellectuelle ni le même frisson. Et moi, je n’ai plus la même envie.

Depuis dix ans, vous êtes la voix de la série documentaire Apocalypse. L’Histoire vous passionne ?
Mathieu Kassovitz -
Je suis plus passionné d’histoires que d’Histoire, mais j’aime comprendre d’où l’on vient et en quoi cela influe sur ce que nous serons. Pour moi, Apocalypse, c’est avant tout un devoir de mémoire. Ces documentaires resteront. Ils seront le témoignage de ce que nous avons vécu et sont essentiels.

Après Gothika et Babylon A.D., Hollywood vous fait-il encore du pied ?
Mathieu Kassovitz -
De temps en temps. Mais, là encore, ça ne m’intéresse pas. Je ne m’y sens pas heureux. Ou alors il faudrait que l’on me dise : « Voilà ton scénario, tes acteurs, ton chèque. Amuse-toi avec ça. » Mais j’ai actuellement trop de chance en tant que comédien pour avoir envie de remettre les mains dans le cambouis.

Le Chant du loup, d’Antonin Baudry. Sortie le 20 février.

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le 17/02/2019